L’enregistrement de l’opéra semiseria Fausto de la compositrice et auteure du livret Louise Bertin (1805-1877) constitue un véritable événement, tant pour la résurrection réalisée que pour l’interprétation réunie pour la servir. On est surpris à la première écoute, conquis à la seconde et aux suivantes.
Un peu d’histoire
L’ouvrage de Louise Bertin a été créé à Paris au Théâtre-Italien en 1831. L’établissement existera dans diverses salles de 1814 à 1878. Il programme un répertoire presque uniquement italien. Les compositeurs non-transalpins qui y furent représentés sont rares (Mozart, les français Meyerbeer, Niedermeyer, Halévy…) Parmi ceux-ci Louise Bertin fut la seule femme. Comme compositrice elle n’a pas été confrontée globalement au problème du genre ; l’expression « mâle vigueur » que la presse utilise pour caractériser son art n’a rien d’un déchaînement sexiste. Elle n’en reste pas moins une personnalité discrète, ne souhaitant pas se présenter devant le public lui étant pourtant acquis le soir de la première (notons qu’elle était atteinte de poliomyélite).
Sa place dans le monde musical, littéraire et artistique (elle est également poétesse) est liée à un itinéraire particulier. Elle évolue dans un milieu argenté et privilégié. Sa famille détient le Journal des Débats. Sa formation se déroule auprès de François-Joseph Fétis et Antoine Reicha avec lequel étudia également à la même époque qu’elle Berlioz. La critique ne peut en rien lui être défavorable avec des journalistes comme le célèbre musicographe Castil-Blaze (1784-1857), expert en adaptations, échotier dans le média de son père.
Elle composa, outre des cantates, de la musique instrumentale et des symphonies de chambre, trois autres ouvrages lyriques : Guy Mannering d’après Walter Scott en 1825 donné en privé, Le Loup-garou en 1827 sur un livret de Scribe créé à l’Opéra-Comique et La Esmeralda en collaboration avec Victor Hugo en 1836 jouée à l’Opéra de Paris.
Argument et dramaturgie
En puisant dans le vaste corpus d’ouvrages, de versions, d’adaptations de la pièce de Goethe et dans d’autres œuvres ayant Faust pour sujet (en 1830 il s’agit d’une véritable « fausto-mania »), Louise Bertin ne joue pas la facilité. L’agencement de son livret, traduit en italien, n’en est que plus habile.
Pour qui a en mémoire le Faust (1859) de Charles Gounod (et comment ne pas l’avoir) on ne peut que constater ce qui change. La première partie de l’acte I chez Gounod devient un acte entier – le 1er – chez Louise Bertin. L’air de Fausto s’enchaîne à un récitatif accompagné déjà très musical ; la triple reprise d’un chœur chrétien fait renoncer le savant à l’instinct de mort qui s’est emparé de lui. L’importance donné au personnage de Wagner introduit un premier duo qui annonce dès cet acte l’entrée en scène de Margarita. Dans un terzetto plein d’animation les trois personnages évoluent au rythme d’une conversation qui fait de Fausto un amoureux de Margarita et de Wagner un serviteur apeuré. L’appel à Mesfistofele est conforme à la tradition, mais le duo ne va pas jusqu’au pacte, même si le marché proposé par le diable (« Je veux te servir en ce monde / Et puis quand nous serons là-bas / Docteur nous changerons de rôle » trad. Bru Zane) adopte la tournure mélodique qui sera reprise par Gounod. La soumission à Mefistofele se fait dans une scène qui conduit dans l’antre d’une sorcière s’ouvrant sur un chœur de démons qui pourrait faire penser à ceux de Verdi (« Zitto, Zitto, state attenti »). C’est dans ce cadre effrayant que Fausto revoit Margarita dans un miroir et rajeunit au moment où il boit à la coupe tendue par la sorcière. Un ensemble concertant termine l’acte.
L’acte II s’ouvre une très belle Canzonetta chantée par Margarita, avant son duetto avec Fausto. La cavatine qui suit ressemble à un arioso soutenu par la richesse de l’orchestre ; la reprise de la Canzonetta clôt cette première partie d’acte. On n’est pas surpris de retrouver après un duetto Caterina – Mefistolfele empreint de vigueur le quatuor du jardin dont les éléments concertants des quatre voix réunies sont hardiment menés sans compromettre la fluidité du discours.
L’acte III est celui de Valentino, même s’il débute par la prière d’une Margarita déchue. Valentino (un ténor dans Fausto) se présente dans un air à la fois martial et sentimental. Les trois ensembles qui suivent font progresser une action qui regarde vers le mélodrame : dans un finale Mefistofele fait passer Valentino pour un amant de Margarita que Fausto blesse à mort ; dans un concertino Fausto réalise qu’il a tué le frère de Margarita ; la strette fait intervenir la population qui accable Margarita de meurtres en série (sa mère, puis indirectement son frère).
À l’acte IV Fausto veut détruire son contrat. Le cantabile traduit son accablement. Quand il entend l’annonce de l’exécution de Margarita, une strette énergique dit son désir de la sauver. La mort s’abat dans un cantabile avant que les effets théâtraux du finale ne célèbrent le salut de la condamnée et signent la damnation de son amant.
L’enregistrement
L’existence de Fausto était connue et avait été repérée depuis plus de dix ans par le Palazzetto Bru Zane. C’est la découverte de la partition d’orchestre et de son environnement qui a permis de restituer l’ouvrage en vue d’un concert et de son enregistrement évidemment inédit. Le rôle de Fausto créé par le ténor Domenico Donzelli a été rétabli comme envisagé au départ pour une voix de mezzo. Il était particulièrement judicieux, vue la date de 1831, de faire appel à un orchestre jouant sur instruments d’époque qui peut mettre en évidence ce qui frappe dans la partition : les contrastes liés à un tissu harmonique audacieux et une instrumentation originale très sonore. « Les Talens Lyriques » de Christophe Rousset répondent à cette double exigence en restituant le rythme, la couleur (parfois la légèreté) et la théâtralité à l’os d’une œuvre vraiment atypique.
La distribution
Karine Deshayes est un Fausto idéal maîtrisant l’ensemble des registres, appuyant son interprétation sur une voix longue, richement timbrée, attentive à toutes les nuances qui rend l’attrait vocal captivant.
Karina Gauvin dans Margarita offre ce profil vocal propre à traduire aussi bien le raffinement des états d’âme que la couleur tragique du rôle dans les deux derniers actes. Sa prière et ses ultimes duos avec Fausto sont bouleversants.
Ante Jerkunica est un Mefistofele à la voix bien projetée, égale dans la ligne de chant et très expressive dans le legato. Son duo avec Catarina, sa place dans le quatuor du jardin sont sont très investis.
Marie Gautrot (Catarina) est d’ailleurs elle-même excellente avec un chant percutant et solidement harmonisé.
Nico Darmanin est un Valentino à la voix mordante et claire ; les aigus particulièrement difficiles par leurs environnements phrastiques sont assurés avec une sûreté qui leur donne tout leur éclat. Les accents valeureux comme ceux pathétiques sont du beau chant mais aussi du théâtre.
Très belles prestations de Diana Axentii et de Thibault de Damas, éloquent baryton dans Wagner.
On n’oubliera pas de souligner l’intérêt des trois articles parfaits procurés dans le livre-disque.
Didier Roumilhac
Louise Bertin / Fausto
Fausto : Karine Deshayes – Margarita : Karina Gauvin – Mefistofele : Ante Jerkunica -Valentino : Nico Darmanin – Catarina : Marie Gautrot – Una strega / Marta : Diana Axentii – Wagner / Un banditore : Thibault de Damas
Direction : Christophe Rousset – « Les Talens Lyriques » – « Flemish Radio Choir »
https://bru-zane.com/fr/pubblicazione/fausto/
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