Absent de Baden-Baden depuis 2014, Juan Diego Florès a fait un retour triomphal dans la salle comble du Festspielhaus pour ce concert de la Saint-Sylvestre, qui s’est joué à guichets fermés !!!
Le temps ne semble pas avoir de prise sur le roi des ténors, silhouette mince, élégant dans son costume trois-pièces impeccable, les cheveux toujours aussi sombres, voix de velours et de rêve !!!
Ce soir encore, il atteint des sommets comme il sait si bien faire, après 1heure et demie d’émotions, lorsqu’il interprète en bis à la guitare des chants hispanisants.
La soirée débute avec l’ouverture des Capuleti e Montecchi de Bellini, un peu poussive interprétée par la Philharmonie de Baden-Baden, dirigée par le chef espagnol Guillermo Garcia CALVO. Une salve d’applaudissements a accueilli l’arrivée de Juan Diego Florès lorsqu’il apparaît pour interpréter magnifiquement le récitatif et la cavatine de Tebaldo du même opéra. Quelle maîtrise et quelle maturité lui permettent de se jouer de toutes les difficultés, restituant avec l’art et la manière toutes les subtilités de la partition de Bellini. Sa partenaire pour la soirée, la soprano Marina Monzo l’accompagne divinement. La magie se poursuit avec « Ah, lève-toi soleil » air de Roméo de Charles Gounod. Quelle merveille chantée dans un français éblouissant de clarté, tout est rayonnant et lumineux ! du soleil à tous les étages !!! Moment de pur bonheur et émotion garantie dans le duo de l’acte IV « Nuit d’hyménée » où tout est douceur, sensualité. Leur interprétation tant vocale que scénique est sublime. Marina Monzo est une Juliette de rêve dans l’ariette du 2e acte « Je veux vivre dans le rêve ». Et c’est déjà la fin de la première partie.
La seconde partie du récital est consacrée à un répertoire plus léger et festif, avec l’air de Paris « Au mont Ida, trois déesses » de Jacques Offenbach. Juan Diego Florès, en véritable séducteur, avec comme seul accessoire une « pomme granny smith » déclenche l’hilarité du public. Son interprétation est irrésistible, avec en bonus une gestuelle extraordinaire et tout ça dans un français irréprochable : un vrai régal !!! Puis ce sont les « tubes allemands », tant attendus par le public badois avec l’ouverture de la Comtesse Mariza d’Emmerich Kàlman, suivi du grand air extrait du Pays du Sourire de Franz Léhàr « Dein ist mein ganzes Herz », de l’air d’Octavio de Giuditta du même compositeur « Freunde, das Leben ist lesbenswert » qui ont enchanté l’auditoire. La soirée (officielle) se termine en apothéose avec le duo de Mimi et Rodolfo de la Bohème de Puccini (dont on fête en 2024, le centième anniversaire de sa mort) « O soave fanciulla » et « Che gelida manina », sur le départ tellement romantique du couple d’amoureux.
Un programme entièrement dédié à l’amour. Puis c’est au tour des bis (pas moins de six) car Juan Diego Florès n’en est pas avare. Un assistant apporte une chaise et un petit pliant et le public a compris que le ténor allait interpréter des chansons espagnoles ou mexicaines accompagnées à la guitare. C’est ainsi qu’il nous charme avec « Cucurrucucu Paloma » avec de délicieuses roucoulades et une note tenue à l’infini, sorte de marque de référence (entendue lors du dernier récital en mai 2023 à Barcelone) , suivi de « Guantanamera ». Il continue avec « Auld lang Syne (ce n’est qu’un au revoir)… on pense que c’est la fin, mais non, la soirée continue. C’est au tour de la soprano Marina Monzo d’interpréter divinement « O mio babbino caro » de Gianni Schichi de Puccini, air qui clôture traditionnellement le récital, mais les deux chanteurs nous interprètent encore une zarzuela entraînante de Manuel Penella (El gato montès). Juan Diego Florès sait et peut tout chanter : Puccini, Bellini, Lehàr, Verdi : la preuve, c’est qu’avant de quitter la scène, il chante un dernier bis, et pas n’importe lequel : « La Donna è mobile » extrait de Rigoletto, l’air du Duc de Mantoue, séduisant, charmeur à souhait.
Cette soirée nous a aussi permis de découvrir une jeune chanteuse espagnole Marina Monzo, très en harmonie avec son partenaire d’un soir. Elle possède un timbre radieux, un legato somptueux et des aigus imposants, dommage que sa diction laisse à désirer. Aucun doute qu’elle fera une belle carrière.
La Philharmonie de Baden-Baden a pris beaucoup de bonheur à accompagner les deux artistes, surtout dans la seconde partie, plus légère. Le chef Guillermo Garcia-Calvo les a dirigés avec délicatesse, mais avec poigne, quand il le fallait.
Le public, aux anges, a salué chaleureusement et longuement les artistes, avec une salve d’applaudissements plus généreuse pour Juan Diego Florès qui, une fois de plus, a prouvé ce soir, qu’il est le digne successeur de l’incomparable Alfred Kraus.
C’était une belle manière de finir l’année 2023 en beauté !!!
Marie-Thérèse Werling