Logo-Resonances-Lyriques
Menu
La Princesse jaune et autres fantasmes Opéra de Limoges

La Princesse jaune et autres fantasmes Opéra de Limoges

dimanche 6 novembre 2022
Camille Schnoor-François Rougier /Crédits-photos : Steve Barek – Opéra de Limoges

À propos dE La Princesse jaune : Le retour de Camille Saint-Saëns

Des 13 œuvres lyriques que Saint-Saëns (1835-1921) a composées, seul Samson et Dalila semblait avoir surnagé. L’ouvrage est toujours resté au répertoire, défendu souvent par de prestigieux interprètes. Certes la Radio jusqu’aux années 1970 a enregistré quelques ouvrages et certains opéras ont pu ponctuellement être repris, notamment Henry VIII. Mais rien depuis bien longtemps sur un retour en grâce significatif du compositeur.

C’est par l’enregistrement que Saint-Saëns est revenu sous les feux de l’actualité. Le Palazzetto Bru Zane s’est intéressé aux Barbares, puis à Proserpine. Pour Le Timbre d’argent c’est la conjonction cette fois-ci de la scène et du disque qui a permis la résurrection. Le drame lyrique en 4 actes de Jules Barbier et Michel Carré créé le 23 février 1877 au Théâtre National Lyrique attendait depuis longtemps d’être porté à la scène. Il avait été écrit en1864-66. L’Opéra Comique et le Palazzetto Bru Zane en donnent une version scénique dirigée par François-Xavier Roth en juin 2017 et l’enregistrement studio est réalisé dans la foulée.

La Princesse jaune sera exhumée selon une procédure inversée : enregistrement studio à la Halle aux Grains à Toulouse, coproduction issue de l’Opéra de Tours, nouvelle production à l’Opéra de Limoges (on y reviendra). L’enregistrement studio de Phryné sera ensuite effectué à l’Opéra Rouen Normandie du 31 mars au 2 avril 2021 sous la direction de Hervé Niquet. Cet opéra-comique en 2 actes de Lucien Augé de Lassus avait été créé salle Favart le 24 mai 1893. 

Vient ensuite la résurrection de Frédégonde, un opéra d’Ernest Guiraud (l’infatigable musicien qui a mis au point Les Contes d’Hoffmann et Carmen) terminé par Saint-Saëns créé à l’Académie Nationale de Musique en 1895. Le Palazzetto en proposera deux versions concert, la première à Dortmund en Allemagne en novembre 2021, la seconde à l’Opéra de Tours en juin 2022 sous la direction de Laurent Campellone. Plus récemment enfin c’est Dejanire qui est capté par le Palazzetto à l’Opéra de Monte Carlo1.

Camille Saint-Saëns et la scène

On peut se demander avant d’en venir à La Princesse jaune pourquoi Saint-Saëns n’a jamais été très à l’aise avec la représentation scénique. On lui a longtemps dénié d’écrire pour le théâtre. Paradoxalement son succès sur d’autres segments de la vie musicale que l’opéra l’ont desservi. Georges Bizet notait déjà dès 1867 lors d’un concours impérial remporté par son confère (prix nullement jalousé par le futur compositeur de Carmen) cette perception du musicien : « le jury que vous connaissez s’en va clabauder partout que l’œuvre de Saint-Saëns est très remarquable, qu’elle atteste des facultés symphoniques extraordinaires tout en prouvant que son auteur ne sera jamais un homme de théâtre !… ô humanité ! »
Saint-Saëns semble accepter la chose non sans l’interroger : « Symphoniste, organiste, pianiste, comment aurais-je été capable d’écrire un opéra ? »
Sa difficulté, relative tout de même, à se faire représenter tiendra à des raisons circonstancielles mais aussi au propre questionnement du compositeur sur son travail. On se limitera à trois exemples significatifs. Le Timbre d’argent, un drame lyrique de Jules Barbier et Michel Carré, mis en chantier en 1863 commence par buter sur la faillite du Théâtre Lyrique, puis sur les errements de l’Opéra avant de finir à l’Opéra Comique de Camille du Locle au moment de sa fermeture imposée par la guerre de 1870. L’ouvrage ne sera créé qu’en 1877, puis, laissant le compositeur insatisfait, retravaillé jusqu’à la fin de la première guerre mondiale. Le deuxième exemple, le plus connu, concerne la création sans cesse ajournée de Samson et Dalila. Des extraits sont plusieurs fois distillés en concert à Paris, mais l’arrivée sur scène n’aura lieu qu’en 1877 à Weimar grâce à l’appui de Franz Liszt, et encore plus tard à l’Opéra de Paris en 1892. On sait le débat qui a toujours entouré Samson qui consistait à savoir si on avait affaire à un opéra ou un oratorio, Saint-Saëns lui-même n’étant pas toujours très à l’aise pour trancher. Le dernier exemple est relatif aux Barbares dont le livret était signé de Victorien Sardou et P.-B. Gheusi.
Le projet du spectacle s’inscrivait dans la réflexion plus large du fondateur de la Société Nationale de Musique qui trouvait l’opportunité de se faire jouer dans trois sites fortement identitaires dont les amphithéâtres lui semblent représentatifs de l’esprit français : Nîmes, Orange et Béziers. C’est dans cette dernière ville que Déjanire avait pu être représentée. Le Théâtre Antique d’Orange ne pourra recevoir Les Barbares qui échoueront à l’Opéra, mais sans que les enjeux idéologiques qui avaient présidé à leur composition disparaissent. À travers Floria, prêtresse de Vesta, la civilisation romaine s’oppose aux forces venues du Nord, c’est-à-dire après la guerre de 1870, à l’hégémonisme allemand.

La Princesse jaune ne rencontre pas les mêmes difficultés, mais sans doute parce que la commande se fait a minima. On est en 1872, au lendemain de la guerre. L’Opéra Comique demande à Saint-Saëns un ouvrage en un acte, peu dispendieux, et qui apparaîtra comme une sorte de rattrapage au Timbre d’argent qui est toujours dans les cartons du théâtre.
La Princesse jaune vient d’être proposée par trois fois au public français. L’ouvrage présente un cas original de résurrection par à-coups2.
La Princesse jaune

En dehors de Samson et Dalila, La Princesse jaune est sans doute l’ouvrage de Saint-Saëns qui a été le plus enregistré. On dispose de plusieurs bandes du service lyrique de la radio (sous la direction de Tony Aubin, Jean Doussard ou Pierre Dervaux) et d’un CD chez Chandos. En février 2021 c’est en scellant une collaboration avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse que le Palazzetto Bru Zane a pu proposer un enregistrement studio de l’ouvrage. La captation a eu lieu à la Halle aux Grains. Sous la baguette flamboyante de Leo Hussain, ce sont Judith van Wanroij et Mathias Vidal, fort bien choisis, qui ont prêté leur voix aux rôles de Léna et Kornélis.
Deux versions scéniques se sont récemment succédé. À l’Opéra de Tours (production reprise à Tourcoing) en octobre 2021 Géraldine Martineau de la Comédie-Française dans une mise en scène classique, mais fluide et pertinente s’appuie sur style figuratif (estampe japonaise, toiles pittoresques…) mais qui n’en souligne que mieux l’échappée dans l’onirisme et le dérèglement des sens de Kornélis avant une reprise en mains par la réalité. Les deux interprètes rendent justice au dialogue parlé et à la musique : Sahy Ratia, voix claire, vigoureuse quand il faut, timbre plein, jeu engagé, Jenny Daviet aux élans lyriques enveloppants et à l’expressivité intense. C’est Laurent Campellone, un des meilleurs connaisseurs de la musique française, qui donnait à l’Orchestre symphonique Région Val-de-Loire une incandescence sans égale. Le spectacle était couplé avec Djamileh (1872) de Bizet.

A Limoges en novembre 2022 c’est avec La Nuit Persane que la production s’articule. Le titre reflétant le contenu du spectacle est exactement La Princesse jaune et autres fantasmes. La mise en scène d’Alexandra Lacroix lisible et vivante met en regard les mélodies de Saint-Saëns et la pièce elle-même, en jouant sur la temporalité comme sur le sens des œuvres. Avant d’en arriver au scénario, Kornélis passe une nuit dans son lit à rêver par toutes sortes de moyens à l’Orient. Prennent place ici Les Mélodies Persanes. À son réveil dans un appartement moderne, raffiné, muséal, il n’a qu’indifférence pour Léna (avec laquelle il vit depuis qu’il a été recueilli par la famille de sa jeune cousine). C’est le point de vue de Léna qui est privilégié. La coupure entre les deux jeunes gens est totale et leurs relations sont déjà tendues. Défense à Léna de toucher aux symboles du Japon, seul univers qui compte pour Kornélis et où vit dans son esprit Ming dont il est éperdument amoureux.
La scène de la substitution où Léna apparaît en princesse japonaise insiste sur la violence de Kornélis, toute référence au portrait ayant disparu. Le vase où il apparaissait sera finalement brisé. Des projections de bondage japonais sont diffusées. S’intercale alors une scène chantée exogène d’inspiration “MeToo” sur la forme de laquelle le public a pu s’interroger rappelant le théâtre à thèse : un collectif pluriculturel affirme et affiche : « Non. C’est mon corps », en réponse aux questions de consentement. Puis la pièce reprend, non sans qu’on ait l’impression qu’un nouveau fil est tiré, des employés (de musée ?) emballent les symboles du Japon. L’idée est intéressante, donnant plus de relief au dénouement qui dans le livret est des plus conventionnels.
Camille Schnoor est une Léna totalement imprégnée du rôle de femme amoureuse mais concernée ; la voix est puissante, riche en harmoniques. François Rougier a ce timbre lumineux bien adapté aux rêveries qu’il est censé traduire, mais doté aussi d’accents lyriques dans les moments exaltés. Le chœur dirigé par Arlinda Roux Marjollari met toute la flamme qu’il faut dans ses interventions et l’orchestre répond à la battue de Philippe Forget très en phase avec la musique excitante de Saint-Saëns.

Didier Roumilhac 
6 novembre 2022

Notes
1 voir Christian Jarniat, Dejanire à l’Opéra de Monte Carlo, Résonances Lyriques
2 voir Opérette-Théâtre Musical, n° 199, p. 27, n° 201, p. 40-41, n° 204, p. 15

 

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.