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Festival Lehár de Bad Ischl : Die blaue Mazur (La Mazurka bleue)

Festival Lehár de Bad Ischl : Die blaue Mazur (La Mazurka bleue)

vendredi 8 août 2025

©Foto Hofer

Die blaue Mazur (La Mazurka bleue) de Franz Lehár est inconnue en France où – hélas ! – on ne joue plus quasiment de lui que La Veuve Joyeuse et le Pays du sourire, l’amateur éclairé n’étant, en outre, capable de citer, au mieux, que cinq ou six ouvrages du compositeur alors que sa production en compte 41 (en 52 années) !

Mais en ce pays d’Autriche qui lui a su, fort heureusement, conserver ses traditions musicales, cette opérette a été représentée à guichets fermés, et avec grand succès, au Festival Lehár de Bad Ischl1 !

Créée au Theater an der Wien le 28 mai 1920, Die blaue Mazur (La Mazurka bleue) appartient au « milieu » de la carrière de Lehár, au moment où l’Europe sort de la guerre et où la monarchie austro-hongroise s’est effondrée. Le livret est signé Leo Stein et Béla Jenbach.

Contrairement aux apparences le titre ne renvoie pas à une couleur arbitraire : la mazurka bleue représente symboliquement, dans la tradition polonaise, la dernière danse d’un bal à l’aube, quand le ciel bleuit, réservée au couple « véritable ». Lehár et ses librettistes, dans leur opérette, n’en révèlent le sens qu’à la fin : une métaphore explicite de la fidélité retrouvée.

Dans l’histoire du genre, plusieurs commentateurs voient en Die blaue Mazur: un retour au modèle classique d’opérette après les expérimentations d’avant-guerre, mais nourri de la mélancolie d’un monde disparu (noblesse abolie en Autriche en 1919, codes sociaux vacillants).

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©Foto Hofer

L’argument

Acte 1 : Le comte polonais Julian Olinski célèbre dans son château son mariage avec la comtesse viennoise Blanka von Lossin qui ignore que son mari a mené, jusque là, une vie dissolue ce qui lui est révélée avec l’arrivée malencontreuse de la danseuse Gretl Aigner, sa dernière amante qui, furieuse de ce mariage, est venue faire du scandale. C’est avec peine que l’ami de Julian, Adolar von Sprinz, essaie de calmer Gretl.

Un médaillon légué par la mère de Blanka lui conseille en cas de gros chagrin de chercher refuge chez le baron von Reiger. Blanka déclare à son mari rompre son mariage mais, prenant sur elle, décide néanmoins de participer à l’hommage aux mariés organisé selon la tradition polonaise. Blanka joue le jeu et finit même par s’étourdir dans une danse exaltée avant de s’enfuir inaperçue.

Acte 2 : Blanka arrive chez le baron von Reiger (jadis amoureux de la mère de Blanka) . Le baron lui présente ensuite son neveu Engelbert, qui ressemble, trait pour trait, à Adolar lequel affirme néanmoins être son frère jumeau. Restée seule, Blanka songe avec mélancolie à ses espoirs brisés mais des accents de valse éveillent en elle des sentiments cachés qui la font aspirer à l’amour avec une passion ardente. Submergée par la fatigue, elle finit par s’endormir.

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©Foto Hofer

Acte 3 : Le baron von Reiger organise une fête en l’honneur de Blanka. Celle-ci reçoit un superbe bouquet de roses qui précède l’arrivée de son mari venu lui rendre sa liberté mais, ceci, après qu’ils auront partagé une dernière danse : une mazurka qui se danse à l’aube, lorsque le ciel devient bleu, et par un homme qui jure fidélité à celle qu’il aime. Blanka, ayant compris le message, pardonne et renonce au divorce. Adolar, quant à lui trouve l’amour entre les bras de Gretl.

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Kaiservilla ©DR

L’œuvre au Festival Lehár de Bad Ischl

La mise en scène

Le 28 juin 1914, à Sarajevo, un jeune nationaliste serbe assassine le couple héritier du trône austro-hongrois. Un mois plus tard, dans sa résidence d’été de Bad Ischl ( Kaiservilla ) ( photo ci-dessus), l’empereur François Joseph signe la déclaration de guerre de l’Autriche contre la Serbie qui allait entraîner le second conflit mondial.

La première opérette de Franz Lehar après l’armistice du 11 novembre 1918 est Die blaue Mazur créée en 1920. Lehár commença à la composer sur le livret de Bela Jenbach et Leo Stein le 13 juillet 1918 à Bad Ischl. La conjonction de ces éléments ont sans doute inspiré l’adaptation de Jenny W.Gregor en collaboration avec la metteuse en scène Angela Schweiger qui recadre l’action autour de la césure 1914-1918 comme fil conducteur accentuant les ombres de la fin d’un monde que la musique de Lehár laque d’élégance. Le dénouement de l’œuvre demeure en pointillé. Julian meurt-il au front ou Blanka devenue infirmière aux armées retrouve-t-elle un mari brisé par la guerre ? En tout état de cause dans cette production l’avenir du couple reste incertain à défaut du happy end attendu accréditant ainsi certaines pages très « opératiques » de la partition où planent les influences de Puccini, Richard Strauss, Korngold ou Schönberg avec des finals extrêmement développés et exigeant des chanteurs pourvus d’une extension vocale de « grand lyrique » ( à rapprocher par exemple du long et difficile duo qui clôt l’acte 2 du Pays du sourire )  

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©Foto Hofer

Par ailleurs la mise en scène adopte une conception résolument originale en instituant Adolar et Gretel  comme narrateurs et fils conducteurs de l’action. Placés côté cour, dans un espace réduit et dépouillé, ils apparaissent comme un couple modeste, presque prolétaire. Vivant chichement autour d’un poêle de fonte, une table minuscule et quelques accessoires ils deviennent les commentateurs de l’action principale.

Ainsi, par leurs interventions, le temps scénique se trouve déstructuré : on passe de l’année 1914 – celle du mariage de Julian et Blanka, marqué par leur rupture amoureuse – à l’année 1918, où Adolar et Gretel se remémorent le passé et interrogent le devenir des protagonistes. Cette oscillation temporelle permet d’inscrire l’opérette dans une perspective historique et sentimentale plus large que son intrigue de base, reliant la légèreté viennoise à la gravité d’une Europe meurtrie par la guerre. Leur rôle introduit une distance critique, parfois ironique, qui contraste avec la flamboyance des scènes principales et enrichit la dramaturgie.

Ce procédé narratif donne donc à l’opérette une profondeur nouvelle. En brisant la linéarité du récit, la mise en scène met en valeur l’évolution de la société et des mentalités entre 1914 et 1918, tout en humanisant l’histoire par le regard tendre et nostalgique d’Adolar et Gretel. Ce fil rouge, à la fois intime et universel, inscrit Die blaue Mazur dans une réflexion plus large sur le temps, la mémoire et les illusions de la jeunesse confrontées aux bouleversements de l’Histoire. ( On est bien loin de certaines bluettes désincarnées qui donnent une image péjorative du genre ! )

Outre l’intérêt évident de cette mise en scène qui revisite intelligemment l’œuvre de Lehár, le public a apprécié la chorégraphie élégante et enlevée de Katharina Glas ainsi que les costumes parfaitement en situation signés Peter Plaschek.

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Lehár Villa ©DR

En la forme : une version semi-scénique

Depuis des décennies le Festival Lehár de Bad Ischl – à quelques pas seulement de la villa du compositeur (photo ci-dessus) –  propose traditionnellement dans son programme estival une « version semi-scénique » avec l’orchestre sur le plateau mais pour autant assortie d’éléments de décors à cour et jardin qui changent, d’artistes en costumes, de lumières, de ballets et bien entendu, d’une véritable mise en scène ce qui permet aux spectateurs d’assister à un spectacle théâtral absolument complet d’un point de vue visuel.

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©Foto Hofer

Mais considération particulièrement importante : cette version semi-scénique donne lieu presque systématiquement à un enregistrement intégral et, ceux qui fréquentent assidûment le festival peuvent, l’année suivante, se procurer à l’intérieur même du théâtre les CD de l’œuvre qui a été présentée l’année précédente. Ainsi, avons nous pu constater que Schön ist die Welt  (Le Monde est beau) auquel nous avions assisté en 2023 était publié. Sans que la liste en soit exhaustive, nous citerons parmi les œuvres de Franz Lehár ainsi enregistrées in situ : Eva en 2005, Frasquita en 2011,Wo die Lerche singt (Où chante l’alouette) en 2014, Die Juxheirat (Le Mariage pour rire) en 2016, Cloclo en 2019, Wiener Frauen (Femmes Viennoises) en 2022 sans compter, bien entendu quelques œuvres de compositeurs autres que Franz Lehár.

Cependant pour des raisons qui tiennent à ce que Der Sterngucker (L’Astronome), à l’affiche en 2024, a déjà été enregistré en 2001 par L’Académie de musique de chambre allemande de Neuss pour la firme CPO et que pour la même firme Die Blaue Mazur (La Mazurka bleue) programmée en cet été 2025 a déjà été gravée en 2008 avec l’Orchestre d’État de Brandebourg à Francfort, ces deux ouvrages ne font pas l’objet d’enregistrement au Festival Lehár de Bad Ischl.

La distribution

Parmi les trois productions présentées cette année au Festival Lehár de Bad Ischl, c’est sans doute dans Die Blaue Mazur que l’on aura trouvé la distribution la plus homogène, mais aussi la plus brillante. L’opérette de Lehár – comme la plupart de ses œuvres – n’est en effet pas, comme on l’indiquait plus haut, une « bluette légère » : elle exige des voix franches, larges, souvent proches du répertoire d’opéra, tant par l’ampleur des phrases musicales que par la densité dramatique de certaines scènes. À ce titre, le festival a réuni un plateau d’une cohérence exemplaire, servi par des artistes capables de transcender l’écriture vocale pour en révéler toute la richesse.

Ce choix de chanteurs confirme une ligne artistique exigeante : loin de réduire Lehár au simple divertissement, on défend en ces lieux une vision où l’opérette requiert des moyens comparables à ceux de l’opéra. Le Festival Lehár, fidèle à sa réputation, confirme ainsi sa capacité à réunir des distributions d’exception capables de donner à l’opérette toute sa noblesse lyrique.

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©Foto Hofer

On connaissait déjà Corina Koller (Blanka) appréciée à Bad Ischl dans Der Sterngucker (L’Astrononome) du même Lehár, également dans Der Bettelstudent (L’Etudiant pauvre) de Carl Millöcker et dans Der Vogelhändler (Le Marchand d’oiseaux)  de Carl Zeller. On l’avait alors remarquée pour sa fraîcheur interprétative et son sens du style, mais ce qui frappe désormais, c’est l’évolution remarquable de l’instrument. La voix a encore gagné en maturité, en ampleur dans le médium et en puissance dans le registre aigu, la chanteuse sachant en outre ménager d’habiles demi-teintes. Nul doute que s’offrent à elle de nouveaux horizons, tant dans la « grande opérette » que dans l’opéra.

À cette aisance vocale s’ajoute un tempérament ardent : Corina Koller campe une héroïne vive, sensible, mais aussi passionnée, donnant au rôle une densité qui dépasse le simple cadre de l’opérette souriante. Une interprète dotée d’un évident charisme chez laquelle on sent une réelle vocation lyrique. Pareille prestation pourrait marquer un nouveau tournant dans sa carrière.

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©Foto Hofer

À ses côtés, le ténor Daniel Pataky, d’origine polonaise, constitue une révélation. Sa voix claire et lumineuse, généreuse sans jamais forcer, parfaitement soutenue par une ligne de chant soignée, en fait un Julian Olinsky de premier plan. La clarté du timbre se conjugue à une belle précision dans l’articulation, On perçoit chez lui une réelle solidité technique, capable de franchir sans effort les élans plus lyriques de la partition.

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©Foto Hofer

Le couple secondaire formé par Lukas Karsel (Adolar) et Marie-Louise Engel-Schottleitner (Gretl) – ici encore plus expressive que dans Ciboletta de Eine Nacht in Venedig – mérite une mention particulière. Tous deux – irrésistibles de verve – maîtrisent avec une aisance confondante les trois facettes essentielles de l’opérette : le chant, la comédie et la danse. Leur duo apporte un contrepoint pétillant et toujours juste, équilibrant l’intensité dramatique du couple principal.

A souligner la prestation de Lukas Karsel particulièrement éblouissant dans un rôle où il change avec une vitesse surprenante de personnages. Véritable « showman », les grands emplois de comédie musicale lui sont largement ouverts. Ici la mise en scène d’Angela Schweiger et la chorégraphie de Katharina Glas lui offrent de multiples occasions de déployer son humour, son sens de la scène, son charme, son abattage et sa virtuosité chorégraphique, qualités qu’il exploite avec un naturel désarmant.

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©Foto Hofer

Mentions pour Martin Achrainer qui incarne un Baron von Reiger de classe ainsi qu’à Claudiu Sola pour un Lépold Klammdatsch humoristiquement campé.

Cette distribution exemplaire (et homogène) démontre que Die Blaue Mazur n’est pas une opérette de second plan mais bien une œuvre exigeante, où la qualité vocale doit se hisser au niveau de l’invention mélodique et du raffinement orchestral du compositeur. 

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©Foto Hofer

C’est cette cohésion qui donne à Die blaue Mazur une intensité rare d’autant que le magnifique orchestre est placé sous la baguette de Marius Burkert éminent spécialiste de Franz Lehár qui sait mettre comme peu en évidence l’élégance viennoise de la musique du maître de Bad Ischl et le foisonnement luxuriant d’une partition raffinée d’un compositeur particulièrement inspiré sur le plan des couleurs et des contrastes d’une écriture complexe. Le chœur se révèle également, et comme de coutume, à la hauteur de l’enjeu.

Un sommet de l’édition 2025 du Festival Lehár de Bad Ischl !

Christian JARNIAT
8 août 2025

1A noter que Die blaue Mazur a été aussi représenté au festival de Baden au cours de l’été 2020

Direction musicale, Marius Burkert
Mise en scène : Angela Schweiger
Chorégraphie : Katharina Glas
Costumes : Peter Plaschek
Directeur du chœur : Matthias Schoberwalter

Distribution :

Julian Graf Olinski : Daniel Pataky
Blanka von Lossin: Corina Koller
Clemes Freiherr von Reiger : Martin Achrainer
Adolar von Sprinz : Lukas Karzel
Leopold Klammdatsch : Claudiu Sola
Gretl Aigner: Marie-Louise Engel Schottleitner
Freyhoff und Diener Alois : Philip Guirola Paganini

Le Lehár Festival Kristall 2025 va à… Lukas Karzel…Félicitations

Discographie sélective de Die blaue Mazur

1961 (ORF, studio) Chœur et Orchestre du Landestheater Linz  Direction musicale : Fritz Zwerenz –  Heidemarie Ferch, Rudolf Christ), Liselotte Schmidt Rolf Döring Enregistrement radio de 1961 (ORF), réédité en 2 CD par des labels d’archives (Hamburger Archiv / Cantus Classics). Parutions commerciales recensées, p. ex. réédition 2017 (2 CD).

2007 (CPO) Kammerchor der Singakademie Frankfurt & Brandenburgisches Staatsorchester Frankfurt Direction musicale : Frank Beermann – Johanna Stojković, Julia Bauer, Johan Weigel, Jan Kobow, Hans Christoph Begemann. Label CPO, réf. 777331-2, 2 CD (enregistré env. 2007, parution déc. 2008 / fév. 2009) ;

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