Combien de Traviata n’avons-nous pas déjà vues ? Et combien entendues en disque ? L’Opéra Bastille reprend la production de Simon Stone de 2019 en ce mois de janvier, tandis que l’Opéra berlinois Unter den Linden programme également l’œuvre de Verdi avec Pretty Yende qui fut Violetta à l’Opéra de Paris en 2019.
Comment se priver d’un tel chef-d’œuvre dont on rappellera, d’un point de vue historique, qu’il fut le seul ouvrage réaliste et contemporain de la production de Verdi sur lequel ne manqua pas de s’acharner la censure considérant le sujet immoral et contraignant le compositeur à placer l’action au 17e siècle lors de la création vénitienne en mars 1853 ? A chaque époque ses polémiques…
La version de Simon Stone a nourri des controverses… Les violentes couleurs projetées sur des écrans en biseaux pour décors, certaines scènes érotiquement scabreuses dans les rues, les costumes mi-boîte échangiste, mi-carnaval frelaté, ne sauraient, loin de là, faire l’unanimité et sont susceptibles de choquer une partie des spectateurs. Ces derniers peuvent en outre considérer comme des erreurs de la production le fait que les lettres administratives, échanges de SMS et compte X de l’influenceuse Violetta Valery, jusqu’aux gros titres ainsi que toutes inscriptions servant de fond, soient en français, alors que le texte de l’opéra demeure en Italien.
Et René Barbera en Alfredo ne semble pas, en ce soir de première, en forme requise. Bien que son couple avec Nadine Sierra soit sympathique, ce n’est pas l’injurier que de relever son manque de puissance vocale. Benjamin Bernheim naguère était bien plus convaincant. Le chant de Barbera se laisse en effet aisément submerger par l’orchestre, et se perd dans le vaste vaisseau de Bastille, surtout en comparaison du tonus de Nadine Sierra. Les voix masculines autour de lui, comme celles de Florent Mbia en marquis d’Obigny ou Alejandro Baliñas Vieites en Baron Douphol, dont les satins de la voix vibrent au cours de l’opéra, le font résonner de bien pâle manière. Méforme ou indisposition ?… On a appris son remplacement à la deuxième représentation par Pene Pati.
Quant à l’orchestre, il propose une honnête lecture de la partition, mais sans plus. Sous la direction de chefs tels que Serafin et Levine en passant par De Sabata, Giulini ou Karajan d’autres phalanges donnaient une carnation plus intéressante à cette musique, sans doute l’une des meilleures de Verdi.
Pour autant des sujets de satisfaction sont à mettre à l’actif de cette représentation : Nadine Sierra en très grande forme vocale durant tout l’opéra ne peut que subjuguer. Pour une cancéreuse même au stade terminal, elle parait en parfaite santé. Elle marche, court et chante comme un charme. Trop peut-être ? On pourrait regretter que, d’un point de vue dramatique, l’altération de l’état de santé de l’héroïne ne soit pas, au fur et à mesure, suffisamment marqué au regard d’un chant paradoxalement (trop) brillant. Quid des différentes couleurs de tessiture montrant son inéluctable déclin vers l’issue fatale ?
Ludovic Tézier apparaît au deuxième acte et galvanise. Sa présence magnétique comme son superbe cuivre velouté, valent à eux seuls le déplacement. Il est là, père inquiet pour sa famille, homme reconnaissant son erreur, gentleman de l’art lyrique sans la moindre exagération. De la simplicité. Un Tito Gobbi aux effets retenus, un styliste à l’élégance d’un Renato Bruson avec la générosité vocale d’un Leo Nucci.
En fin de compte, Nadine Sierra aura bien mérité ses applaudissements, parce que son chant fort, coloré et vibrant d’émotions résiste à certaines errances de la mise en scène aux côtés de Ludovic Tézier à son zénith. Marine Chagnon incarne une belle Flora Bervoix au timbre plaisant. Cassandre Berthon dessine une Annina digne, Vartan Gabrielian, Maciej Kwaśnikowski, Hyun-Jong Roh, Olivier Ayrault et Pierpaolo Palloni complètent le plateau vocal avec maîtrise, lui donnant homogénéité et qualité.
Andréas Rey
21 janvier 2024
Direction musicale : Giacomo Sagripanti
Mise en scène : Simon Stone
Décors : Bob Cousins
Costumes : Alice Babidge
Lumieres : James Farncombe
Vidéo : Zakk Hein
Distribution :
Violetta Valery : Nadine Sierra
Flora Bervoix : Marine Chagnon
Annina : Cassandre Berthon
Alfredo Germont : Rene Barbera
Giorgio Germont : Ludovic Tezier
Gastone : Maciej Kwaśnikowski
Il Barone Douphol : Alejandro Balinas Vieites
Il Marchese d’Obigny : Florian Mbia
Giuseppe : Hyun-Jong Roh
Domestico : Olivier Ayault
Commissionario : Pierpaolo Palloni
Dottor Grenville Vartan Gabrielian
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris