L’année dernière l’Orchestre National de Cannes s’était attaché, à l’occasion de son concert du nouvel an, à célébrer les « Années folles » notamment sur la Côte d’Azur sous le titre Croisette opérettes des Années folles avec des extraits de Phi-Phi, Dédé et J’adore ça ! de Henri Christiné ; de Ta bouche, Gosse de riche, et Pas sur la bouche de Maurice Yvain ; de Toi c’est moi de Moïse Simons ; de Ô mon bel inconnu et Ciboulette de Reynaldo Hahn ; de Trois jeunes filles nues et Un soir de réveillon de Raoul Moretti et de Coup de roulis et Passionnément d’André Messager.
Il s’agissait là d’évoquer, au sortir de la première guerre mondiale, la frénésie de liberté, de bonheur et de divertissement, dans la France entière et en particulier la Riviera naissante de Francis Scott Fitzgerald, de Zelda, d’Ernest Hemingway et de Picasso, le tout avec un certain nombre de chanteurs de talent et sous la baguette inspirée de Benjamin Levy. Ce concert d’abord organisé à Paris, puis dupliqué à Cannes, avait fait concomitamment l’objet d’un CD publié par la firme Erato.
On sait que Benjamin Levy s’est fait un renom, à l’orée de sa carrière, grâce à ce répertoire qu’il a beaucoup dirigé il y a une vingtaine d’années à Paris (notamment au théâtre de L’Athénée ) avec la Compagnie Les Brigands tels que Ta bouche ou Toi c’est moi, sans compter les œuvres d’Offenbach comme Le Docteur Ox , Geneviève de Brabant , ou encore Les Brigands .
Il est désormais le directeur musical et chef attitré de l’Orchestre National de Cannes et, bien que dirigeant des œuvres du répertoire classique (Mozart, Beethoven, Mendelssohn, Rachmaninov, Dvořák, Tchaïkovski, Richard Strauss…), il n’en demeure pas moins un amoureux du répertoire dit « léger ». Pour fêter l’avènement de l’année 2024 il a proposé deux soirées consacrées à la comédie musicale américaine, la première au Théâtre Anthéa Antibes (le 1er janvier) et la seconde dans la salle Debussy, résidence traditionnelle de l’orchestre au Palais des Festivals de Cannes, une semaine plus tard.
Inutile de dire que la vaste enceinte d’Anthéa était archicomble à cette occasion et c’est une réelle satisfaction de penser que le public ait répond en nombre en contraste avec une ambiance que l’on peut qualifier de morose, eu égard à la gravité des évènements internationaux en cours, démentant ainsi une désaffection parfois entretenue médiatiquement pour tout ce qui concerne la musique, et en particulier celle de pareil répertoire
Séduisant et copieux fut le programme de cette soirée festive avec l’ouverture de Gypsy (1959) de Jules Styne (comédie musicale où se retrouvaient, deux ans après West Side Story, Jérome Robins et Stephen Sondheim). Sleigh Ride (1948) de Leroy Anderson évoque les rennes du Père Noël (avec le tintement de leurs grelots) tandis que Bugler’s Holiday (1954) Les Vacances des joueurs de Bugle du même compositeur, constitue une pièce virtuose mettant en vedette trois trompettistes, souvent incluse, aux Etats-Unis, dans les programmes de concerts célébrant le 4 juillet, jour de l’Indépendance. L’ouverture de On the Town (1944) de Leonard Bernstein annonce la trépidante journée de trois marins en permission à New York pour 24 heures. Le prélude de Oh Kay ! (1926) de George Gershwin) dépeint l’époque de la prohibition en Amérique. Wonderful Town de Leonard Bernstein (1953) dont on entend l’ouverture narre les tribulations de deux sœurs originaires de l’Ohio venant tenter leur chance à New York. Suit Fiddle-Faddle (1947) (Le Violon irlandais) de Leroy Anderson une page faite pour mettre en évidence les violons avec des doubles croches répétées continuées en pizzicato tandis que Plink, Plank, Plunk ! (1951) du même Anderson se révèle un exemple significatif de l’utilisation du pizzicato par les instruments à cordes. L’ouverture luxuriante de Oklahoma (1943), la première comédie musicale écrite par le duo Rodgers et Hammerstein précède La Valse extraite du Divertimento (1980) de Leonard Bernstein suivie de The Waltzing Cat (1950), La Valse des chats, de Leroy Anderson) où les cordes imitent à la perfection et avec humour le miaulement des félins. L’ouverture de Candide (1956) de Leonard Bernstein vient brillamment conclure ce concert. Avec en bis La Mer (de Charles Trenet) ainsi que la reprise de la somptueuse ouverture de Gypsy.
Quel moment privilégié que celui de découvrir le plaisir évident avec lequel chef et instrumentistes ont interprété toutes ces œuvres, pleines de rythmes, de couleurs, d’entrain, de sensualité et de bonne humeur ! Leur implication et leur enthousiasme étaient communicatifs et pouvaient se comparer – du moins dans l’esprit – à ceux que l’on ressent chaque année en visionnant le concert télévisé de l’Orchestre Philharmonique de Vienne au Musikverein.
En tous cas grâce à l’Orchestre National de Cannes on est ce soir là allègrement entré de plain pied dans l’année 2024 avec joie et bonheur et des notes pailletées plein la tête !
Christian Jarniat
1er janvier 2024
Orchestre National de Cannes
Direction Benjamin Levy