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AUDITORIUM MAURICE RAVEL – LYON : BELGIAN NATIONAL ORCHESTRA BEETHOVEN / MEDTNER / TCHAÏKOVSKI

AUDITORIUM MAURICE RAVEL – LYON : BELGIAN NATIONAL ORCHESTRA BEETHOVEN / MEDTNER / TCHAÏKOVSKI

dimanche 21 avril 2024

La Salle Henry Lebœuf / Belgian National Orchestra © Barth Decobecq 

Bien que situé au cœur des vacances scolaires, le présent concert obtient une fréquentation maximale. Fait à méditer, prouvant assez que ce type de période n’entraîne pas forcément la désertion… si l’affiche motive le public comme aujourd’hui ! Voici la seconde fois seulement qu’une prestigieuse phalange du Royaume de Belgique se produit en tournée à l’Auditorium. Après l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège fin novembre 2021 – qui avait ravi dans un programme Franck, Martinů et, déjà, Tchaïkovski – place à l’Orchestre National. Fait un peu troublant, cette institution a pris en 2017 une appellation en langue anglaise ; sans doute afin d’échapper aux querelles picrocholines entre Flamands et Wallons ? Recourir à l’allemand aurait sans doute été perçu telle une abusive faveur vers la minorité germanophone autour d’Eupen et Saint Vith ? Navrant, tout de même, que l’idiome d’Albion l’emporte derechef.

Antony Hermus © Marco Borggreve 1
Antony Hermus©-Marco Borggreve

Attention à ne pas laisser la fougue déborder le contrôle

Directeur musical du B.N.O depuis 2021, Antony Hermus a récemment fait valoir son talent dans notre salle, invité à diriger l’O.N.L dans un concert consacré à Wagner, Hersant et Tchaïkovski1. En dehors d’une gestique disgracieuse mais diablement efficace, nous avions pu apprécier ses qualités, dont les moindres ne sont certes pas la fermeté et la rigueur rythmique.

Il attaque l’ouverture pour Coriolan Opus 62 de Beethoven avec une vigueur et une franchise d’accents opportunes, prenant davantage de risques ici qu’avec l’O.N.L, imprimant une herculéenne tension à ses troupes. Elle deviendrait pression asphyxiante s’il n’assurait, par ailleurs, un palpable modelé, dont témoigne le second thème. Mais attention à ne pas laisser la fougue déborder le contrôle : les tutti ou indications au-delà du forte en portent les stigmates, sonnant plus bruyants avec des contours flous que tranchants avec une physionomie nette.

L’implication des instrumentistes comme du chef fait cependant plaisir à voir, tant l’on perçoit une compréhension parfaite de la violence à peine contenue que renferme la fort complexe démarche beethovénienne, autant que ses implications personnelles dans cette œuvre précise, sous le prétexte du héros romain (défis, épreuves, amour maternel et suppliques de Veturia…).

Florian Noack 1 Photo Danilo Floreani
Florian Noack©Danilo Florean

Quelle façon a Noack de faire mourir l’ultime do grave sff… un frisson nous étreint alors

Le jeune pianiste Florian Noack se fait de plus en plus remarquer (en bien) ces derniers temps, attirant l’attention des mélomanes et publications spécialisées. On le découvre curieux de tout, authentique explorateur de terres par trop ignorées. Son présent choix en témoigne : nous lui savons gré d’opter pour le Concerto N°1 en ut mineur de Medtner, dont voilà – sauf erreur – la création lyonnaise. À l’instar de César Cui, Georges Catoire ou Reinhold Glière avant lui, Nikolaï Medtner fait partie des compositeurs d’origines européennes variées, dont les familles se fixèrent en Russie tsariste. Pianiste renommé, il se consacra avant tout à son instrument, laissant pièces en solo, partitions chambristes (dont le sommet demeure, à notre sens, son Quintette avec piano), mélodies et trois concertos, copieusement symphoniques en textures.

Tout critique sérieux devant connaître le terrain à jauger, nous remîmes récemment à l’étude cette partition foisonnante. Nous voici d’autant plus impressionné par l’aplomb dont fait preuve Florian Noack dans l’introduction de l’Allegro initial, une des plus terrifiantes du répertoire russe en cette époque transitoire marquée par le premier conflit mondial. Le virtuose belge défie sans faiblesse les obstacles, combattant impavidement contre des parties orchestrales sonores qui ne l’épargnent pas. Le chef ne pouvant retenir ses forces sans trahir les intentions de l’auteur, il faut donc braver ce flot torrentiel. Sur ce plan, Noack ne s’en laisse pas compter. Sa lutte athlétique se révèle moins conflit qu’étroite collaboration, tels les guerriers entourant Léonidas aux Thermopyles, où chaque hoplite veillait sur son voisin.

Après cette partie princeps où la fougue surabonde, le traitement du pondéré Tranquillo, meditamente par Medtner autorise la mise en exergue d’une sensibilité tangible, conjuguée à des doigtés précis autant que recherchés, générateurs d’instants privilégiés, féconds en magie mélodieuse. L’on devine alors chez ce bel artiste un fin chambriste. Ses échanges subtils et attentifs avec ses partenaires (bois solistes en particulier), soutenus par d’éloquents regards complices font comprendre à quel point ils savent “faire de la musique ensemble”.

Ce partage permanent, tout à leur honneur, culmine dans un Allegro molto final confirmant les atouts d’une technique de clavier transcendante, permettant un abattage fulgurant soutenu par le chef, lequel règle en complète osmose les évolutions enveloppantes de ses forces dans cette écriture à pâte dense. Tous communiquent au public l’envie d’en découvrir plus sur Medtner, créateur trop délaissé, remplissant ainsi la mission prioritaire des vrais musiciens : servir les œuvres au lieu de s’en servir. Et quelle façon a Noack de faire mourir l’ultime do grave Sff… un frisson nous étreint alors. Serait-ce lui, le pianiste contemporain dont nous avons l’urgent besoin pour révéler, diffuser et populariser enfin le concerto géant de Ferruccio Busoni ?

En Bis, il propose l’exquise transcription de sa main d’une pièce attribuée à l’énigmatique Tielman Susato, actif au XVIème siècle. Vivement que Florian Noack revienne, avec l’O.N.L !

Belgian National Orchestra Antony Hermus © Barth Decobecq
Belgian National Orchestra/Antony Hermus©Barth Decobecq

À défaut d’être éclipsés, Slatkin et l’O.N.L se trouvent enfin égalés !

Voilà bientôt huit ans que Leonard Slatkin offrait à Lyon la première intégrale des symphonies de Tchaïkovski, avec la création locale de la 3ème « Polonaise ». Depuis, les dignes exécutions isolées ne purent effacer le souvenir d’une réalisation d’ensemble unique. Au sujet de la 5ème Symphonie en mi mineur Opus 64, nous notions alors : « Au-delà de l’impeccable conduite du propos, c’est ici le sens aigu de l’architecture qui frappe l’imagination de tout auditeur averti. Slatkin cultive en maître l’art de captiver l’assistance, jamais l’attention ne se relâche »2.

Or, Antony Hermus nous convainc dès l’automne dernier de ses affinités avec Tchaïkovski, en nous servant une imposante vision de Manfred. La 5ème Symphonie reste un monument certes moins lourd mais d’une trempe différente et, au bout du compte, guère moins contraignante.

Attendant un silence profond avant d’attaquer, le chef laisse percevoir une concentration supérieure, ainsi qu’un rapport intense avec cette œuvre. Une petite harmonie habitée dans l’énoncé du motif cyclique le confirme. L’Allegro con anima nous saisit par son ressenti très juste, par sa scansion ensuite, dans ses métamorphoses au gré des superpositions de pupitres.

La physionomie du 2ème thème séduit par son refus du sentimentalisme excessif. Toutes les coordinations produisent un résultat sonore captivant, permettant d’apprécier enfin pleinement les capacités d’un orchestre que l’on ne devinait pas si contrôlé en puissance jusqu’alors. Une authentique stratification des zones sonores s’impose ici infiniment mieux qu’avant l’entracte.

L’Andante cantabile corrobore ce constat, avec chaque pupitre de cordes individué, servant d’écrin à un 1er cor royal, poignant dans ses échanges avec les bois solos. Un lyrisme éperdu s’exhale ensuite. Seul manque le vibrato inhérent aux cuivres russes pour atteindre l’idéal.

Pour l’inratable Valse, encore faut-il saisir sa signification profonde, liée aux tourments de l’auteur. Le chef l’installe : dans ses ponctuations sinistres aux cors bouchés, laissant sourdre une inquiétude sous-jacente, voire la fièvre des cordes frémissantes aux pizzicatos incisifs.

L’épreuve du complexe Finale voit souvent s’effondrer les espoirs du musicologue. Hermus le sait. Sans s’économiser, il s’y plonge avec une totale maîtrise, sans précipiter le tempo, y compris à compter de l’Allegro vivace, nullement cafouilleux ici, où des cuivres inouïs secondent sans faillir ses intentions. À partir du capital silence précédant la mesure 472, marquant l’entrée des trois minutes consacrées à la cruciale péroraison, tout s’accomplit : allure légitimement emphatique de l’attaque tourbillonnante, imposante et sans précipitation déplacée ; ampleur solennelle du leitmotiv cyclique ; folle énergie déployée tous azimuts, autour d’un généreux timbalier. Impossible de ne pas s’extasier devant cette conjonction prodigieuse : à défaut d’être éclipsés, Slatkin et l’O.N.L se trouvent enfin égalés !

Triomphe général aux saluts, où l’on remercie infiniment le chef de – NB : à l’aune d’une saine tradition des temps jadis, hélas presque entièrement perdue ! – faire se lever séparément, sous les ovations, les cinq pupitres des cordes.

Un regret ? Oui, un seul : l’absence de bis. Certes, nous savons combien ce parcours a été exténuant pour chacun des protagonistes. Toutefois, nous rêvions d’un cadeau très précis, consubstantiellement liée à l’histoire belge : l’ouverture de La Muette de Portici d’Auber, grand-opéra dont Hermus a réalisé une gravure – incomplète mais marquante – chez C.P.O en 2011, avec les forces de Dessau.

Patrick FAVRE-TISSOT-BONVOISIN

21 avril 2024

2 Dans feu Lyon-Newsletter.com, parution de fin novembre 2016.

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