On attendait une Anna, on a eu une autre.
En effet la première représentation devait être assurée par la célèbre cantatrice russo-autrichienne Anna Netrebko mais celle-ci étant souffrante ce fut finalement la soprano italienne Anna Pirozzi, en alternance dans le rôle, qui la remplaça.
Anna Pirozzi n’est certes pas une inconnue car elle se produit dans les plus importants théâtres de la planète : le Royal Opera House à Londres, les Arènes de Vérone, le Staatsoper de Vienne, la Fenice de Venise, le Festival de Salzbourg, l’Opéra de Munich etc.. Nous la vîmes triompher dans une électrisante version concertante de Il Pirata de Bellini par l’Opéra de Monte Carlo à l’auditorium Rainier III en mars 2020.
C’était néanmoins, pour la circonstance, sa première apparition a l’Opéra de Paris. Sous un déluge d’applaudissements aux saluts, la cantatrice napolitaine s’est mise à genoux et a longuement appuyé sa main sur le plateau, comme un étranger foulant le sol d’une contrée chère à son cœur.
Il faut dire que, riche d’un triple répertoire belcantiste, verdien et vériste qui va de Norma de Bellini à Turandot de Puccini en passant par les œuvres de jeunesse de Verdi comme Elvira d’Ernani jusqu’à celles de maturité comme Aida, cette « soprano assoluta » a acquis une maîtrise vocale exceptionnelle qui lui permet avec un important matériau de faire valoir une très longue tessiture laquelle forgée sur un ample médium, culmine sur des aigus brillants avec des graves particulièrement sonores indispensables dans le rôle de Leonora de cette Force du Destin. Rajoutons a cela un art de la mezza-voce qui au moment de « La vergine degli angeli » fait merveille avec l’impressionnant chœur de l’Opéra de Paris à son zénith (sous la direction de Ching-Lien Wu).
Pour cette représentation de près de 4 heures (entractes compris) elle était entourée d’une distribution de grande qualité, a commencer par Ludovic Tézier qui s’est révélé au fil des ans comme l’un des plus éminents artistes français (mais aussi sur le plan international) (se référer a l’album discographique de duos d’opéra qu’il vient d’enregistrer avec Jonas Kaufmann). Il nous a habitués à une perfection absolue dans les grands rôles de baryton verdien. Tout y est : l’élégance du phrasé, la pureté du timbre, l’articulation souveraine, le style châtié… bref une sublime leçon de chant !
Reste, dans ce trio, le cas du ténor américain Russell Thomas dont la puissance n’est pas en cause en Alvaro (nos pensées pour ce rôle vont au métal de Mario Del Monaco, à l’abattage de Franco Corelli, à la musicalité de Placido Domingo au charme de José Carreras afin que les amateurs passionnés d’art lyrique comprennent parfaitement notre propos). Il manque à ce ténor l’homogénéité de la ligne et si son engagement n’est pas contestable, c’est néanmoins au détriment d’une émission vocale souvent en arrière dans le haut du registre et au prix d’un effort trop perceptible.
On a retrouvé avec plaisir Nicola Alaimo en Fra Melitone et on s’émerveille que cet artiste puisse passer avec une telle aisance d’un rôle tragique verdien comme Rigoletto ( Opéra de Marseille) a celui d’un bouffe rossinien comme Don Geronio du Turc en Italie (à l’Opéra de Monte-Carlo et à l’Opéra de Vienne aux cotés de Cecilia Bartoli en fin de saison dernière) sans compter son Falstaff de Verdi unanimement louangé. Quel talent de comédien ! Quel art du mot et du geste pour un interprète qui brûle véritablement les planches. Ferruccio Furlanetto est un Padre Guardiano de grande race et fait partie de ces artistes comme Leo Nucci qui, passé l’âge de 70 ans, gardent néanmoins de leur superbe et sont capables d’assurer des rôles de premier plan dans de prestigieux théâtres. Son duo dans le monastère avec Anna Pirozzi demeurera dans les mémoires comme un moment privilégié d’émotion. Enfin la mezzo-soprano Elena Maximova vient opportunément démontrer que le rôle de Preziosilla n’est en aucun cas secondaire et que les difficultés de celui-ci (qu’elle surmonte avec aisance) ne sont pas moindres avec des aigus saillants et une virtuosité omniprésente.
Nous connaissions parfaitement, pour l’avoir vue à plusieurs reprises, la mise en scène de Jean-Claude Auvray (réalisée pour la circonstance par Stephen Taylor). Loin des errements d’un certain Regietheater parfois incompréhensiblement « tarabiscoté » la scénographie d’Alain Chambon – parfaitement secondée par les lumières de Laurent Castaingt (un orfèvre en la matière !) – nous propose des espaces de jeux complètement dépouillés mais qui sont pour autant suggestifs et qui permettent de surcroît d’y inscrire une action dramaturgique fluide et cinématographique sur le vaste plateau de l’Opéra Bastille amplement occupé par le cadre impressionnant des chœurs ainsi que par les chanteurs et les danseurs ( chorégraphie : Terry John Bates)
Comme sa compatriote Anna Pirozzi, le chef italien Jader Bignamini faisait ses débuts à l’Opéra de Paris. C’est peu de dire qu’il a enthousiasmé le public et les applaudissements nourris des musiciens de l’une des plus belles phalanges du monde sont un signe qui ne trompe pas ! Son énergie, son sens des nuances et des contrastes, sa méticulosité dans l’accompagnement des artistes le classe d’ores et déjà comme un « maestro concertatore » accompli de l’art lyrique italien.
Christian Jarniat
12 Décembre 2022
