La nouvelle production de la 46ème édition du Festival Händel (Internationale Händel Festspiele) de Karlsruhe est Siroe, Re di Persia, titre qui sera également à l’affiche de la manifestation en février 2025. L’intrigue où politique, amour et violence s’entrecroisent, est la suivante : avant le début de l’histoire, le roi Cosroe a fait assassiner le père d’Emira et celle-ci, sous le travestissement masculin d’Idaspe, veut se venger en tuant à son tour le commanditaire du meurtre. Parallèlement, la maîtresse du roi Laodice tente de séduire Siroe, l’un des deux fils du roi, mais qui est amoureux d’Emira, un amour payé de retour. Le méchant du livret est Medarse, fils cadet de Cosroe et avide de pouvoir, qui n’hésite pas à fomenter l’assassinat du père et du frère dans le but de s’emparer de la couronne. Siroe est injustement accusé et emprisonné, mais l’issue est heureuse avec une réconciliation générale.
La mise en scène d’Ulrich Peters est vivante et produit un jeu naturel des protagonistes, dans les décors et costumes de Christian Floeren directement inspirés de la série Games of thrones. Le trône lui-même, au dossier prolongé de lances qui partent en demi-cercle, ne laisse que peu de doutes. Celui-ci est placé au centre d’un podium haut de trois marches, à côté d’une statue en forme de colonne, un escalier métallique en colimaçon à l’intérieur et la tête posée au sol. Le plafond est percé d’un grand trou et le plateau baigné en permanence d’une brume, bien mise en valeur par les lumières changeantes de Christoph Pöschko. Ce vaste espace donne de l’ampleur à la réalisation visuelle, les solistes, et de rares figurants, allant et venant avec fluidité. Une autre configuration scénique est utilisée par séquences, en fermant le cadre de scène par une paroi, très rapidement et à vue en utilisant le plateau tournant. Cet espace resserré en avant-scène donne une intimité supplémentaire à plusieurs tableaux, comme la scène où Siroe est emprisonné, attaché par des chaînes au grand mur, tandis que des grilles métalliques sont en place sur les côtés.
Plusieurs protagonistes accusent un déficit de puissance dans la partie grave du registre, à commencer par les deux contre-ténors Rafał Tomkiewicz (Siroe) et Filippo Mineccia (Medarse), à la typologie vocale assez proche. C’est d’ailleurs davantage l’allure en scène que la voix qui distingue les deux personnages, le « méchant » Medarse portant des tatouages sur le visage qui lui donnent un air plus agressif. Si le contre-ténor polonais émet un timbre agréable dans une fine musicalité, comme au cours de son long air en prison « Deggio morir, o stelle », son confrère italien est capable d’un supplément de puissance au cours de ses passages de fureur. A noter que les deux interprètes se font entendre plus confortablement dans le grave lorsqu’ils basculent en voix de poitrine.
En Emira, le plus souvent travestie au masculin en Idaspe, la soprano franco-belge Sophie Junker dispose d’une voix de belle ampleur, expressive et de qualité homogène sur toute l’étendue, y compris dans une partie grave aux notes de mezzo-soprano. L’intonation est très juste également et elle distille parfois quelques variations inspirées dans les reprises de certains airs, comme au cours de son premier « D’ogni amator la fede ». L’autre soprano Shira Patchornik, dans le rôle de la multi-séductrice Laodice, est encore plus sollicitée dans le registre aigu, où elle fait preuve de souplesse pour ses multiples traits d’agilité, même si la précision d’intonation se relâche légèrement pour franchir les plus grands intervalles. La partie inférieure de la voix sonne de manière discrète, mais on apprécie de nombreux passages, par exemple son air doloriste aux paroles bien connues des amateurs de Rossini (qui en a fait de multiples variations musicales) « Mi lagnerò tacendo del mio destino avaro, ma ch’io non t’ami, o caro, non lo sperar da me ».
Dès ses premières interventions, on est frappé par la voix ferme et puissante de la basse Armin Kolarczyk, qui confère une forte autorité au personnage du roi Cosroe. La qualité est également homogène sur la tessiture, depuis les graves profonds bien exprimés jusqu’aux aigus projetés vaillamment. Le baryton Konstantin Ingenpass complète en Arasse, l’ami de Siroe, avec des qualités vocales moindres.
On retrouve les mêmes formidables musiciens de l’orchestre des Deutsche Händel-Solisten entendus la veille dans Ottone, cette fois placés sous la direction musicale d’Attilio Cremonesi, qui tient également l’un des deux clavecins pour les récitatifs. Dès l’Ouverture, on entend des tempi plutôt lents, choix qui confère à la fois solennité et majesté à la musique. Tout en assumant également l’animation attendue pour les passages plus rapides plus tard dans la partition, on distingue régulièrement, pour le bonheur de nos oreilles, cette ampleur musicale fort bien servie par les instrumentistes aguerris.
Irma FOLETTI
Badisches Staatstheater Karlsruhe, le 29 février 2024
Direction musicale : Attilio Cremonesi
Mise en scène : Ulrich Peters
Décors et costumes : Christian Floeren
Chorégraphie des combats : Annette Bauer
Lumières : Christoph Pöschko
Dramaturgie : Matthias Heilmann
Siroe : Rafał Tomkiewicz
Emira : Sophie Junker
Laodice : Shira Patchornik
Medarse : Filippo Mineccia
Cosroe : Armin Kolarczyk
Arasse : Konstantin Ingenpass
Deutsche Händel-Solisten