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Das Rheingold à La Monnaie de Bruxelles : Romeo Castellucci met le Ring wagnérien à nu

Das Rheingold à La Monnaie de Bruxelles : Romeo Castellucci met le Ring wagnérien à nu

mercredi 25 octobre 2023
Gábor Bretz et Marie-Nicole Lemieux©Monika Rittershaus/Scott Hendricks©Monika Rittershaus/Gábor Bretz©Monika Rittershaus

Das Rheingold, Prologue du Festival scénique Der Ring des Nibelungen de Richard Wagner
Bruxelles, Théâtre de La Monnaie le 26 octobre 2023

Le Théâtre de La Monnaie, qui n’avait pas monté Der Ring des Nibelungen depuis 30 ans, remet le monumental cycle wagnérien sur le métier, en coproduction avec le Liceu de Barcelone. Die Walküre sera proposée en janvier sur la scène bruxelloise et les deux dernières journées devraient s’y dérouler au cours de la prochaine saison 2024–2025. L’évènement tient d’abord à la présence de Romeo Castellucci à qui a été confiée la mise en scène de cette tétralogie. On se souvient que c’est à La Monnaie que Castellucci débutait en 2011 dans le domaine de l’opéra, en signant un Parsifal aux images que de nombreux spectateurs avaient jugées certes très originales mais pour le moins significativement décalées. L’artiste italien, qui prend également à sa charge la conception des décors, costumes et éclairages, signe ce soir une réalisation insolite et assez foisonnante par moments, mais qui reste cependant globalement bien en ligne avec l’ouvrage de Richard Wagner.

Le rideau se lève d’abord sur une séquence sans musique où l’on voit un grand anneau métallique tournoyer bruyamment scène, puis s’immobiliser au sol, avant l’intervention des Filles du Rhin dorées aux seins nus, les trois chanteuses étant doublées par trois danseuses qui exécutent quelques mouvements chorégraphiés. Ensuite nous est proposé un espace tout blanc décoré de sculptures, bas-reliefs et quelques statues, sur le sol duquel est allongée une foule de figurants « nus » en sous-vêtements couleur chair. Ces hommes et femmes se meuvent lentement comme une masse grouillante, rendant difficile l’avancée des dieux. Wotan et Fricka paraissent en effet marcher sur ces corps avec une grande précaution pour ne pas tomber, ce qui retire certainement une dose d’autorité et de colère aux paroles respectives des deux dieux. A l’arrivée des géants, les dieux sont remplacés par des enfants sur scène qui miment le chant émis en coulisse, un choix énigmatique, tout autant que frustrant pour l’auditeur. A l’enlèvement de Freia, ce sont des personnes âgées qui figurent Wotan et sa petite assemblée, lorsque ceux-ci sont privés des pommes donnant l’éternelle jeunesse… des oranges sorties d’un filet ce soir, dont certains essaient de presser les dernières gouttes de jus.

Puis on passe au noir des ténèbres du Nibelheim, où l’on assiste en direct à la confection d’un grand anneau métallique : cintrage du tube, découpe à la mesure et soudage enfin. La capture d’Alberich par Wotan et Loge marque les esprits : quand Alberich se transforme en crapaud grâce à son Tarnhelm, celui-ci est dépouillé de son masque d’affreux gnome, ainsi que de ses vêtements, pour se retrouver nu comme un ver. Les deux compères lui versent sur le corps un liquide gras et noir comme du pétrole et le soulèvent de terre attaché par les mains à l’anneau, un vrai supplice en somme. Retour enfin chez Wotan avec certaines images qui peuvent laisser dubitatif, comme les deux crocodiles noirs géants suspendus aux cintres que tiennent par la queue Fasolt et Fafner. A la mort du premier, un des deux reptiles s’écroule sur le plateau, comme un double du géant assassiné. L’image finale est saisissante, lorsque chaque personnage pour rejoindre le Walhalla, tombe à la renverse dans un trou géant au centre de la scène, un trou noir qui fait songer à une porte spatio-temporelle. Tous les personnages, à l’exception notable de Loge, traité dans ce spectacle comme une figure particulièrement comique par Castellucci ; il porte une seule chaussette et lance, par jeu ou irrespect, des boules d’encre noire sur des portraits de chanteurs et chanteuses de légende. 

La distribution vocale est de haut niveau, à commencer par le groupe des Filles du Rhin, bien homogène et coordonné. En dieu des dieux, Gábor Bretz est un baryton-basse au grain noble et suffisamment sonore dans ce théâtre, d’une élocution très claire également. Nous ne sommes pas habitués à entendre Marie-Nicole Lemieux dans le répertoire wagnérien, mais il faut souligner que ses débuts en Fricka sont très convaincants, d’un timbre riche allié à un style sobre… nous attendons avec impatience la suite de sa prestation dans Die Walküre. A côté de Peter Hoare qui a peu à chanter en Mime lors du Prologue, l’autre ténor Nicky Spence impressionne fortement en Loge, instrument concentré qui projette avec vigueur, jusqu’aux notes les plus aiguës. Du côté des basses, Scott Hendricks incarne un noir Alberich, dans un très grand numéro à la fois vocal et théâtral, tandis qu’Ante Jerkunica en Fasolt, assez limité dans le registre aigu, dispose d’un chant de grande ampleur, en compagnie du Fafner de Wilhelm Schwinghammer. La Freia d’Anett Fritsch fait entendre un aigu rayonnant et puissant, entourée de ses frères, le baryton Andrew Foster-Williams (Donner) et le ténor Julian Hubbard (Froh). Erda enfin est un rôle qui convient bien aux moyens de Nora Gubisch, un chant qui s’écoule dans un style sépulcral.

Directeur musical de La Monnaie depuis 2016, Alain Altinoglu fait avancer l’intrigue en maintenant une tension dramatique palpable. Ceci dès les premières mesures qui semblent sortir des entrailles de la terre, dans le noir complet de la salle…. et une petite lumière bleue dans la main du chef pour donner la mesure aux musiciens. Les contrebasses, les cuivres, puis bien vite tous les pupitres entrent en jeu, dans un harmonieux équilibre, qui veille également à ne pas mettre le plateau en difficulté. Ce qui n’empêche pas l’auditeur de goûter aux climax de la partition, comme lors de certaines séquences au Nibelheim. Après Lohengrin (2018), Tristan und Isolde (2019) et Parsifal (2022), le chef français confirme ses affinités avec le répertoire wagnérien et on peut attendre les prochains volets du Ring avec impatience. 

Irma FOLETTI
25 octobre 2023

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Direction musicale : Alain Altinoglu
Mise en scène, décors, costumes & éclairages : Romeo Castellucci

Dramaturgie : Christian Longchamp
Collaboration artistique : Maxi Menja Lehmann
Collaboration aux décors : Paola Villani
Collaboration aux costumes : Clara Rosina Straßer
Collaboration aux éclairages : Benedikt Zehm
Chorégraphie : Cindy Van Acker

Wotan : Gábor Bretz
Donner : Andrew Foster-Williams
Froh : Julian Hubbard
Loge : Nicky Spence
Fricka : Marie-Nicole Lemieux 
Freia : Anett Fritsch
Erda : Nora Gubisch
Alberich : Scott Hendricks
Mime : Peter Hoare
Fasolt : Ante Jerkunica
Fafner : Wilhelm Schwinghammer
Woglinde : Eleonore Marguerre
Wellgunde : Jelena Kordi?
Flosshilde : Christel Loetzsch

Orchestre symphonique de la Monnaie

Production : La Monnaie
Coproduction : Gran Teatro del Liceu (Barcelona)

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