Après Diogène Clément Althaus nous propose à nouveau une œuvre sur un personnage emblématique : Jean de La Fontaine. Contrairement à ce que le titre pourrait laisser penser il ne s’agit en aucun cas d’une « biographie scénarisée » mais plutôt de « variations sur un thème » qui font alterner le procès de l’auteur devant l’Académie Française avec, en contrepoint, la morale de ses fables. C’est un spectacle qui oscille entre le théâtre musical et le cabaret dans lequel Clément Althaus incarne un Jean de La Fontaine atteint par une grave maladie qui confine à l’agonie et qui déroule sous nos yeux quelques étapes de sa vie où les plaisirs de l’existence se confrontent à la peur de la mort à l’instar du grand écart entre sa foi en Dieu et la teneur de ses contes réputés impies. Pour élargir le débat : en quelque sorte entre « l’ancien » et « le moderne ».
Donc Clément Althaus, à la fois librettiste et compositeur, partage la scène pour le texte comme pour le chant avec Aliénor de Georges à la harpe et Claudia Musso au violon et au piano qu’elle cède parfois à l’auteur. Au centre du plateau, une espèce de dais composé de quatre panneaux de voiles représente la chambre de Jean de La Fontaine, à cour la harpiste est juché sur un promontoire au pied duquel figure un divan et à jardin est installé le piano. Devant l’aréopage (le public) qui réunit tous les membres de l’Académie Française – lesquels attendent une confession générale de cet écrivain de génie – l’accusation est soutenue par la religieuse sœur Marie Pouget (Aliénor de Georges) qui demeure intraitable au sujet des 243 fables, apparemment contraires à l’éthique de l’époque. Elle exige en outre le reniement et la contrition de Jean de La Fontaine qui trouve le réconfort auprès de celle qui le protège avec autant d’empathie que d’implication et qui est à la fois sa garde-malade et son ange gardien (Claudia Musso). Il invoque, pour sa défense, les hommes de talent que sont Boileau, Bossuet et Colbert.
On passe en revue, telles des pièces à conviction, Le chêne et le roseau, (« il plie mais ne rompt pas ») Les animaux malades de la peste (« haro sur le baudet » : le fabuliste n’est il pas l’âne chargé de tous les péchés ?), La grenouille qui se veut faire aussi grosse que le bœuf, La cigale et la fourmi, Le coq et le renard. Tout cela est mis en musique entre jazz, mélopée, cantilène et arias lyrique. Et voici que la mélodie illustrant Le corbeau et le renard prend l’allure d’un tango, tandis que le gospel voisinera avec les accents tziganes.
La vie de La Fontaine est parallèlement passée au crible car ses frasques sentimentales ne sauraient être en adéquation avec les règles de l’église. Pourtant, l’accusé récuse cette thèse et s’en défend (« Je ne suis pas l’animal que l’on croit ; toute ma vie je l’ai consacrée à mon œuvre. J’ai embrassé la profession de poète et la poésie coule dans mes veines »). Par ailleurs les fables servent d’éducation et forgent les mœurs et ne sauraient objectivement susciter la hargne de ses ennemis (Le serpent et la lime « Croyez vous que vos dents impriment leurs outrages sur tant de beaux ouvrages ? »). Ces fables s’inscrivent en outre, en dehors de toute politique même s’il s’est mêlé de défendre Nicolas Fouquet emprisonné par le roi. Suivent encore ces textes où le loup est vilipendé comme redoutable et malfaisant (Le loup et l’agneau). Cet animal apparaît au contraire aux yeux de La Fontaine, comme un symbole de la liberté (Le loup et le chien). Mais l’accusation n’en démord pas : Satan doit se retirer de La Fontaine et elle exige de ce dernier non seulement sa confession mais encore la destruction du manuscrit contenant sa seule œuvre dramatique en cours d’élaboration ainsi que son engagement de ne rédiger que des écrits de piété et ce pour apaiser la colère de Dieu (Retentit ici un poignant « Dies irae » en guise de Requiem pour une âme aux portes de la mort)
Dans ce procès en musique qui se veut un hymne à la tolérance pour laquelle la défense estime qu’il n’est besoin ni de sanction de ni d’exorciste, les trois interprètes donnent pendant une heure et demie le meilleur d’eux-mêmes. La voix d’Aliénor de Georges est comme sa harpe, limpide et lyrique, tandis que celle de Claudia Musso est chaleureuse, riche en harmoniques et de couleur plus sombre. Elles s’accordent parfaitement dans des duos voire des trios lorsque Jean de La Fontaine, alias Clément Althaus, intervient lui aussi avec ses dons de chanteur éprouvé et une énergie de tous les instants. Un spectacle original autant que fort et qui tient en haleine son public, lequel à l’issue de la représentation, a longuement acclamé les interprètes, la mise en scène précise autant que poétique de Gaële Boghossian (également conceptrice des costumes avec Sophie Visentin) et le remarquable travail sur les lumières d’Olivier Blin et Samuèle Dumas. (Production Start 361°)
Christian Jarniat.
18 Décembre 2021