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FESTIVAL DONIZETTI DE BERGAMO : Une « Lucie » française, sans éclats et sans lumière

FESTIVAL DONIZETTI DE BERGAMO : Une « Lucie » française, sans éclats et sans lumière

samedi 18 novembre 2023

©Festival Donizetti

Donizetti avait envie de travailler régulièrement à Paris, pour donner une dimension internationale à sa brillante carrière, comme le faisait son compatriote Rossini. La création de Lucia di Lammermoor à Paris en 1839 consolida la renommée de Donizetti.

La version française avec une traduction du livret original de Cammarano par Alphonse Royer et Gustave Vaëz, contient des différences importantes par rapport à la Lucia italienne. Donizetti réécrit des récitatifs. Par contre, les personnages d’Alisa (confidente de Lucia) et Raimondo disparaissent totalement et se fondent dans un nouveau personnage, Gilbert, qui apporte une part de cynisme dans cette œuvre. Cela provoque une autre différence de taille par rapport à l’italienne : c’est l’isolement de Lucie, qui devient ici, le seul personnage féminin et perd ainsi ses deux confidents. En plus, la cadence de la scène de la « folie » est l’originale du compositeur et bien plus longue que celle composée à la fin du 19e siècle pour Nelly Melba (soprano australienne et élève de Mathilde Marchesi à Paris).

La soirée bergamasque s’annonce mouvementée. Le directeur artistique du Festival Donizetti de Bergamo, annonce, en lever de rideau, la méforme de Caterina Sala, mais qu’elle assurera tout de même son rôle. Il annonce également le 83e féminicide en Italie et lui dédie la représentation. L’actualité, une fois de plus, a sinistrement et violemment rejoint le théâtre. On est d’autant plus offusqué et choqué par la mise en scène de Jacopo Spirei, pour qui la violence que subit Lucia est celle que subissent toutes les femmes.

Le ton est donné dès l’ouverture du rideau où les chasseurs (telles des hordes sauvages) , pendant le premier chœur chanté avec une violence excessive, traquent non pas le gibier, mais violentent et tourmentent quatre jeunes filles, dont on découvrira à la fin de l’œuvre, les corps sans vie, abandonnés dans la forêt, à côté d’une voiture calcinée.

Dans cette mise en scène, agressive, violente à outrance, le décor et les costumes sont également problématiques : Edgard vêtu d’un blouson en cuir et d’un jean semble venir direct de « West Side Story ». Quant à Lucia, elle est affublée de tristes vêtements, sans couleurs… Quant au décor, il se résume souvent à des toiles peintes représentant les arbres d’une forêt sinistre. Par contre, on cherche toujours la signification du dernier acte : cadavres de femmes amoncelés, carcasse de voiture incendiée. On est censé être dans le cimetière privé de la famille d’Edgard, usurpé par la famille d’Henry, et nous voilà en direct d’une « zone de banlieue ». Le metteur en scène Spirei a décidément donné et rajouté dans l’abject. Il a été copieusement et fortement hué lors de sa venue sur scène, où il a même montré une certaine arrogance. Eh oui, sa mission est accomplie : on a parlé de lui – triste pour le théâtre. Quand les Directeurs de théâtres et d’opéras arrêteront-ils d’engager des metteurs en scène de la sorte ????

Quant au plateau vocal et musical, il n’est pas à la hauteur d’un Festival (digne de ce nom). Qu’est-il arrivé au Festival Donizetti de Bergamo ?

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©Festival Donizetti

En dépit de son indisposition annoncée en lever de rideau, Caterina Sala interpréta tout de même Lucia. Elle possède une belle voix, homogène, mais est-elle adaptée pour ce rôle si exigeant ??. Malheureusement, après l’entracte, Francesco Micheli, la mort dans l’âme, revient une nouvelle fois, nous annoncer ce que nous craignons, qu’elle ne pourra plus chanter, mais qu’elle mimera le rôle, et que bien sûr, elle ne pourra pas assurer l’épreuve de la scène de la folie. C’est donc, la jeune Vittoriana De Amicis qui viendra sauver la représentation, en interprétant le troisième acte, derrière un pupitre, à côté de la scène. Sa voix est haute, de beaux aigus, bien préparés techniquement (sa voix semble même plus appropriée au rôle de Lucia), mais malheureusement, la fin de la scène de la « folie » s’est soldée par un désastre.

Gilbert, (âme damnée et traître) est très bien incarné par le ténor costaricain David Astorga. Sa voix solide, intéressante et puissante sait se faire entendre dans le rôle de ce personnage sournois et sinueux.

La basse Roberto Lorenzi, campe le Pasteur, à peine complaisant, avec des attitudes un peu déconcertantes pour un pasteur.

Julien Henric (ténor au timbre fort agréable) interprète à merveille le rôle d’Arthur. Il a fait preuve d’une voix attrayante, un chant bien articulé et une présence scénique retentissante. De plus, son français était impeccable.

Le choix du ténor Patrick Kabongo pour le rôle d’Edgard est surprenant et décevant. Sa voix est petite, d’un calibre plus approprié aux Passions et Cantates de Bach. Il manque d’extension et de mordant, avec certes, quelques belles notes aiguës. Il manque cruellement d’accents vibrants dans les passages dramatiques, (scène du mariage avec le duo Lucia et Henri), aucune alchimie ni passion entre lui et Sala dans le duo du premier acte. Bref, son rôle excédait ses moyens. On peut même parler d’une « erreur de casting ».

Dans le rôle du frère monstrueux et cynique, Vito Priante a fait preuve d’une énergie vocale et scénique incroyables, qui n’a connu aucune baisse de régime !! et de ce fait, a maintenu le personnage sur les hauteurs de l’antipathie, et dans un français de très bonne qualité.

Le chef français Pierre Dumoussaud a fait ce qu’il a pu avec un Orchestra Gli Originali, pas à la hauteur de l’œuvre, avec des sonorités parfois mauvaises et laides, qui a joué sur des instruments « anciens ». Pourquoi laisser les musiciens jouer sur des « instruments orginaux » et ensuite laisser l’action se dérouler dans une époque contemporaine (autre erreur de la Direction du Festival).

Les artistes ont été applaudis parfois timidement, mais comme la veille, des huées fortes et justifiées pour Jacopo Spireis (réalisateur), Mauro Tinti (décors) et Agnese Discounti (costumes).

A quand des metteurs en scène qui nous feront à nouveau rêver ???

Marie-Thérèse Werling

18 novembre 2023

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