Comme l’Opéra Bastille, l’Opéra Unter den Linden affichait La Traviata en janvier.
Si la mise en scène de Paris relève d’un réalisme parfois vulgaire, celle de Berlin offre de l’œuvre de Verdi une version d’un minimalisme quasi symbolique. Une scène ronde avec un arbre, une table surmontée d’un petit psyché, un grand miroir sans tain se fissurant au fil des actes, dans lequel se tiennent des danseurs en blanc formant un crâne de mort, avant d’oppresser la courtisane. Quelques chaises – leur nombre variant selon ce que les protagonistes transportent – dessinent le salon ou le boudoir de Violetta. Avec cette unique scénographie pour les trois actes, le metteur en scène Dieter Dorn montre que la vie publique et la vie privée sont confondues chez Violetta tout autant que sa perception mentale. Mais, le travail des couleurs révèle le mieux les ambiances de l’opéra. Les convives et Giorgio Germont, symboles de la vie, portent des vêtements colorés, tandis que Violetta et Alfredo vêtus de noir, blanc ou gris, annoncent déjà le deuil de leurs amours.
Pretty Yende, comme récemment entendue à Paris, incarne avec le même bonheur une Violetta surpassant le reste de la distribution. Elle restitue avec une émotion saisissante le martyre de la courtisane, grâce à un chant clair, d’une apparente fragilité et d’une légèreté digne de sa professeure Mirella Freni. Quant à son jeu d’actrice, il montre bien les difficultés infligées par sa maladie et que l’on ressent au fur et à mesure des actes. Rarement le «Teneste la promessa » n’aura été si poignant et l’héroïne si émouvante que dans son acte final.
Paolo Fanale en Alfredo nous a paru ce soir là plus en difficultés à ses côtés, exagérant son chant autant que son jeu. Il ne parvient ni véritablement à convaincre ni à émouvoir, même, hélas, dans son air « Lunge da lei per me non v’ha diletto! » du deuxième acte. Et Alfredo Daza, en Giorgio Germont semble peu habité par le rôle du père, forçant la voix, ce qui fait perdre legato et tout relief à ce personnage pourtant si touchant. Par contre Katharina Kammerloher en Annina assume avec efficacité le côté maternel et inquiet de son rôle.
A la tête de l’orchestre, le choix de Speranza Scappucci à la baguette lumineuse, claire et quasi joyeuse pour encadrer ce drame est aussi des plus judicieux. Rapprochant ainsi l’opéra d’un dramma giocoso à la Don Giovanni ou d’un drame lyrique sombre comme Carmen, il luit ainsi d’un éclat de diamant noir.
Après une excellente Jenufa et un très belle Daphné, voici une Traviata dont Pretty Yende sublime cette troisième héroïne féminine proposée par la scène berlinoise .
Andreas Rey
26 janvier 2024
Direction musicale : Speranza Scappucci
Mise en scène : Dieter Dorn
Décors : Joanna Piestrzyńska
Costumes : Moidele Bickel
Lumières : Tobias Löffler
Chorégraphie : Martin Gruber
Distribution :
Violetta Valery : Pretty Yende
Flora : Natalia Skrycka
Annina : Katharina Kammerloher
Alfredo Germont : Paolo Fanale
Giorgio Germont : Alfredo Daza
Gastone : Andrés Moreno García
Baron Douphol : Benjamin Chamandy
Marquis d’Obygny: Taehan Kim
Docteur Grenvil : David Oštrek
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