Giulio Cesare in Egitto, opéra de Georg Friedrich Händel
Bruxelles, Bozar Salle Henry Le Bœuf le 27 octobre 2023
Après Luxembourg puis Paris (Théâtre des Champs-Elysées) et avant Amsterdam et Cologne, Giulio Cesare in Egitto fait étape au Bozar de Bruxelles, dans la salle Henry Le Bœuf dédiée aux concerts. La tournée est emmenée par la star Cecilia Bartoli, au point que le programme de salle bruxellois a fait totalement disparaitre Händel et son empereur romain en couverture, en affichant la photo et le nom en grands caractères de la mezzo italienne. Il est aussi à noter que ce seront les mêmes artistes qui reprendront l’ouvrage en janvier à l’Opéra de Monte-Carlo, mais cette fois dans une mise en scène confiée à Davide Livermore.
Dirigés par Gianluca Capuano, les Musiciens du Prince-Monaco émettent d’emblée de très belles couleurs, dans des tempi enlevés qui dessinent un très vif Händel qui avance prestement. Les instrumentistes suivent fidèlement les indications de nuances données par le chef, le piano subito pouvant ainsi contraster avec plusieurs attaques pleines de mordant, en particulier pour ce qui concerne les coups d’archet des pupitres de cordes. On apprécie ces nuances, à quelques exceptions près, comme lorsque le même effet est répété plus que nécessaire. C’est aussi la même réserve qu’on peut émettre à propos des variations, à l’orchestre, opérées dans les reprises des airs. Le procédé surprend la première fois, mais a tendance à lasser rapidement à force de réutilisation systématique. Cet artifice se calme toutefois en cours de deuxième acte, si bien que l’écoute des nombreuses reprises da capo, telles que les a écrites Händel en version originale, forme une sorte de soulagement, les modifications d’ornementation restant à présent à l’initiative du chanteur soliste.
Honneur donc à Cecilia Bartoli qui ne défend pas le rôle-titre ce soir, mais a très vraisemblablement fait salle archipleine sur son nom à l’affiche. Après plus de 35 ans de carrière et malgré une voix que l’on entend légèrement rebelle par instants, la mezzo italienne demeure une remarquable musicienne, ainsi qu’une interprète d’exception. Sa Cleopatra dégage une indéniable sensualité dans les moments de séduction, mais sait aussi véhiculer la fureur ou encore l’émotion dans les séquences les plus douloureuses. Son air d’une grande douceur « V'adoro pupille » qui ouvre le deuxième acte fait ainsi sourire quand deux figurants agitent lentement des plumes d’autruche derrière la reine d’Egypte. Un peu plus tard, « Se pietà di me non senti » puis « Piangerò la sorte mia » au III sont conduits avec une voix aérienne où la souffrance est palpable, avec un court moment de fureur déchaînée en section centrale du dernier air. Enfin à la presque conclusion de l’opéra, les passages très fleuris de « Da tempeste » sont réalisés avec goût musical et précision, même si certaines phrases restent confinées dans un volume trop confidentiel pour former un feu d’artifice véritablement éclatant.
En Giulio Cesare, Carlo Vistoli recueille le même succès que celui de sa consœur, ovation totalement méritée. En pleine possession de généreux moyens, le contre-ténor italien se montre époustouflant de virtuosité dans les traits d’agilité les plus rapides, comme au premier acte « Empio, dirò, tu sei » où l’orchestre imprime un rythme d’une extrême célérité. « Va tacito e nascosto » semble ensuite un échange ludique entre le chanteur et un cor solo malheureusement d’une moindre stabilité d’intonation, puis au II c’est le violon solo qui dialogue avec davantage de sérénité au cours de « Se in fiorito ameno prato », Carlo Vistoli rivalisant de vocalises, trilles et quelques notes chantées en voix de poitrine qui font mouche.
Max Emanuel Cencic chante avec application le rôle de Tolomeo, mais manque de puissance dans cette salle davantage favorable à la musique qu’aux voix. Ceci à l’exception de plusieurs notes aigües projetées avec force, tandis que son timbre élégant ne caractérise pas exactement au plus près le rôle du méchant de l’opéra. Le rôle de Sesto a aussi été distribué à un contre-ténor, Kangmin Justin Kim qui se montre très expressif et vindicatif dans ses moments de colère (« Svegliatevi nel core ») mais également touchant lors de ses passages plus doloristes (« Cara speme, questo core » pour en rester au premier acte). Ecouter le timbre velouté et prenant de Sara Mingardo est toujours un vrai plaisir, dès son air d’entrée « Priva son d'ogni conforto » où son chant à fleur de lèvres évoque, avec une extrême délicatesse, tout le malheur de Cornelia et pourrait faire pleurer les pierres. La distribution est complétée par la solide basse José Coca Loza en Achilla, bien timbrée mais plus sonore dans la partie centrale de sa tessiture qu’aux extrémités.
Il faut aussi préciser que les six protagonistes prennent en charge les parties choristes, très peu nombreuses cependant dans cet opus. Le concert est plutôt animé et éloigné de l’image de solistes alignés en tenue de soirée derrière leurs pupitres. Sans partition en mains, les personnages animent l’action en allant et venant depuis les coulisses, tournant ou s’asseyant sur les deux chaises placées à l’avant de la scène. Et c’est là encore Cecilia Bartoli qui fait le spectacle, apparaissant d’abord avec les bijoux et la perruque au carré de la reine Cléopâtre, puis changeant plusieurs fois de robes par la suite. La standing ovation est quasi immédiate à l’issue du concert et les artistes prennent congé de l’auditoire en bissant le chœur qui termine l’opéra.
Irma FOLETTI
27 octobre 2023
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Gianluca Capuano : direction musicale
Les Musiciens du Prince-Monaco
Carlo Vistoli : Giulio Cesare
Cecilia Bartoli : Cleopatra
Max Emanuel Cencic : Tolomeo
Sara Mingardo : Cornelia
Kangmin Justin Kim : Sesto
José Coca Loza : Achilla
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