C’est en 1892 que fut créée à la Scala de Milan : « La Wally » sur un livret de Luigi Illica, d’après un roman de Wilhelmine Von Hillern. Le compositeur, Alfredo Catalani, peut être considéré comme l’un des précurseurs du mouvement vériste. Il mourut un an après la création de « La Wally » à l’âge de 39 ans et, compte tenu de son don aigu pour l’harmonie, on peut imaginer quelles œuvres il aurait pu produire si, comme Verdi, il avait vécu jusqu’à 88 ans.
Gustav Malher admirait particulièrement Catalani, considérant « La Wally » comme l’un des meilleurs opéras italiens qu’il avait dirigés, de même qu’Arturo Toscanini qui fut son ami fidèle et le plus fervent défenseur de son art, allant même jusqu’à choisir le prénom de Wally pour sa fille. L’œuvre connut, après la mort prématurée de Catalani, un succès indéniable et fut à l’affiche de grands théâtres comme le Metropolitan Opera de New York et notamment à nouveau La Scala de Milan. L’utilisation de l’air le plus célèbre de l’héroïne (« Ebben ne andrò lontana »), interprété par Wilhelmenia Fernandez dans le film « Diva » (1981) de Jean-Jacques Beneix, rappela au public français l’existence de cet ouvrage, lequel aurait dû entrer au répertoire de l’Opéra de Paris si son actuel directeur, Stéphane Lissner, ne l’avait déprogrammé.
C’est donc tout à l’honneur de l’Opéra de Monte-Carlo d’avoir proposé cette « Wally » en coproduction avec le Grand Théâtre de Genève. Sans doute Catalani qui, grâce à Arrigo Boito, avait rencontré Wagner à Naples, était un admirateur fervent du compositeur allemand. Ainsi, s’inspirant de son illustre aîné, l’orchestre y a-t-il une part prépondérante et autonome et le discours continu s’érige en principe. Par ailleurs, dans maints passages, on entend de brèves citations du « Vaisseau fantôme », mais aussi de « Tristan et Isolde » (le duo final n’est d’ailleurs pas sans rapport, dans son ampleur, comme dans ce qu’il exige d’endurance, avec celui élaboré par Richard Wagner pour les amants tragiques). Mais la fête du premier acte lorgne aussi du côté de Weber et, par-ci, par-là, Massenet et Debussy ne paraissent pas étrangers au compositeur italien.
Les deux principaux rôles sont d’une grande difficulté vocale et, pour les assumer, on les confie souvent à une soprano ayant une très large tessiture dramatique ainsi qu’à un ténor de format wagnérien. En la circonstance, c’est la cantatrice néerlandaise Eva-Maria Westbroek qui incarne l’héroïne, archétype de la femme libre dont les aspirations communient avec la solitude et la grandeur de la nature. Son partenaire est le ténor serbe Zoran Todorovich, entendu à plusieurs reprises en Principauté, où tous deux avaient formé le couple de « Francesca da Rimini » de Ricardo Zandonai. En l’occurrence, ils maîtrisent avec bonheur les nombreux obstacles semés dans cette partition, alternant vigueur et nuances lorsqu’elles sont exigées. Le baryton Lucio Gallo incarne Gellner avec mesure et sobriété et on lui sait gré d’éviter l’histrionisme de certains interprètes dans cet emploi. Excellente prestation dans Stromminger de In-Sung Sim dont la voix de basse est particulièrement remarquable. Une mention également pour Olivia Doray dans le rôle travesti de Walter. La scénographie d’Ezio Toffolutti cultive un réalisme (paysage du Tyrol) qu’il ne faut surtout pas prendre au premier degré et qui s’inscrit parfaitement dans le courant naturaliste de l’époque. Elle permet à Cesare Lievi d’y inscrire une mise en scène explicite autant qu’efficace. On peut considérer que l’artisan essentiel du succès de cette « Wally » est incontestablement le chef Maurizio Benini, vraiment inspiré par la partition de Catalani dont il fait ressortir le moindre détail et toutes les richesses harmoniques, notamment dans le magnifique et sombre prélude de l’acte III.
A nouveau une soirée qui permet de découvrir une œuvre rarement jouée, comme ce fut le cas, et dans un style analogue, de « Amica » de Pietro Mascagni qui fut donnée en Principauté sur cette même scène en mars 2013.
Christian Jarniat
21 janvier 2016