Après le retentissant succès de Nabucco à La Scala de Milan en 1842, Giuseppe Verdi fut à nouveau invité par Bartolomeo Merelli à composer, pour ce théâtre qu’il dirigeait alors, un nouvel opéra et, le 11 février 1843, y était affiché son quatrième ouvrage I Lombardi alla prima crociata du même librettiste, Temistocle Solera, d’après un poème de Tommaso Grossi, ami de l’écrivain Alessandro Manzoni.
Giuseppina Strepponi écrivait dans son journal : “Le 11 Février, I Lombardi ont vu la lumière alla Scala après bien des tribulations à cause de la censure cléricale et eurent comme prévu un triomphe, qui se répéta bien 27 fois”*. Le succès se confirma en Italie et dans le monde, sans doute plus en raisons de l’écho aux aspirations et au patriotisme du peuple italien qu’au sujet lui-même. Un nouveau chœur « O Signore del tetto natio » après celui devenu emblématique de Nabucco, exaltait à nouveau la libération du joug de l’oppresseur. Au fil du temps, les représentations de cette vaste fresque se font plus rares et il faut louer l’Opéra Royal de Wallonie de son initiative à présenter des ouvrages du maître de Busseto rarement à l’affiche, comme ce fut le cas pour Alzira en novembre 2022 ou de JérusaleM en 2017 ( adapté dE I Lombardi et réécrit en français, pour l’Opéra de Paris).
Le livret regorge de nombreuses péripéties et rebondissements scéniques chers à Verdi, avec en toile de fond le périple de nobles Lombards participant à la première croisade doublé d’une histoire d’amour contrariée.
La scénographie de Pier Paolo Bisleri propose un dépouillement visuel au moyen de seuls panneaux peints stricts qui avancent, s’ouvrent et se ferment sur les protagonistes et les masses chorales. Peu de décors et d’accessoires, tout est concentré sur la musique et le livret. Seules notes colorées les magnifiques costumes de Françoise Raybaud, les lumières de Bruno Ciulli et la vidéo de Leandro Summo.
La metteuse en scène Sarah Schinasi nous décrit l’héroïne principale « au milieu des violences, la seule voix qui se bat pour l’unité et l’acceptation de la différence est celle d’une jeune femme courageuse. Comme une figure mythologique de grande prêtresse, Giselda prononce une puissante mise en garde prémonitoire qui lui confère une dimension aux connotations bibliques, presque surnaturelle »*. Sa Giselda devient centrale et par chance son interprète Salomé Jicia crève l’écran par son charisme, alternant la fureur et la passion d’une Abigaïlle ou d’une Odabella et le lyrisme d’une Desdemona. Elle assure avec cran toutes les difficultés de la partition (qui n’en sont pas pour elle) et insuffle une impulsion scénique personnelle malheureusement trop limitée chez certains autres protagonistes. Cela se remarque notamment chez son compatriote géorgien Goderdzi Janelidze, le parricide Pagano, devenu ermite pour expier ses fautes. La voix est belle, ample et sonore sur tous les registres mais perd en couleur dans certains passages plus dramatiques. Une caractérisation plus poussée du rôle, important par sa dualité bien/mal dans le livret, lui fait parfois défaut. Ramón Vargas en Oronte, premier ténor mais aux interventions peu nombreuses, nous livre dans ses rares airs et ensemble, une leçon de chant et du plus pur bel canto. Le style, le phrasé et l’ émotion dont il orne chaque note laissent pantois après plus de 30 ans de carrière.
Deuxième ténor de l’ouvrage, Matteo Roma dans le rôle d’Arvino père de Giselda. Voila un jeune chanteur (difficilement crédible en père par sa silhouette juvénile peu grimée) qui éblouit par sa technique et par la qualité de voix, habitué, et cela n’étonne pas, du Festival Rossini de Pesaro.
Luca Dall’Amico (Pirro), Aurore Daubrun (Viclinda), Caroline de Mahieu (Sofia) et Roger Joakim (le Prieur) complètement avec talent la distribution.
L’orchestre de l’Opéra royal de Wallonie est placé sous la conduite du chef renommé Daniel Oren, attentif, communiquant aux chœurs et aux chanteurs un souffle exhortatif (parfois audible par les spectateurs des premiers rangs !). Le solo de violon, véritable morceau de concert à la virtuosité « paganniniene » de la fin de l’acte 3, interprété par le Konzertmeister Julien Eberhardt, est frénétiquement applaudi… Enfin à tout seigneur tout honneur, louons les magnifiques chœurs (on note pas moins de 24 interventions) dirigés par Denis Segond.
Public enthousiaste, venu nombreux pour cette première de l’ouvrage dans l’écrin royal de l’Opéra de Liège. De nombreux rappels pour cette soirée enthousiasmante se terminant pas la célébration musicale de l’anniversaire du Maestro Daniel Oren, visiblement ému de cette attention.
Marie-Catherine Guigues
25 Mai 2023
* extrait du programme