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Ivan Repušić dirige Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov. Un bonheur de tous les instants.

Ivan Repušić dirige Aleko et Francesca da Rimini de Rachmaninov. Un bonheur de tous les instants.

dimanche 28 janvier 2024

©Luc-Henri ROGER

Concert en tous points remarquable au Prinzregententheater de Munich où le maestro Ivan Repušić dirigeait le Chœur de la radio bavaroise et l’Orchestre de la radio de Munich pour une soirée découverte avec au programme deux opéras de Sergueï Rachmaninov, Aleko et Francesca da Rimini, chantés par des solistes tous extrêmement talentueux. La version concert de ces opéras a été donnée dans le cadre des concerts du dimanche du Münchner Rundfunkorchester, qui ont pour ambition de faire connaître et apprécier des opéras moins connus. 

Aleko (Алеко) est le premier des trois opéras achevés de Sergueï Rachmaninov. Le livret russe, adaptation du poème Les Tziganes (Цыга́ныd’Alexandre Pouchkine datant de 1827, a été écrit par Vladimir Nemirovich-Danchenko. L’opéra fut composé en 1892 – Rachmaninov est alors âgé de 19 ans – comme travail de fin d’études au Conservatoire de Moscou, où il remporta les plus hautes récompenses des juges examinateurs. Il fut représenté pour la première fois au Bolchoï le 9 mai 1893, où il rencontra un succès des plus prometteurs.

Francesca da Rimini, la dernière des trois œuvres scéniques que Rachmaninov a achevées, a été composée treize années plus tard, soit en 1906. Les deux pièces en un acte reflètent ainsi l’évolution stylistique du compositeur : une comparaison fascinante entre deux drames de la jalousie, qui débouchent chacun sur un double meurtre. Sur le plan musical, Aleko est plutôt traditionnel, d’après un texte de Pouchkine, tandis que Francesca da Rimini, d’après un épisode du cinquième chant de l’Enfer de la Divine Comédie de Dante, se distingue par ses couleurs sombres et ses accents quasi symphoniques. Rachmaninov a composé son opéra sur un livret de Modeste Tchaïkovski, le frère du compositeur, qui a composé un texte ouroborique qui conserve le cadre littéraire de Dante : il commence et se termine en enfer avec les personnages de l’ombre de Virgile et de Dante Alighieri. La relation entre le compositeur et le librettiste connut des moments conflictuels, notamment à propos du duo d’amour, que Rachmaninov aurait souhaité plus long. Il compensa le manque ressenti en composant un passage orchestral de 51 mesures pour illustrer le baiser des amants interdits. Un autre point d’accrochage fut l’absence de paroles du chœur des damnés qu’entendent l’ombre de Virgile et Dante en pénétrant dans le deuxième cercle de l’enfer, le cercle de la luxure. Pour palier ce manque, Rachmaninov composa  un choral de plaintes et de gémissements qui expriment les douleurs atroces des voluptueux, une souffrance dont l’intensité sera ensuite résumée par les deux amants qui chantent le vers célèbre de Dante :  “Non c’è un dolore più grande che ricordarsi del tempo felice cuando si è miseri !” (” Pas de plus grande souffrance que de se souvenir dans la misère des temps heureux “).

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© Luc-Henri ROGER

Ivan Repušić et l’Orchestre de la radio munichoise rendent avec bonheur les couleurs romantiques russes de ces deux opéras dans lesquels le compositeur a fait la part belle aux parties orchestrales. Si son opéra de jeunesse tient de la tradition avec sa succession de numéros, Francesca da Rimini, que Rachmaninov qualifiera lui-même d’opéra symphonique, est un drame musical psychologique composé comme une symphonie. Dans Aleko, soulignons la beauté de l’introduction avec ses instruments à vents qui évoquent le campement des tsiganes au bord du fleuve, où s’élève le récit nostalgique du vieux gitan abandonné par la femme qu’il aimait, qui l’a laissé seul avec leur fille Semfira. Cette paix un peu triste est interrompue par l’agitation de l’introduction du thème de la jalousie. Une interruption semblable se produit au final lorsque l’arrivée et la violence meurtrière d’Aleko mettent abruptement fin au duo de Semfira et de son jeune amant.

La prestation du chœur par soixante choristes de la radio bavaroise est de toute beauté. Il joue un rôle prépondérant dans les deux opéras. Dans Aleko, le chœur initial des tsiganes campe  l’action et en lui conférant une couleur exotique orientale, – ils célèbrent au bord du fleuve la liberté de leur vie nomade, – puis, au final, le chœur orthodoxe, confronté à la violence meurtrière du protagoniste, le condamne et l’exclut  de la communauté. Dans Francesca et Paolo, au chœur des damnés de l’entame fait pendant le chœur du pardon céleste de l’épilogue.

Le Münchner Rundfunkorchester a réuni de brillants solistes. Le baryton-basse Kostas Smoriginas a créé la sensation avec sa formidable interprétation des rôles d’Aleko et de Lanciolotto. De sa voix puissante qui atteint de ténébreuses profondeurs, il rend admirablement les noirceurs de ces deux personnages ténébreux dévorés de passions brûlantes. Il joint l’expressivité de la physionomie au chant avec une présence scénique incarnée qui dépasse de loin les impératifs d’une version de concert.  

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©Luc-Henri ROGER

Née dans le sud de la Russie, au bord de la mer Noire, la soprano Kristina Mkhitaryan, formée au Théâtre Bolchoï de Moscou, est connue pour l’authenticité de ses interprétations de Violetta ou de Musetta. Sa voix chaleureuse a du volume et une belle ampleur, ce qui correspond aux nécessités de ses deux rôles qui exigent, tout en disposant d’un medium solide, de partir à la conquête des sommets ou de savoir descendre dans de profondes abysses, mais aussi d’exceller dans le pianissimo au moment de la note la plus aiguë, de se faire ” musicienne du silence “. La chanteuse a de l’ardeur et de la passion, un regard incandescent et un type de beauté méridional pour faire battre le cœur romantique  de ses héroïnes. Elle avait déjà interprété Francesca en 2021 à Baden Baden avec le Berliner Philharmoniker, lors d’un concert où chanta également le ténor Dmitry Golovnin, qui a repris à Munich le rôle de Dante Alighieri. La basse géorgienne Shavleg Armasi (le père de Semfira / l’ombre de Virgile)  impressionne par la beauté de ses couleurs, la chaleur de son timbre et une expressivité nuancée jusque dans le pianissimo. Il dresse un portrait vocal convaincant de ses personnages. Le ténor russe Andrei Danilov chante avec une ferveur lyrique les tourments et l’impatience amoureuse du jeune tsigane et de Paolo. Enfin le petit rôle de la gitane âgée a été confié au talent très prometteur de la mezzo-soprano Natalya Boeva, lauréate en 2018 du premier prix du concours de musique international de l’ARD dans la catégorie chant.

Une très grande soirée qui a de loin dépassé les attentes.

Luc-Henri ROGER

Distribution

ALEKO

Semfira : Kristina Mkhitaryan
Gitane âgée : Natalya Boeva
Jeune gitan : Andrei Danilov
Aleko : Kostas Smoriginas
Un vieil homme, père de Semfira : Shavleg Armasi

FRANCESCA DA RIMINI

Francesca, épouse de Lanciotto Malatesta : Kristina Mkhitaryan
Paolo, frère de Lanciotto Malatesta : Andrei Danilov
Dante Alighieri, écrivain : Dmitry Golovnin
Lanciotto Malatesta, fils du régent de Rimini : Kostas Smoriginas
L’ombre de Virgile : Shavleg Armasi

Chœur de la Radio bavaroise
Orchestre de la radio de Munich
Ivan Repušić, direction d’orchestre

Stellario Fagone, préparation  du chœur

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