On ne souffre pas spécialement de l’absence des choristes, assez naturelle dans ces conditions de représentation resserrée autour des rôles principaux. Et on sourit aussi de bon cœur quand, en fin de deuxième acte, Alice appelle à l’aide les inexistants Ned, Will, Tom et Isaac pour l’aider à soulever le panier à linge où est enfermé Falstaff. On ne verra pas non plus ce panier jeté dans la Tamise, le réalisateur préférant cacher Sir John sous une table, avec des lumières bleues qui s’allument et un lancer général de confettis pour simuler le plongeon dans le fleuve. Entre les deux scènes du dernier acte, Bardolfo et Pistola accrochent sur la cloison du fond des portraits, un tableau de forêt et une tête de cerf, l’ensemble simulant le parc de Windsor du livret, sous les lumières, réglées par Giorgio Morelli, des lustres qui descendent des cintres. Des lampes de chevet sont également apportées, certaines posées au parterre dans la salle, ajoutant à la poésie des images.
La distribution vocale est plutôt homogène et dégage une atmosphère de troupe. Le Falstaff d’Elia Fabbian est truculent, tout en veillant à ne pas en faire trop dans l’humour. La voix est puissamment projetée, souveraine dans l’aigu même si l’intonation rencontre de petites imperfections. Les quatre commères forment un très beau groupe, en tête Ilaria Alida Quilico distribuée en Alice, très généreuse en décibels, à vrai dire comme si elle chantait à La Scala de Milan ! En Nannetta, Veronica Marini se montre très musicale et aérienne, contrastant avec les graves profonds des « Reverenza ! » émis par la Quickly d’Adriana Di Paola, moins à l’aise dans le registre aigu toutefois, tandis que Shaked Bar tient sans problème son rôle moins développé de Meg Page. Le Ford peu sonore et limité dans le grave d’Andrea Borghini et le ténor Vasyl Solodkyy, au timbre plutôt obscur en Fenton, marquent finalement moins les esprits et les oreilles que les trois rôles plus secondaires qui complètent : Gregory Bonfatti (Cajus), Roberto Covatta (Bardolfo) et Andrea Pellegrini (Pistola) qui prennent un plaisir visible à jouer la comédie.
L’évident point faible de cette représentation est cependant la partie musicale, assurée par seulement douze instrumentistes en fosse, dont un piano. Sous la baguette très énergique d’Alessandro Palumbo qui maintient la cohésion entre artistes tout au long du spectacle, on a rapidement le sentiment d’entendre une réduction de la partition verdienne, sans sa grandeur ni sa beauté habituelle. Ceci est vrai en particulier pour les passages aux cordes, qui « grincent » plus d’une fois. Mais il est évident qu’on ne peut logiquement pas attendre de fondu d’ensemble avec un quintette à cordes, soit en majorité un musicien par pupitre. Il ne s’agit pas là bien sûr de critique émise vis-à-vis de tel ou tel instrumentiste, mais bien du son qui résulte de l’ensemble. Pour les spectateurs marseillais par exemple, on se rapproche par moments de ce qu’on peut entendre au théâtre de l’Odéon, mais alors dans un répertoire généralement léger, où la bonne humeur rétablit l’équilibre avec la partie musicale. Dommage car la partition est jouée intégralement à Busseto et on en gardera dans notre souvenir les parties visuelles et vocales en priorité.
Irma FOLETTI
8 octobre 2023
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Falstaff, opéra de Giuseppe Verdi
Busseto, Teatro Giuseppe Verdi
Direction musicale : Alessandro Palumbo
Mise en scène : Manuel Renga
Décors et costumes : Aurelio Colombo
Lumières : Giorgio Morelli
Mouvements scéniques : Giorgio Azzone
Orchestre : Quintette de cordes Kyiv Virtuosi et Ensemble de vents La Toscanini
Sir John Falstaff : Elia Fabbian
Ford : Andrea Borghini
Fenton : Vasyl Solodkyy
Cajus : Gregory Bonfatti
Bardolfo : Roberto Covatta
Pistola : Andrea Pellegrini
Alice : Ilaria Alida Quilico
Nannetta : Veronica Marini
Quickly : Adriana Di Paola
Meg Page : Shaked Bar
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