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CD-Mili Balakirev ISLAMEY – Katherine Nikitine : Voyage sentimental en imaginaire slave

CD-Mili Balakirev ISLAMEY – Katherine Nikitine : Voyage sentimental en imaginaire slave

lundi 8 avril 2024

©Editions Hortus

Paru sous le label Hortus, ce premier album solo de la pianiste Katherine Nikitine, dont la clef de voûte est le célèbre Islamey, l’une des pièces les plus redoutables du répertoire, est consacré à un florilège des œuvres pour piano de Mili Balakirev : Irrésistible !

C’est un bien beau disque que celui que nous propose Katherine Nikitine autour de la musique pour piano de Mili Balakirev (1837-1910), l’un de ceux dont la première audition n’épuise ni l’éventail des possibles ni l’appétit d’écoute… loin s’en faut !

Tout d’abord, parce qu’il permet à un auditeur mélomane contemporain de replacer Mili Balakirev dans son temps : celui d’un XIXème siècle qui n’avait pas tout à fait quarante ans lorsqu’il naquit, période où Chopin et Schuman faisaient triompher dans l’Europe musicale une certaine vision du romantisme ; celui d’un XXème siècle commençant, dont l’un des coups d’envoi de la modernité musicale demeure la création de L’Oiseau de feu (1910), justement l’année de la mort de notre homme1 !

De même, du fait d’un angle de vision trop limité, on avait finit par croire que Balakirev n’était qu’un nom : celui de cet individu à l’air pas très commode (!) – au vu de quelques-unes des photos qui nous sont parvenues de lui – fondateur du célèbre « Groupe des Cinq » – un mouvement qui aurait lui aussi sa propre vision d’un romantisme national russe – puis devenu un moment, par dépit, chef de gare, et compositeur peu prolixe pour ne pas dire souvent laborieux… . Quel raccourci fâcheux… que permet de corriger l’écoute de cet album fonctionnant sur le mode bienvenu d’une rétrospective musicale – s’étendant de 1864 à 1906 – et qui fera faire – pour ce qui nous concerne du moins ! – plus ample connaissance avec le compositeur de Tamara et, bien évidemment, d’Islamey.

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Dans le voyage d’exploration à la tonalité dominante de ré bémol majeur auquel nous convie Katherine Nikitine – la filiation chopinienne n’est jamais très loin chez Balakirev ! -, il était didactiquement indispensable de rendre hommage à Mikhaïl Glinka, mentor de Balakirev dont il voulait faire son héritier dans la poursuite d’une école musicale nationale russe : c’est donc avec l’envol de L’alouette (1864), paraphrase de l’une des chansons du cycle de L’adieu à St Pétersbourg composé par Glinka, que s’ouvre cette invitation au voyage en terres slaves, conférant à l’album tout entier une couleur impressionniste teintée d’un humanisme particulièrement bienvenu en notre temps troublé. Projet artistique passionnant, ce disque nous plonge, en un peu plus de 60 mn d’audition et 11 pièces, au plus profond du laboratoire musical d’un musicien dont on a sans doute sous estimé l’importance dans le panorama de l’époque. Certaines des pièces choisies par Katherine Nikitine pourraient d’ailleurs davantage être appelées « sonate miniature » tant l’écriture en est fouillée : c’est par exemple le cas du Scherzo n°3, de la Berceuse ou encore de la Phantasiestück avec leur alternance de tempi nous faisant passer de l’andante(tino) – celui qui introduit cette dernière pièce est d’ailleurs particulièrement superbe et fait monter les larmes – au vivo voire au vivo con brio, souvent avec une verve joyeuse voire frénétique (l’allegro con brio d’Humoresque et l’allegro con fuoco de Fileuse qui terminent le panorama en fournissent deux exemples magistraux!) mais sachant toujours demeurer subtile et pleine d’infinies nuances.

Dès le début de l’album, avec l’exposition de cette phrase de L’Alouette – dont Glinka est peut-être allé chercher l’inspiration dans un chant liturgique orthodoxe ou dans le folklore régional ? -, on est captivé par cet art du legato et du phrasé que Katherine Nikitine sait parfaitement mettre au service des pièces de ce programme et que l’on retrouve, en particulier, dans la romance de 1898 Poustinya, écrite deux ans auparavant pour baryton et piano : qu’il nous soit ici permis d’écrire combien nous serions heureux de la réentendre par notre pianiste dans cette autre configuration ! De même, la mélodie si chantante qui s’élève dans Au Jardin, idylle (1884) – écrite, d’après ce que nous révèle le très éclairant livret d’accompagnement du disque, alors que Balakirev est devenu directeur de la Chapelle Impériale – est d’une expressivité magistrale, à la régularité parfaite, souple sans jamais devenir évanescente… même si elle parvient rapidement à faire s’évader notre esprit à mi-chemin d’un paysage de Tchekhov et du salon des Rostov !

C’est Islamey qui donne son titre à l’album de Katherine Nikitine : pièce probablement demeurée la plus célèbre de son compositeur, Islamey partage avec le fantastique poème symphonique Tamara ce goût pour l’orientalisme, si cher, on le sait, à l’âme musicale russe. Pièce flamboyante de quelques 9 minutes, cette « fantaisie orientale » – telle que décrite dans la partition – débute dans un allegro con fuoco tournoyant qui nous fait irrésistiblement penser à ces danses des derviches tourneurs chers à Gérard de Nerval dans son Voyage en Orient ! Ici, la démonstration fougueuse que donne à entendre l’interprète dans une succession d’arpèges et de variations est d’autant plus impressionnante qu’elle n’est jamais « gratuite » et n’intervient jamais aux dépens d’une indispensable clarté. Quant à la mélodie du deuxième thème d’Islamey, on ne peut qu’être frappé par la postérité qui sera la sienne à travers le 3ème mouvement – celui du prince et de la princesse – de la Schéhérazade de Rimski- Korsakov : ici encore, l’art du chant dont fait preuve Katherine Nikitine avec son instrument doit être salué sans réserve !

En observant le disque qui est devant nous, on se dit que chacune des pièces qui le composent apporte son histoire personnelle, une histoire qui entre en résonance avec son auditeur : il est donc conseillé d’écouter cet album avec le cœur !

Hervé CASINI

1 Il est d’ailleurs intéressant de noter que dans les années 1860, première période de son parcours de compositeur, Mili Balakirev avait le projet de faire un opéra sur le même sujet !

2 Katherine Nikitine joue sur un instrument Stephen Paulello opus 102

Les artistes 

Katherine Nikitine, piano2

Le programme 

Islamey, de Mili Balakirev  (1837-1910)

1 CD Editions Hortus

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