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Émotions sur le vif en direct du Metropolitan Opera de New York : Madama Butterfly avec Asmik Grigorian

Émotions sur le vif en direct du Metropolitan Opera de New York : Madama Butterfly avec Asmik Grigorian

mardi 30 avril 2024

©JONATHAN TICHLER MET OPERA

Asmik Grigorian a Cio-Cio-San dans le sang, et pour une raison bien simple : sa maman la soprano Irena Milkeviciute alors enceinte d’Asmik, chantait le rôle-titre de l’ouvrage aux cotés du Pinkerton de Gegam Grigorian, son époux et donc papa de notre vedette du jour.

On comprend pourquoi ce rôle lui tient particulièrement à cœur pour ses débuts in loco dans l’enceinte du Lincoln Center alors que saluée par le New York Times comme l’une des artistes dramatiques et chanteuses-actrices les plus talentueuses de l’art lyrique actuel. Quant à Jonathan Tetelman à l’âge de 36 ans, on peut à juste titre le considérer comme l’une des têtes de pont des ténors de la lyricosphère.

@Jonathan Tichler Met Opera

On connaît bien la production d’Anthony Minghella. Elle se révèle toujours aussi efficace avec ses successions de figures poétiques tout au long d’un spectacle où la couleur tient une particulière importance avec l’utilisation du Bunraku, théâtre de marionnettes non pas dans l’esprit que l’on connaît de la comédie ou comme vecteur d’éducation pour les enfants en Europe, mais d’un théâtre sophistiqué du XVIIe siècle aux thématiques d’émotions humaines ou d’obligations sociétales nippones. La succession de poupées, particulièrement l’enfant de Cio-Cio-San dessine un personnage important, émouvant, mais également angoissant et dérangeant, constituant la carte de visite de cette production datant de 2006 distribuée à l’époque avec Roberto Alagna et Patricia Racette.

Pour cette deuxième représentation, nous avons assisté à une soirée « stratosphérique » au plein sens du terme car déjà les forces musicales du Met ainsi que le chœur étaient en très grande forme, aussi bien dans les passages en nuances que pour ceux nécessitant une puissance orchestrale de l’un des meilleurs orchestres du monde placé sous la direction de la cheffe Xian Zhang faisant ses débuts dans cet opéra elle aussi, mais dans la fosse du Met.

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@Jonathan Tichler Met Opera

Magnifique Sharpless du baryton Lucas Meachem qui dresse un portrait d’une grande émotion, doublé d’une voix admirablement projetée. Originaire de Caroline du nord, ayant déjà fait des apparitions au Met (Fedora, Bohème), il incarne un des consuls les plus intéressants que nous ayons entendu. Grand luxe de la Suzuki d’Elizabeth DeShong, notre Fides du Prophète au festival d’Aix l’an dernier. Elle délivre une interprétation impressionnante avec des graves splendides et des notes tenues comme rarement prodiguées. Une des plus exceptionnelles Suzuki actuelles surpassant celle de Marie-Nicole Lemieux aux Chorégies d’Orange face à la Butterfly d’Ermonela Jaho.

Belle performance des seconds rôles, en particulier du Bonze et de Goro sous les traits de Robert Pomako et Tony Stevenson de très belle tenue scénique évitant la caricature en particulier pour le second. A signaler encore le Yamadori de Jeongcheol Chade et la Kate Pinkerton de Briana Hunter effacée, au personnage peu mis en valeur par rapport à la mise en scène de Daniel Benoin dans le même ouvrage donné récemment à l’Opéra de Nice.

Restent donc Jonathan Tetelman et notre Asmik Grigorian. Tetelman veut délibérément montrer qu’il est un grand ténor et qu’il a les moyens adaptés pour le Met, ce qui occasionne des ouvertures des sons et des tenues de notes exagérées. Mais son duo du 1er acte s’avère sublime et l’ « Addio fiorito asil » superbement chanté. En outre, il campe parfaitement le personnage rajoutant un dramatisme certes un peu vériste sur la fin de l’air. On le sent moins « goujat » que dans certaines productions, plus aimant, plus ardent, et empreint d’ un remord assez évident dans la scène finale. Nous aurons plaisir à le réentendre prochainement…

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@Jonathan Tichler Met Opera

Il nous reste la pièce maîtresse de cette soirée avec les débuts in loco d’Asmik Grigorian dans une forme olympienne, qui dresse un portrait de Cio-Cio-San absolument dramatique et ce qui nous frappe, à l’exception de la première scène où elle incarne une jeune fille de 15 ans, tient à ce que le personnage par la suite est marqué par un destin fatal qui, vu de notre place de 3e rang d’orchestre, parait parfaitement compréhensible mais qui dans l’immensité du vaisseau de cette salle monumentale échappe peut-être à un public par trop éloigné. Dans son jeu on admire la multiplicité d’expressions du visage, de regards, de sourires, de tristesse, enrichissant encore par la prodigalité d’ idées plus fouillées la production de Minghella par comparaison avec l’interprétation des autres artistes alternant dans ce rôle. Ici le personnage de Cio-Cio-San n’est pas naïf, ni absolument pas dupe tout au moins à partir du 2e acte. La rencontre ensuite avec le consul, les regards, les moments avec son enfant, avec Suzuki montrent qu’elle est déjà convaincue que Pinkerton ne reviendra pas, du moins pas pour elle et cela est particulièrement bien montré grâce à sa dimension de tragédienne.

Vocalement, on ne peut s’empêcher d’établir une comparaison avec la Butterfly niçoise de Corinne Winters –  avec les petits bémols que nous avions évoqués- et dont des phrases comme « Butterfly rinegata » ou « m’ha scordata » ne nous permettaient pas de ressentir la pâte de la grande tragédienne alors qu’Asmik Grigorian paye comptant. Évidemment, les airs attendus comme « Un bel di vedremo », les duos, tous les passages du 2e acte avec un « va, a fargli compagnia » adressé à Suzuki sont exprimés avec les accents d’une actrice d’ exception. On se retrouve à l’époque des grandes étoiles au firmament de l’art lyrique oscillant entre le jeu dramatique d’une Magda Olivero et la puissance vocale d’une Raina Kabaivanska. Asmik Grigorian s’inscrit comme l’héritière de ces prodigieuses divas, assumant le rôle sans aucune difficulté vocale, avec des si naturels éblouissants. La montée sur la colline au premier acte ne lui pose aucun problème de souffle sans jamais que sa voix ne se détimbre. Elle conjugue art de la nuance et art de la puissance, une puissance que l’on retrouve dans son air final démontrant qu’elle sait chanter également Richard Strauss et Richard Wagner. Prodigieux chez cette cantatrice la faculté de lier puissance et legato, l’aptitude à nuancer que l’on imagine comme un héritage de ses parents le stentor du père, la finesse de la mère.

Standing ovation comme les New-yorkais en ont le secret, même si l’on déplore qu’il n’y ait pas eu plus de rappels. On imagine que cette même représentation en France ou en Italie aurait entraîné facilement cinq ou six rappels voire plus. On regrette de même de ne rencontrer qu’une poignée de personnes à la sortie des artistes pour une soirée bénie des dieux…

Hervé CASINI

30 avril 2024

 

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Hervé Casini et Asmik Grigorian ©Elsa Casini

 

Retransmission au cinéma le 11 Mai

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Mise en scène : Anthony Minghella
Direction Musicale : Xian Zhang
Chorégraphie : Carolyn Choa
Décors : Michael Levine
Costumes : Han Feng
Lumières : Peter Mumford
Marionnettes : Blind Summit Theatre

Distribution:

Cio-Cio-San : Asmik Grigorian
Suzuki : Elizabeth DeShong
Pinkerton : Jonathan Tetelman
Sharpless : Lucas Meachem
Le Bonze : Robert Pomako
Goro : Tony Stevenson
Yamadori : Jeongcheol Chade
Kate Pinkerton : Briana Hunter
Chœurs et Orchestre du Metropolitan Opera

Stirring Emotions Unveiled at New York’s Metropolitan Opera: Madama Butterfly with Asmik Grigorian

Asmik Grigorian embodies Cio-Cio-San with a visceral connection, for a profoundly personal reason: while pregnant with Asmik, her mother, the soprano Irena Milkeviciute, performed the titular role alongside Gegam Grigorian’s Pinkerton, her husband and Asmik’s father. It’s nowonder then that this role holds a special place in her heart, especially as she makes her in loco debut at the Lincoln Center, hailed by the New York Times as one of the most talented dramatic artists and singing actresses in contemporary operatic art.

At 36, Jonathan Tetelman can rightly be considered a leading figure among the tenors of the lyrical sphere. Anthony Minghella’s production is well-known and remains as effective as ever with its succession of poetic figures and particular emphasis on color through the use of Bunraku, a sophisticated 17th-century puppet theatre dealing with themes of human emotions and Japanese societal obligations, rather than the comedic or educational style familiar in European children’s theatre.

The production’s continuation of characters, especially the child of Cio-Cio-San, sketches an important, moving, yet also unsettling and disturbing figure, making it a hallmark of this 2006 production originally starring Roberto Alagna and Patricia Racette.

This second performance was truly stratospheric in every sense of the word. The musical forces of the Met and its choir were in top form, handling both nuanced and powerful orchestral passages under the baton of conductor Xian Zhang, who also made her debut in this opera. Lucas Meachem’s Sharpless was deeply moving, showcasing a voice of admirable projection. North Carolina native, having appeared at the Met in roles from Fedora, La Bohème , he is one of the most compelling consuls we’ve heard recently.

Elizabeth DeShong, our Fides from last year’s Prophet at the Aix Festival, delivered an impressive Suzuki with deep, beautifully sustained notes. Her performance stands out as one of the most exceptional Suzukis today, surpassing even Marie-Nicole Lemieux at the Chorégies d’Orange opposite Ermonela Jaho’s Butterfly.

The secondary roles, notably the Bonze and Goro portrayed by Robert Pomako and Tony Stevenson, were excellently staged, avoiding caricature especially in the latter’s case. Notable too was the Yamadori of Jeongcheol Chade and the understated Kate Pinkerton by Briana Hunter, whose character was less highlighted compared to the staging by Daniel Benoin recently at the Nice Opera.

Remaining focal were Jonathan Tetelman and our star, Asmik Grigorian. Tetelman deliberately showcased his considerable tenorial talents, suitable for the Met, with exaggerated vocal openings and note sustains. However, his Act 1 duet was sublime, and the “Addio fiorito asil” beautifully sung. He effectively added a dramatic, albeit slightly veristic,dimension toward the end of the aria, portraying a character less callous and more loving and remorseful than in other productions.

Asmik Grigorian’s in loco debut was nothing short of Olympian, presenting a profoundly dramatic portrayal of Cio-Cio-San. Beyond the initial portrayal of a 15-year-old girl, her character evolved into one marked by a tragic destiny, clearly comprehensible from our third- row orchestra seat but perhaps less so to those farther back in this monumental venue. Her facial expressions, gazes, smiles, and sadness enriched Minghella’s production, showing a character who is neither naïve nor entirely gullible, especially from the second act onward . The meeting with the consul, the looks, the moments with her child, with Suzuki show that she is already convinced that Pinkerton will not return, at least not for her and this is particularly well shown thanks to her tragic dimension.

Vocally, comparisons with the performance of Corinne Winter’s Butterfly at Nice Opéra are inevitable – with the small warnings we mentioned- and whose phrases like «Butterfly rinegata» or «m’ha scordata» did not allow us to smell the paste of the great tragedian while Asmik Grigorian paid in cash. Obviously, the expected tunes like «Un bel di vedremo», the duets, all the passages of the 2nd act with a «va, a fargli compagnia» addressed to Suzuki , was delivered with the unique intensity of a seasoned actress. Her performance evokes the dramatic play of Magda Olivero and the vocal power of Raina Kabaivanska, establishing her as a worthy successor to these legendary divas, managing the role with effortless vocal prowess, including dazzling high Cs.

The climb up the hill in the first act does not pose any problem of breath without his voice never being disengaged. She combines the art of nuance and the art of power, a power that is found in her final tune demonstrating that she also knows how to sing Richard Strauss and Richard Wagner. Prodigious in this singer the ability to link power and legato, the ability to nuance that is imagined as a legacy of her parents stentor of the father, the finesse of the mother.

A standing ovation ensued, as only New Yorkers can deliver, though one might wish for more encores. One could easily imagine such a performance in France or Italy prompting five or six encores or more. Regrettably, only a handful of people were present at the artist’s exit after such a divinely favored evening.

 

Hervé Casini

30 avril 2024

 

translation by Cécile Day-Beaubié

 

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