Dans le petit village perché de Contes, dans la vallée du Paillon de l’arrière-pays niçois, René de Obaldia, amoureux des mots et de la poésie, a bien choisi son théâtre pour nous conter l’au-delà ! Le poète, dramaturge et romancier français, ayant quitté ce monde il y a de cela un an à peine, un an déjà, s’adresse à nous avec la verve qu’on lui connait, depuis la tombe de ses personnages, seul lieu où le temps s’arrête vraiment, pour nous laisser celui de nous retourner dans nos tombes et savourer enfin une grasse matinée!
Pourtant, les trains brisent de chiffres cette éternité : heures, minutes, nombre de wagons… On a tous un train à prendre, mais lequel ? La vie semble se prolonger sous terre de manière presque infernale : file d’attente pour le jugement dernier, confort des cercueils en chêne plutôt qu’en pin réveillant les différences de classes sociales, surpopulation dans le cimetière, asticots qui chatouillent et rappellent nos duels nocturnes avec les moustiques !…
La vie serait-elle éternelle, à l’instar de l’image qu’en donne Jean-Paul Sartre dans sa pièce Huis clos ? Si tel était le cas, il faudrait la prendre du bon côté tout de suite, et c’est ce que le virtuose dramaturge se tue à nous faire comprendre au travers du personnage d’Artémise (Mari Laurila-Lili), s’évertuant à transmettre sa vision positive de la vie… ou de la mort (!) à sa voisine de cercueil, Babeth (Elisabeth Piron).
Instants de poésie où l’on s’envole dans une tornade de mots, sur un plateau enchanté de mélodies d’oiseaux : chouette, moineaux, coucou, corbeaux… (univers sonore : Pierre Ballay), le haut est en bas, à six pieds sous terre, et pour cause : on plane très haut avec Obaldia, qui pour la petite ou plutôt la grande histoire, repose désormais juste derrière la tombe de Pierre… Larousse!
Sur la scène du théâtre de l’Hélice, qui doit son nom à celle de l’avion d’Auguste Maïcon qui atterrit à cet endroit précis en 1912, les répliques décollent et donnent le vertige ! Fougue, joie, pétillance, élégance, étincelles d’êtres, de lettres et d’esprits ! Même Babeth, personnage pessimiste et bougon, s’adonne parfois à des fous rires avec sa compagne de tombe et parvient à nous charmer par son implicite tendresse. Il faut dire que la compagnie Vis de Forme porte dans son A.D.N. même le jeu des mots et l’envers du décors !
Poésie mise en scène dans ce champ de repos, où le drapé d’un sol de linceuls blancs (80m2 de tissu) baigne dans un univers de lumières roses et bleues, chauffant l’étoffe pour nous livrer cette ambre naturelle tellement… surnaturelle ! Tandis que les draps luisants se meuvent et s’enlacent à l’horizontal, jouant de la sensualité de leurs reliefs et de leurs ombres et des embrassades de tissus parfois cheminant, se fronçant et se prélassant, des verticales de voiles lisses et raides, imperturbables comme l’éternité, plongent dans les cieux du décor. Ainsi Fabien Duprat, scénographe et metteur en scène et en lumières évoque-t-il brillamment les deux plans de la vie, le charnel et le spirituel dans le théâtre de l’Hélice, dont l’impressionnant équipement moderne lui permet de composer à sa guise.
Est-ce un mariage ? Un baptême ? Non, c’est ce passage de la vie à la mort, cet entre-deux, ni corps, ni âme encore, que l’auteur nous invite à rêver joyeusement. Dans ce songe, Fabien Duprat, hanté par une expérience de dix années de vie en Asie, s’engouffre aisément puisque à l’Est, on fête la mort en blanc ! N’est-ce pas la seule chose à comprendre de l’existence que celle de vivre de rire, de mourir de rire ?
Humour, fraicheur, jeunesse de cet immortel académicien, parmi les auteurs de théâtre français les plus joués au monde et les plus internationaux (traduit en 28 langues) depuis un demi-siècle, parti à cent-trois ans, à qui à sa naissance, on ne donnait que quelques heures à vivre, et qui peut se permettre de nous donner quelques leçons de fortune !
Véritable hymne à la vie depuis le caveau, irréfragable hymne à la mort depuis le plancher des vaches (face aux trains!), cette grasse matinée est une pure soirée de grâce !
Rejouée prochainement dans le Petit Auditorium du Théâtre Francis-Gag, au 4, rue de La Croix à Nice, dans une version «Christo» où le public lui-même sera assis dans de beaux draps !… Réservez votre samedi 4, 11 ou 18 mars à 19h. A la vie, à la mort !
Nathalie AUDIN
Samedi 4 février 2023