Sous la houlette de son directeur Jean-Louis Grinda, l’Opéra de Monte-Carlo poursuit, au fil des saisons, son excitante politique de découverte d’œuvres lyriques peu connues. On se souvient, entre autres, d’« Amica » de Pietro Mascagni et de « La Wally » d’Alfredo Catalani, qui ont, à chaque fois, été des premières en Principauté. Tel est à nouveau le cas de « I Masnadieri » de Verdi, onzième opus de l’œuvre du maître de Busseto, qui se situe parmi les opéras de jeunesse après la première version de « Macbeth » et avant « Jérusalem ». Toute encore empreinte du bel canto romantique du début du XIXème siècle, on ne peut s’empêcher, à maints égards, de songer à la « Lucia di Lammermoor » de Donizetti (là encore le baryton déteste le ténor et brutalise la soprano, thème récurrent dans le répertoire d’opéra de cette époque). La vivacité de la musique, avec la structure classique d’un récitatif, d’une cavatine et d’une fiévreuse cabalette, est établie comme un système et fait indubitablement penser à « Ernani » (d’autant plus que, dans cet opéra, la thématique repose également sur le serment fait, de manière quelque peu péremptoire et irréfléchie, par le héros « perdant magnifique » qui se condamne lui-même). L’œuvre, peu représentée, a néanmoins souvent été enregistrée. Parmi les versions discographiques de référence on retiendra celle réunissant Carlo Bergonzi, Piero Cappuccilli, Montserrat Caballé et Ruggero Raimondi.
La production est celle du Théâtre Regio de Parme avec un décor astucieux et fort beau pour lequel Federica Parolini a imaginé un plancher constitué de lattes de bois disjointes. Ce dispositif peut évoquer à la fois le repère des brigands et le château des Comtes Moor, quelques panneaux coulissants permettant de changer les murs en arbres et des toiles de tulle transparent complétant efficacement les effets. La mise en scène de Leo Muscato s’inscrit dans une ambiance quasi-nocturne tout au long de l’opéra avec des intérieurs éclairés par des chandelles. Ce sombre drame, outre « Ernani » déjà cité (le 1er acte, avec l’entrée des brigands et la cabalette de Carlo, est structuré et découpé de manière identique), n’est pas sans annoncer, d’un point de vue purement dramatique (la musique étant évidemment toute autre !) « Un bal masqué » du même Verdi avec une héroïne arpentant un cimetière ou encore la rencontre des amants dans la forêt. Par coïncidence, la jeune femme porte, à une lettre près, le même prénom (Amalia deviendra douze ans plus tard Amélia). On doit aussi louer les magnifiques lumières d’Alessandro Verazzi, créant une sorte de brume surnaturelle dans la scène du cimetière, utilisant des bleus subtils dans la forêt ou encore installant une atmosphère glacée dans le château à l’aide de blancs crus. L’œuvre est superbement dirigée par Daniele Callegari, chef invité au pupitre des grandes capitales lyriques, du Metropolitan Opera de New York à la Scala de Milan en passant par l’Opéra de Vienne. Il y a dans cet opéra une ouverture occupée par un long solo de violoncelle que Verdi avait tout spécialement écrit pour Alfredo Piatti. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’à la création, le 22 juillet 1847, le Her Majesty’s Theatre de Londres avait réuni quelques-unes des plus belles du monde et notamment la divine Jenny Lind surnommée « le rossignol suédois » à cause d’une voix d’une rare limpidité et d’une tessiture d’une vaste étendue atteignant le contre-sol ! Soulignons qu’à l’âge de 10 ans cette légendaire diva avait déjà chanté 400 représentations à l’Opéra de Stockholm et qu’elle devait faire ses adieux à la scène à 29 ans !
Ici c’est Roberta Mantegna, native de Palerme, qui interprète le rôle d’Amalia avec un timbre clair, un légato bien maîtrisé, des aigus francs et des mezza voce aisées. Les amateurs d’art lyrique connaissent parfaitement le ténor mexicain Ramon Vargas qui, à l’Opéra de Monte-Carlo, s’est illustré dans « Werther », « Ernani » ou encore « Simon Boccanegra ». On ne peut que louer sa solide technique qui n’est jamais prise en défaut, pas plus que son art du chant. Il affronte, en la circonstance, l’un des rôles les plus tendus du répertoire verdien et aussi l’un des plus endurants, parfois plus compliqué, à certains égards, que celui de Manrico du « Trovatore ». Mais la palme revient incontestablement dans cet ouvrage à Nicola Alaimo qui, sur cette même scène, avait interprété un des ouvrages également peu connus de Verdi, à savoir « Stiffelio » ainsi que Dandini dans « La Cenerentola »de Rossini en 2017 et qui reviendra la saison prochaine dans « Falstaff ». Dans son incarnation de Francesco il démontre, avec des dons impressionnants de chanteur et de comédien, qu’il est aujourd’hui l’un des plus éminents barytons verdiens de sa génération. A la fin de l’opéra en un duo avec le prêtre Moser qui rappelle, par la dramaturgie comme par les dialogues, l’opposition entre Philippe II et le Grand Inquisiteur dans « Don Carlos », il délivre non seulement un grand moment de théâtre avec une interprétation hallucinante mais encore une exceptionnelle leçon de chant où sa voix conjuguant à la fois l’ampleur et l’extrême qualité de timbre est doublée d’une articulation et d’une émission souveraines. Dans la distribution il faut également citer les sonorités sépulcrales de la basse russe Alexeï Tikhomirov qui dessine un saisissant Massimiliano et les rôles secondaires qui sont fort bien tenus par les deux ténors Reinaldo Macias en Arminio et Christophe Berry en Rolla ainsi que la basse Mikhaïl Timochenko en Moser. Le chœur, essentiellement masculin pour la circonstance, sous la direction de Stefano Visconti, est comme toujours, en ces lieux, particulièrement remarquable.
Christian Jarniat
19 avril 2018