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A l’Opéra de Marseille la rare Africaine de Meyerbeer jouit d’un remarquable plateau de chanteurs français.

A l’Opéra de Marseille la rare Africaine de Meyerbeer jouit d’un remarquable plateau de chanteurs français.

dimanche 8 octobre 2023

©Christian Dresse

La rédemption de Meyerbeer et l’œuvre ultime : l’ Africaine.

Significatif hommage de l’Opéra de Marseille1 pour un compositeur relégué pendant des décennies en un purgatoire injustifié2 et qui revient au goût du jour avec nombre de reprises des Huguenots (dont une précisément à la clôture de la saison marseillaise 2022-2023) et une mémorable version concertante du Prophète, l’été dernier, au Festival d’Aix-en-Provence.

Meyerbeer fréquenta assidument pendant une quinzaine d’année l’Italie. ll y connut l’éclosion du bel canto romantique au tout début du 19e siècle et y composa des opéras pour Milan, Venise ou Turin. Il fut non seulement le contemporain de Rossini, Donizetti et Bellini mais, quelques vingt ans plus tard, de Verdi et Wagner. Les influences croisées de tous ces musiciens se retrouvent dans ses œuvres aussi bien en tant qu’ « inspirateur » qu’ « inspiré ».
Il donna bien évidemment ses lettres de noblesse à ce qu’il est convenu d’appeler le « grand opéra français ».

L’élaboration de L’Africaine se révéla particulièrement longue, ardue et émaillée de multiples rebondissements. Commencée en 1836, elle ne fut créée qu’en avril 1865 – donc près de 30 ans plus tard – après la disparition du librettiste Eugène Scribe en 1861. Meyerbeer ne put assister à la première de son ultime opus car il mourut en mai 1864.  Cette Africaine  « posthume »  remporta un extraordinaire triomphe en présence de l’empereur Napoléon III et du Tout-Paris.

L’ Africaine à l’Opéra de Marseille

Près de 60 ans que L’Africaine n’avait plus été montée – du moins en version scénique – à l’Opéra de Marseille ! Les dernières représentations datent de 1964 avec Gustave Botiaux, Jane Rinella, Henri Peyrottes, Jacqueline Silvy, Henri Medus et Adrien Legros sous la baguette de Jean Trick.  En mai 2021 Maurice Xiberras décida de remettre l’œuvre de Meyerbeer à l’affiche mais l’épidémie de Covid fit obstacle à la réalisation de ce projet, lequel finit néanmoins par se concrétiser en ce mois d’octobre pour l’ouverture de la saison 2023-2024 du théâtre lyrique de la cité phocéenne.

Roberto Rizzi Brignoli devait assurer la direction musicale de l’opéra de Meyerbeer. Il avait décidé de pratiquer un certain nombre de coupures amputant l’œuvre d’environ 1 heure en supprimant, entre autres, certains ensembles de chœurs, la ronde bachique de l’acte 3, l’air de Vasco : « Conduisez-moi vers ce navire » (acte 4), l’arioso d’Ines : « Fleurs nouvelles, arbres nouveaux » (acte 5) … Mais saura t-on jamais les coupures qu’aurait souhaité pratiquer Meyerbeer – tant il y eut de remaniements de cette œuvre – décédé quasiment un an avant la création de celle-ci ?

La baguette a finalement été confiée à Nader Abassi, habitué du pupitre de l’Opéra de Marseille (où il a dirigé notamment Maria Golovine, Aïda, Un Bal masqué, Carmen, Madame Butterfly, La Traviata…). Des grondements orageux doublés de perspectives sombres qui forment les premières mesures de l’ouverture jusqu’à l’extatique agonie de Selika, en passant par un poétique prélude entre les actes 2 et le 3 et l’exotique célébration dans le temple sacré de l’acte 4, le chef égyptien conduit d’une main ferme et précise l’orchestre et le chœur de l’Opéra de Marseille (tous deux à la hauteur des attentes dans pareil ouvrage) ainsi que les interprètes réunis sur le plateau.

Et, à ce propos, il faut féliciter chaleureusement la direction de l’Opéra de Marseille d’avoir su réunir une distribution exclusivement française d’une indéniable envergure. 

Karine Deshayes, aujourd’hui devenue l’une des plus belles et grandes voix belcantiste de notre pays, dispose du grave à l’aigu d’un instrument capable de passer avec aisance de Rossini à Bellini tout en servant, à la manière d’une falcon, le grand répertoire français comme elle le fit, voici quelques mois pour Valentine des Huguenots et, en cette circonstance, pour Selika où elle parvient avec bonheur à faire alterner puissance et raffinement. Dotée d’une remarquable qualité de timbre elle donne le meilleur d’elle-même au cours de l’admirable scène finale (« La raison m’abandonne… D’ici je vois la mer ») dans laquelle Meyerbeer emprunte les accents du bel canto romantique rappelant les inflexions de Lucia di Lammermoor ou Norma.
On demeure admiratif de la multiplicité des rôles abordés par Florian Laconi depuis près de 25 ans et qui vont de l’opérette française (le riche répertoire d’Offenbach mais pas seulement) et viennoise (La Veuve joyeuse/Le Pays du sourire/La Chauve souris…) aux grands rôles de ténor lyrique français (Faust, Roméo, Don José, Mylio…) ou italiens (Cavaradossi, Pinkerton, Canio, Turridu…). Doté d’une voix puissante, qui passe avec aisance  dans un vaisseau aussi vaste que celui de l’Opéra de Marseille, d’un médium corsé et d’un aigu assuré, il peut rendre justice à un emploi comme celui de Vasco de Gama sans trace apparente de fatigue d’un bout à l’autre de la représentation (son air « Pays merveilleux… Ô Paradis » en témoigne). Le duo à la fin du 4e acte avec Karine Deshayes permet d’apprécier la musicalité des deux interprètes et leur parfaite osmose notamment dans les passages mezza voce.
L’écriture pour Nelusko est proche de celle des barytons Verdi. Au moyen d’une voix franche et tranchante et d’une diction impeccable (« Adamastor, roi des vagues profondes »), Jérôme Boutillier fait également preuve d’une projection et d’un engagement spectaculaires à l’instar de son Comte Luddorf dans la récente production de la  Nonne sanglante de Gounod à l’Opéra de Saint Etienne.
Premier Prix du concours Voix Nouvelles en 2018 à 22 ans, Hélène Carpentier délivre en Ines une voix de soprano lyrique de belle extension doublée d’un style accompli.
Patrick Bolleire (Don Pedro), Christophe Berry (Don Alvar) François Lis (Don Diego) et Laurence Janot (Anna) complètent, avec talent, la distribution.

La scénographie d’Emmanuelle Favre s’inscrit dans le cadre bien connu de ses productions marseillaises avec un plafond ouvert en quadrilatère qui descend ou se meut au fil des actes ainsi que des décors fonctionnels qui permettent d’y inscrire les séquences vidéos suggestives de Camille Lebourges (la mer, le ciel étoilé, la tempête (avec  éclairs et vagues). La mise en scène relativement statique de Charles Roubaud n’ajoute rien à l’intérêt du spectacle longuement applaudi aux saluts.

Christian Jarniat
8 octobre 2023

1 Rappelons que c’est Le 13 novembre 1919 à l’issue d’une répétition de L’Africaine, qu’un incendie détruisit la quasi-totalité de l’Opéra de Marseille
2 Peut être l’influence des écrits de Wagner ne fut-elle pas totalement étrangère à cette désaffection, lui qui pendant plus d’une décennie se montra particulièrement empressé auprès de son « cher Maître admiré » tant qu’il lui prodigua aide et secours au long de ses années de galère et qui lui tourna le dos lorsque, nanti de ses succès, il se crut autorisé à l’attaquer avec une virulence pour le moins peu honorable.

 

Direction musicale : Nader Abbassi
Mise en scène : Charles Roubaud
Décors : Emmanuelle Favre
Costumes : Katia Duflot
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Vidéos : Camille Lebourges

Distribution :

Selika : Karine Deshayes
Ines : Hélène Carpentier
Anna : Laurence Janot
Vasco de Gama : Florian Laconi
Nelusko : Jérôme Boutillier
Don Pedro : Patrick Bolleire
Don Alvar : Christophe Berry
Don Diego : François Lis
Le Grand Prêtre de Brahma : Cyril Rovery
Le Grand Inquisiteur : Jean-Vincent Blot
Un Matelot / Un Prêtre / Un Huissier : Wilfried Tissot 
Un Matelot : Jean-Pierre Revest 

Orchestre de l’Opéra de Marseille 
Chœur de l’Opéra de Marseille

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