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Cendrillon à l’opéra de Limoges

Cendrillon à l’opéra de Limoges

vendredi 12 mai 2023
Crédit-photos : Steve Barek

Survol de l’ouvrage
En 1899, date de la création de Cendrillon à l’Opéra-Comique, Jules Massenet (1842-1912) a déjà composé ses ouvrages les plus populaires, Manon, Thaïs ou Werther. Pour ses dernières partitions il s’oriente dans des voies assez diverses. La vie musicale à la fin du siècle est elle-même assez contrastée. Il y aura Pelléas et Mélisande (1902), mais aussi l’opéra naturaliste et Louise (1900). Les ouvrages de Puccini sont créés à Paris (La Bohème, 1898, en français à l’Opéra-Comique). De nombreux compositeurs prennent toujours position par rapport au wagnérisme. La modalité redécouverte peut expliquer le recours aux formes du pastiche des œuvres classiques dans le ballet et l’opéra-comique (Le Roi l’a dit, Isoline)…  Cela conduit Massenet à recourir à maintes formes juxtaposées dans Cendrillon introduisant beaucoup de variété dans l’ouvrage.
Il faut dire que le sujet de Cendrillon, tel qu’il est développé par les librettistes Henri Cain et Paul Collin à partir du conte de Charles Perrault, met en scène des situations et des personnages nouveaux nécessités par le passage du récit au théâtre et propres à l’époque. Il y a d’abord la féerie (tout un acte lui est consacré) avec la voix colorature de la Fée. Pandolfe, le père de Cendrillon, prend une place déterminante. Sa révolte envers sa femme et ses conséquences ne sont  pas sans ambiguïté. Sa relation fusionnelle avec Cendrillon s’équilibre avec le souvenir de la mère qui ressurgit à la fin du premier tableau de l’acte III (riche terrain pour la psychanalyse !). La conversation en musique (préparatifs pour se rendre au bal, scène de la cour pour tirer le roi de sa mélancolie) nourrit la bouffonnerie la plus verveuse… Enfin le ballet (pour lequel Massenet excluait le tutu !) et les nombreux pastiches de la tragédie lyrique sont accordés à un esprit du temps nostalgique des formes anciennes.

Une mise en scène poétique et décalée
La scénographie, les costumes et la mise en scène sont d’Ezio Toffolutti (avec le remontage à Limoges par François Bagur). La première évoque les lieux censés réalistes de l’intrigue. Le logis de Pandolfe et le palais du Prince Charmant sont des décors aux teintes passées quelque peu Grand Siècle, voire néo-classique pour le lieu de pouvoir. L’enchaînement des tableaux mérite l’attention. Si le Chêne aux Fées s’installe commodément dans la salle du logis, le rideau de scène plus abstrait (un mur fissuré) revient comme décor au premier tableau de l’acte IV. Il laisse apparaître des branchages printaniers accordés à l’exaltation juvénile de Cendrillon chantant l’« Avril ami ».
La mise en scène fait vivre un monde en ébullition qui va être soumis aux métamorphoses et aux soubresauts dont le conte a le secret. On voit d’abord une vie familiale déboussolée. On imagine en arrière plan une société sans doute promise à des bouleversements sociaux. L’hystérisation des comportements de Madame de la Haltière et de ses filles et la circulation mécanique et sans raison des domestiques s’opposent au calme de Pandolfe, Les coups d’éclat du père viendront plus tard. Même contraste à la réception chez le Roi où se déroule un ballet très rythmé mais saccadé et inharmonique. Les costumes féminins les plus excentriques et bariolés (notamment les robes paniers déstructurées), les déguisements commedia dell’arte se mélangent aux tenues naturalistes mais trans-historiques des corps de métier. Une véritable folie s’empare de ce bal hétéroclite apparaissant comme un défi aux prétentions élégantes de l’aristocratie imaginée par Mme de la Haltière elle-même totalement ridicule. Le Prince Charmant dépressif et isolé sur un chapiteau renversé reste indifférent à cette agitation. La chorégraphie inventive qui infuse sur l’ensemble du spectacle est signée Ambra Senatore. 
La féerie du conte ne perd pas pour autant ses droits. La Fée bienfaitrice apparaît dans une baignoire kitsch ; bulle et globe, êtres rampants, Esprits énigmatiques créent un entourage fantastique. Les frondaisons du Chêne des Fées feront d’elle une magicienne tout aussi surnaturelle qu’on retrouvera au final dans la fosse d’orchestre en véritable « déesse » ex machina.
Cette mise en scène très vivante souligne tout ce que le livret et la lecture qui en est faite apportent à la légende de Cendrillon dont l’itinéraire émeut. Le libre arbitre contrarié, l’épreuve initiatique de la séparation, le rapport complexe au père, la fusion avec la nature représentent les étapes du passage de l’enfance l’âge adulte. N’oublions pas que le conte a une vocation formatrice pour les enfants. 

Distribution idéale
Le chant est à son sommet avec une distribution qui réunit quelques uns des meilleurs interprètes de la scène lyrique française actuelle.
La voix diaphane, avec les beaux sons émis sur le souffle, mais bien timbrée, d’Hélène Carpentier (primée Voix Nouvelles 2018) est celle qui convient à la jeune Cendrillon, fragile mais non dépourvue d’énergie. Le personnage positif au début saura passer de l’autre côté du miroir en déployant une incroyable expressivité notamment dans le duo de l’acte III ; la voix peut s’inscrire dans l’intime (air du « petit grillon »), comme devenir rayonnante dans l’évocation de la nature ou au final. 
Héloïse Mas, programmée partout dans les grands rôles de mezzo s’est rendue aussi inoubliable chez Offenbach (Boulotte à l’Opéra de Lyon) ; son incarnation du rôle travesti du Prince Charmant est d’une incroyable virtuosité scénique. La sensibilité à fleur de peau, la profondeur émotionnelle dans les deux duos sont servis par une voix ample, à l’émission ductile, homogène sur toute la tessiture, exemplaire dans la diction.
Marie-Ève Munger, habituée aux scènes internationales, séduit dans une Fée possédant toutes les notes aiguës du rôle, donnant même une impression de facilité à les produire ; elle n’est pas dépourvue d’un tempérament vocal et scénique puissant palliant le statisme du rôle. 
Julie Pasturaud dans Madame de la Haltière est une soprano de caractère (mais qui peut passer du grand lyrique à Berta du Barbier !) ; si les accents (et le jeu) sont impayables la voix ne cède pourtant en rien sur la projection et la rondeur. Ambroisine Bré et Caroline Jestaedt qu’on chronique souvent dans des premiers plans ne se déclassent pas dans les deux rôles parallèles de Dorothée et Noémie. La mezzo Ambroisine Bré fait montre d’une belle ligne de chant, quand la soprano Caroline Jestaedt sait varier les couleurs et les humeurs ! 
Matthieu Lécroart passe sur la scène de l’Opéra de Limoges du Roi V’lan dans Le Voyage dans la lune au rôle de Pandolfe, proche de ceux de l’opéra italien, assuré avec une parfaite éloquence et des accents mordants.
Les autres rôles sont distribués aux artistes du chœur parfaitement à leur place (entre autres Édouard Portal et Fabien Leriche).
Les danseurs du Centre Chorégraphique National de Nantes ont apporté un concours des plus remarqués au spectacle.
L’excellent chœur de l’Opéra, dirigé par Arlinda Roux-Majollari, est totalement intégré au spectacle. Il est sollicité dans son métier de base mais aussi dans la chorégraphie dont il est largement partie prenante. 
Le chef d’orchestre Robert Tuohy, encore directeur musical de la maison, qui avait entamé les répétitions il y a trois ans revenait terminer le travail. En très bon connaisseur du répertoire français (il a dirigé il y a peu Si j’étais roi à Toulon) il a offert une lecture raffinée de l’ouvrage de Massenet, faisant ressortir tous les pupitres si utiles aux effets de couleur, sans cesser de faire de Cendrillon une vraie pièce de théâtre.
Le public qui faisait une place importante aux jeunes a plébiscité le spectacle.

Didier Roumilhac
12 mai 2023

Retrouvez également l’avant-propos de Dider Roumilhac dans notre rubrique Actualités :
 
http://www.resonances-lyriques.org/fr/actualites-detail/actualites/1335-a-propos-de-cendrillon-a-lopera-de-limoges-du-12-au-16-mai-2023.cfm

 

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