Gioconda stratosphérique en cette soirée du 13 avril avec les forces vives, chœurs et orchestre, du San Carlo de Naples, sous une direction absolument flamboyante et néanmoins toujours en délicatesse et bonne connaissance de l’œuvre et des artistes de Pinchas Steinberg. On a pu observer tout le travail fait avec les musiciens (par exemple le ballet de la « Danse des heures ») avec des tempi très adaptés et le soutien aux artistes si le besoin s’en faisait sentir.
Commençons par ce qui a été le point culminant de la soirée : Ludovic Tézier qui signe avec Barnaba le rôle le plus intéressant psychologiquement de sa carrière, ce qui nous avait déjà frappé avec son Iago de l’Otello du Festival d’Aix en 2023, où déjà sur les conseils de Romain Gilbert que l’on retrouve à Naples, il avait dégagé une personnalité ne se contentant pas de chanter devant un pupitre, comme on s’en doute !
Ce qu’il avait fait dans Iago, il le refait de façon plus diabolique, plus perverse, plus machiavélique dans Barnaba, avec des idées très simples du metteur en scène comme le fait de lui faire plonger la main dans la fange de la lagune dès le début de cette soirée qui nous donne le tempo jusqu’au moment final où l’on retrouve cette boue avec lequelle s’enduit Anna Netrebko pendant sa danse lascive. Barnaba effectivement ne peut aimer que dans la fange… et c’est une idée extraordinaire faisant de ce duo final l’un des moments les plus intenses, à inscrire au Panthéon de ce que nous avons pu vivre sur une scène d’opéra depuis des années. D’autant que la danse d’ Anna nous permet de voir ses jambes gaillardes et musclées dont elle joue comme on a pu le voir dans certains concerts, notamment celui où elle interprète Giuditta.
Ceux qui ont eu la chance d’entendre Angeles Gulin se rappellent de ces sons piqués au dernier duo qu’ Anna Netrebko, elle aussi, délivre comme si elle se trouvait au 1er acte de Traviata alors que son Suicidio de lirico-spinto dramatique d’anthologie déploie des graves qui ont pris une ampleur étonnante (voir la vidéo jointe).
Dommage alors que nous n’ayons pas en face le calibre du mezzo-soprano qu’il nous faudrait par exemple pour le duo de l’acte 2 où Eve Maud Hubeaux n’a pas les moyens requis, nous laissant regretter que la mezzo qui interprète la Cieca, Kseniia Nikolaieva, véritable contralto, n’ait pu interpréter Laura.
Cas plus complexe que celui de Jonas Kaufmann qui n’est pas le ténor lirico spinto attendu malgré un « cielo e mare », détaillé, ciselé, stylistiquement admirable avec la mezza di voce, diminuendo et réel élargissement final. Quelques manifestations de spectateurs avaient accueilli sa prestation lors de la première…
Tout le reste de la production est à féliciter participant à la réussite de cette soirée au San Carlo qui avait attiré de nombreux fans d’opéra venus d’Italie mais aussi de tous les coins du monde !
Hervé Casini
13 avril 2024
La Gioconda, Amilcare Ponchielli
Livret de Tobia Gorrio (Arrigo Boito) d’après Angélo, tyran de Padoue‘ de Victor Hugo
Direction| Pinchas Steinberg
Mise en scene | Romain Gilbert
Décors | Etienne Pluss
Costumes | Christian Lacroix
Lumières | Valerio Tiberi
Chorégraphie | Vincent Chaillet
Distribution :
La Gioconda | Anna Netrebko (10, 13, 16) / Lianna Haroutounian (11, 14, 17)
Laura Adorno | Eve Maud Hubeaux (10, 13, 16) / Anna Maria Chiuri (11, 14, 17)
Alvise Badoèro | Alexander Köpeczi
La Cieca | Kseniia Nikolaieva
Enzo Grimaldo | Jonas Kaufmann (10, 13, 16) / Angelo Villari (11, 14, 17)
Barnaba | Ludovic Tézier (10, 13, 16) / Ernesto Petti (11, 14, 17)
Zuàne / Un cantore / Un pilota | Lorenzo Mazzucchelli
Isèpo | Roberto Covatta
Un barnabotto | Giuseppe Todisco
Orchestre, Chœur et Ballet du Teatro di San Carlo
avec la participation du « Coro di Voci Bianche » du Teatro di San Carlo
Chef des chœurs | Fabrizio Cassi
Direction du Ballet | Clotilde Vayer
Coro di Voci Bianche | Stefania Rinaldi