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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – Haendel festif par Ton Koopman

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – ORCHESTRE NATIONAL DE LYON – Haendel festif par Ton Koopman

samedi 27 mai 2023
Ton Koopman © Marco Borggreve 

Mondialement célèbre pour la tâche accomplie à la tête du prestigieux ensemble qu’il a fondé – lE Amsterdam baroque orchestra & choir – et par son travail de défricheur infatigable autant que ses activités d’organiste ou claveciniste, Ton Koopman est régulièrement convié à diriger l’O.N.L ces dernières années ; ce, pas uniquement dans le registre préclassique. Lorsqu’ il conduit en chef invité un orchestre jouant sur instruments actuels, ses choix interprétatifs ont pu, à parts égales, nous convaincre ou nous dérouter. Pour cette nouvelle collaboration avec la phalange maison, il jette opportunément son dévolu sur des partitions relevant du flamboyant crépuscule de l’ère baroque, certainement parmi les plus spectaculaires jamais élaborées au XVIIIème siècle : Water music et Music for the Royal fireworks de Georg Friedrich Haendel.

Où les vents sonnent beaucoup plus assidus et idiomatiques que les cordes
Rappelons les faits historiques. Le règne du Roi George Ier de Grande-Bretagne reste étroitement lié à quelques-unes des productions monumentales du plus cosmopolite des compositeurs de son temps, né en Saxe, perfectionné en Italie et chéri par le public d’Angleterre. Celui qui deviendra citoyen britannique – jusqu’à se faire orthographier George Frideric Handel – conquiert les Londoniens avec son fastueux opéra Rinaldo en 1711. Entré dès lors dans une ère faste, il accède, de facto, à un statut d’artiste officiel, écrivant plusieurs œuvres de circonstances de grande ampleur. Parmi ces dernières, deux accèdent à une renommée toujours d’actualité. D’abord Water Music, conçue à l’occasion d’une excursion d’apparat du monarque sur la Tamise le 17 juillet 1717. Ensuite la Musique pour les feux d’artifice royaux, élaborée pour célébrer le second Traité d’Aix-la-Chapelle, signé à l’automne 1748 (et non – comme l’indique singulièrement la plaquette générale 2022 / 2023 de l’Auditorium – celui d’Utrecht, qui est de 35 ans antérieur). Au printemps suivant, l’architecte italien Servandoni échafaude à Green Park de somptueux arcs de triomphe provisoires. De leur faîte partent des feux d’artifice, soigneusement calculés pour coller avec tous les temps forts des pages joyeusement tapageuses de Haendel. Ces impressionnants jeux visuels, combinés à la musique, constituent un art total qui sidère les foules de 1749. Tel fut le point d’aboutissement de “l’éphémère” conjugué au “spectaculaire”, alliance qui aura constitué un des principes directeurs de la période baroque, prise dans sa globalité.
Des trois suites constituant la Water Music en son entier, Koopman n’en conserve que deux, écartant la troisième. Ce choix reste discutable, d’autant que l’inverse n’aurait pas entraîné une durée de concert excessive, loin de là. Concert qui débute d’une façon peu engageante, à la vérité. Pour l’ouverture de la Suite N°1 en Fa Majeur, on s’attend à une fermeté d’accents plus marquée, surtout dans les attaques. Or, celles des cordes – aiguës en particulier – déçoivent, comme si les instrumentistes jouaient sous l’emprise d’un narcotique. Ajoutons que la justesse s’avère loin d’être irréprochable. Du coup, la foncière picturalité de l’écriture s’en trouve brouillée sans rien y gagner (comme si un ersatz de Constable se substituait à un authentique Canaletto pour représenter la parade royale sur la Tamise !). Vraiment curieux, notamment s’agissant d’une seconde prestation dans le même programme, déjà donné la veille et sans la circonstance atténuante d’un réveillon entre-temps… !
Les vents sonnent beaucoup plus assidus et idiomatiques, avec un pupitre de hautbois particulièrement fruité, charnu et tendre à la fois. Même constat pour les cors, tout autant concernés et en adéquation stylistique (bien que ne jouant pas sur instruments naturels). Heureusement, cette conjonction d’apathie, de pesanteur et de décousu s’estompe à compter du 3ème mouvement où, sans doute influencés par leur partenaires, nos violons semblent enfin s’extraire des effets de quelque improbable sédatif. Abandonnant une fâcheuse propension à la séquentialité timorée, ils s’animent même franchement, gagnant en implication page après page.

Chacun joue ici comme si sa vie en dépendait, avec brio et folie
Perceptiblement, ces carences ne semblent guère imputables au chef. Toujours un régal pour les yeux, la direction de Ton Koopman affiche sa légendaire précision et sa gestique saccadée que l’on a appris à aimer au fil des ans (au point que l’on crierait au scandale si elle n’était pas au rendez-vous !). Le sens de la profondeur, des climats, reste intact. En sus, relevons des options très appréciées, telles ces liaisons du clavecin dans la fonction de continuo bien mises en exergue. Autre point positif concernant la direction : nulle part l’on n’a trace de ces acidités jadis produites dans l’expression des timbres, toutes familles instrumentales confondues.
Les tempos demeurent globalement soutenus mais jamais pressés artificiellement (autre tic fréquent du chef batave naguère). Au contraire, une rondeur, une bonhomie croissante avec l’âge procurent un baume bienfaisant, sans exclure la démarche historiquement informée.
Pour la Suite N°2 en Ré Majeur (avec ses vents renforcés), les cordes ont définitivement retrouvé leur assise autant qu’une indispensable alacrité. La Sinfonia sonne majestueuse, avec des timbales percutantes sans excès, avant un « Alla Hornpipe » rejoignant, par son équilibre et sa brillance, les meilleures références discographiques. À noter que Koopman observe dans ce mouvement précis les barres de reprise, ce qui se justifie parfaitement avec une telle splendeur phonique. Tout se déroule ensuite avec bonheur pour s’achever sur une « Bourrée » d’un dynamisme saisissant. L’on en déplore que davantage le rejet de la Suite N°3 en Sol Majeur, laquelle aurait aisément pu constituer l’amorce plus intimiste d’une seconde partie du concert, si l’on avait procédé à un entracte.
Après une courte pause technique, l’enchaînement se fait donc directement avec la Music for the Royal Fireworks. Énonçons ici un autre regret. Quitte à exécuter la partition avec un grand orchestre moderne et non une formation baroqueuse, n’aurait-il pas été opportun de restituer la vaste tablature de vents prévue à la création ? Rappel : 24 hautbois, 12 bassons, 9 cors et 9 trompettes !!! Gravée par Robert King [CD Hyperion 1989], cette alternative pourrait constituer un intéressant projet, par exemple en unissant à l’O.N.L les plus performants élèves du CNSMD.
Les membranophones jouent ici avec baguettes bois et, de par leur disposition, restituent l’effet spatial souhaité dans cette musique jubilatoire. Dès la grande ouverture, pétaradante à souhait, tout suscite l’euphorie. Cuivres, bois et cordes s’allient aux percussions dans une ambiance exubérante, contaminante, sans retenue. On vibre de pure félicité ! Transporté, le public ne peut réprimer sa soif d’applaudissements. Une formidable tension s’instaure dans la brève « Bourrée » avant une restitution lumineuse pour « La Paix : Largo alla siciliana », où les timbales feutrées subjuguent autant que des cors fascinants de précision (superbes trilles !). « La Réjouissance : Allegro » se maintient sur les mêmes sommets, chacun jouant ici comme si sa vie en dépendait, avec brio et folie. Avec les menuets conclusifs, l’égrégore atteint ne s’estompe pas. L’auditoire plébiscite les exécutants pour la joie communiquée.
Merci, Meester Koopman, de nous avoir revigorés et vraiment emmenés au cœur du Siècle des Lumières. Grâce à vous et à votre direction, ni analytique, ni épurée mais simplement naturelle ou robuste suivant les nécessités, nous sommes à Green Park en 1749. Ne manque que la partie visuelle pyrotechnique !

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN 
27 Mai 2023

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