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Clôture en apothéose du Festival d’Aix-en-Provence avec Lucie de Lammermoor

Clôture en apothéose du Festival d’Aix-en-Provence avec Lucie de Lammermoor

lundi 24 juillet 2023
Lisette Oropesa/Nicolas Courjal, Yu Shao, Florian Sempey et Lisette Oropesa/ Lisette Oropesa et Florian Sempey/John Osborn ©Vincent Beaume
Après les succès remportés par Le Prophète de Meyerbeer et Otello de Verdi, Lucie de Lammermoor de Donizetti venait donc conclure cette superbe trilogie des opéras donnés en version de concert au Grand Théâtre de Provence constituant également le dernier opus du festival qui fêtait cette année ses 75 ans d’existence.
Sortant des sentiers battus, c’était donc la version française (et non l’originale en italien) qui était offerte au public aixois. On sait que Lucia di Lammermoor a été créée en 1835 au Teatro San Carlo de Naples. Pour autant Donizetti avait une affection toute particulière pour la France. Le livret fut donc traduit par Alphonse Royer et Gustave Vaëz afin de représenter cet opéra dans notre langue. Le Théâtre de la Renaissance l’accueillit à Paris en 1839 avec Anne Thillon et Achille Ricciardi.

Dans cette version française beaucoup de changements sont opérés, notamment les noms "francisés" pour les besoins de la cause, mais de surcrôit le développement de certains rôles comme celui de Normanno tansformé en Gilbert, tandis que la suivante de Lucie, Alisa, disparaît complètement. Lucie devient, de ce fait, le seul personnage féminin de tout l’opéra et le centre d’intérêt et de convoitise mais aussi la victime des hommes. Arthur apparaît dès l’origine au premier acte dans un dialogue avec Henri Aston qui le rassure sur les sentiments de l’héroïne alors qu’habituellement il n’intervient qu’ultérieurement lors de la scène du mariage. De même dans la version italienne, Normanno intercepte et modifie les lettres d’Edgardo pour démontrer à Lucia la trahison de celui qu’elle aime. Dans la version française cette intrigue est quelque peu différente puisque Gilbert, aux mêmes fins, subtilise à Edgard l’anneau que Lucie lui a donné en gage de sa fidélité. Le rôle du chapelain Raimondo est réduit et le duo du deuxième acte entre ce dernier et Lucia (dans la version originale italienne intégrale) disparaît. En plus de ces modifications dramaturgiques, c’est également sur le plan musical que l’on peut constater des différences notables, à savoir – entre autres – l’air d’entrée de Lucia « Regnava nel silenzio » remplacé par « Que n’avons-nous des ailes » et la cabalette qui suit  « Quando rapito in estasi » substituée par « Toi par qui mon cœur rayonne ». Outre le changement total des paroles, ce sont d'autres pages musicales qui sont offertes au public. Dans le duo entre Edgard et Henri à l’acte 3 où les hommes viennent se défier dans la perspective d'un duel, le récitatif d’Edgardo est supprimé. L’air de la folie de Lucia à l’acte 3 est quelque peu modifié mais reste pour l’essentiel celui de la version italienne ainsi d’ailleurs que le duo entre Lucie et Edgard à l’acte 1.

La production du festival d’Aix-en-Provence réunissait l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Lyon sous la baguette de son directeur musical Daniele Rustioni. L’attention que ce chef porte non seulement à l’orchestre mais aux chanteurs vers lesquels il est souvent tourné, se préoccupant sans cesse des tempi à leur insuffler et portant à bout de baguette leurs inflexions vocales, démontre avec éloquence son sens aigu du théâtre d’une manière d’ailleurs identique, aussi bien par son engagement que par son dynamisme, à celle de Michele Mariotti qui était, quelques jours auparavant, au pupitre pour Otello.

La distribution comprend à la fois des chanteurs français et pour les deux principaux protagonistes des artistes américains. Lisette Oropesa qui incarne Lucie s’est illustrée depuis un certain nombre d’années aussi bien dans les rôles de soprano léger comme Adina de L’Elixir d’Amour, Norina de Don Pasquale ou Marie de La Fille du régiment mais également dans des rôles de soprano lyrique comme Violetta de La Traviata ou Gilda de Rigoletto. Dotée d’un registre aigu très étendu qui lui permet de briller sur toutes les vocalises avec une virtuosité confondante, elle est ici l’interprète idéale de Lucie faisant valoir dans ce rôle un médium conséquent mais aussi une ampleur vocale dans le haut registre tout en ciselant à merveille ses vocalises. De surcroît l’interprète est complètement engagée dramatiquement et a obtenu, comme il fallait s’y attendre, un véritable triomphe après son air de la folie du 3ème acte. 
Le ténor Pene Pati devait initialement assumer le rôle d’Edgard mais étant souffrant, il fut remplacé par John Osborn qui s’était produit, sur cette même scène, quelques jours auparavant en Jean de Leyde dans Le Prophète. Edgard entre parfaitement dans le répertoire de John Osborn car on sait le ténor américain être un éminent spécialiste du belcanto romantique italien. On peut à nouveau reprendre ici ce que nous avions écrit dans ces mêmes colonnes le concernant quant à la noblesse de son style, le sens de son phrasé, son élégance vocale naturelle et sa prononciation française parfaite (ce qui était aussi le cas pour sa partenaire féminine). A leurs côtés, le baryton français Florian Sempey campa un remarquable Henri Aston par le mordant de son émission incisive avec une voix bien timbrée, richement colorée, large et assortie d’un aigu percutant. Ce trio majeur était entouré de Nicolas Courjal qui, après ses remarquables succès dans Les Huguenots à Marseille et Mefistofele à Toulouse(1), trouvait en Raymond un emploi plus modeste d’autant que, nous l’avons indiqué, le rôle était écourté de son duo avec Lucie. On a apprécié une fois de plus la qualité de ses accents ainsi que son interprétation toujours en pleine adéquation avec le climat dramatique. Les deux ténors Sahy Ratia et Yu Shao, respectivement dans Gilbert et Arthur, ont été particulièrement remarqués pour leur timbre clair comme pour leur aplomb scénique. On a dit tout le bien qu’il fallait penser de la direction fulgurante du maestro Daniele Rustioni aussi attentif qu’expressif à la tête du magnifique orchestre de l’Opéra de Lyon. Le chœur de ce théâtre se situe au même niveau : celui de l’excellence. Comme pour les précédentes cette version de concert s’est avérée admirablement éclairée et pertinnement « théâtralisé » 

Le succès de cette Lucie de Lamermmoor (dans une salle archicomble) fut en tous points impressionnant. Il dépassa même en ampleur ceux du Prophète et d’Otello pourtant très longuement acclamés. Le public debout ne cessait d’applaudir et les « bravos » fusaient de toutes parts. On réclama même avec insistance un « bis » ! Décidément ce 75e anniversaire du festival se clôturait en apothéose !…

Christian Jarniat
24 juillet 2023

(1) Ces deux ouvrages ont été chroniqués dans nos colonnes

Direction musicale : Daniele Rustioni
Assistante direction musicale : Carmen Santoro

Lucie Ashton : Lisette Oropesa
Edgard Ravenswood : John Osborn
Henri Ashton : Florian Sempey
Raymond Bidebent : Nicolas Courjal
Lord Arthur Bucklaw : Yu Shao
Gilbert : Sahy Ratia

Chœur : Chœurs de l’Opéra de Lyon
Chef des chœurs : Benedict Kearns
Orchestre : Orchestre de l’Opéra de Lyon

 

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