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À l’Opéra de Dijon : Turandot dans la Chine du 21ème siècle

À l’Opéra de Dijon : Turandot dans la Chine du 21ème siècle

vendredi 2 février 2024

© Mirco Magliocca

Coproducteur du spectacle avec l’Opéra national du Rhin, qui a vu sa création en juin dernier, l’Opéra de Dijon accueille Turandot, dans la mise en scène d’Emmanuelle Bastet. Nous sommes ce soir assez loin de la Chine médiévale imaginaire du livret de Giuseppe Adami et Renato Simoni, tiré de la comédie originale de Carlo Gozzi, avec d’emblée une foule pékinoise qui déambule à côté de multiples enseignes lumineuses colorées, qu’on imagine publicitaires. De rares marchands de rue sont présents, mais aussi de plus nombreux policiers qui surveillent de près tout ce petit monde, sous les caméras à 360° suspendues aux cintres. Les allers et venues de cette modeste multitude perdent toutefois rapidement de leur naturel, dans un espace qui paraît sensiblement étriqué sur le plateau dijonnais.

MIR4650Turandot © Mirco Magliocca
© Mirco Magliocca

Le Mandarin (« Popolo di Pechino ») apparaît comme un présentateur de spectacle avec micro portatif devant la bouche, puis les enfants entrent en scène en tenue d’écoliers en uniforme, casquette Mao sur la tête pour la plupart, pour effectuer des mouvements de gymnastique collective… attention, les deux maîtresses tout de noir vêtues et baguette à la main veillent à la bonne synchronisation ! L’espace se vide ensuite en une boîte scénique claire pour l’entrée de Ping, Pang, Pong, sur des trottinettes électriques. Ce sont trois hommes d’affaires, ou hauts fonctionnaires du régime, qui sortent l’inévitable ordinateur de leur attaché-case, se déplaçant plus tard sur des chaises à roulettes, en début de deuxième acte. L’Empereur Altoum a plutôt l’allure d’un dictateur avec ses très nombreuses médailles accrochées aux revers de sa veste, il s’exprime derrière son pupitre, tout comme Turandot pour l’énoncé des trois énigmes. On a enfin une curieuse impression d’assister à Otello à l’ouverture du troisième acte, avec Turandot seule auprès de son lit, placé au centre d’une pièce complètement dépouillée. La Princesse de glace se met au lit avant l’entrée de Calaf et son célèbre « Nessun dorma », un texte qui n’est pas en phase avec ce que l’on voit sur scène.

MIR4868Turandot © Mirco Magliocca

On retrouve plusieurs titulaires entendus l’été dernier en Alsace, à quelques exceptions près, dont les deux rôles principaux, Turandot et Calaf. Pour le rôle-titre, on connaît Catherine Foster comme chanteuse wagnérienne, en se souvenant pour notre part de son Isolde en 2012 à l’Opéra de Nice. La fréquentation de ce répertoire réputé lourd est évidemment un atout pour aborder le redoutable emploi de Turandot, les moyens sont en effet conséquents, certains aigus partant comme des flèches. Il faut toutefois un tout petit temps à la soprano pour entrer dans le personnage, le début de son grand air « In questa reggia » étant énoncé d’une manière assez neutre, nous semble-t-il, la Princesse de glace passant au déchaînement à partir des mots « e quel grido ». Le Calaf de Kristian Benedikt est en revanche une déception, timbre obscur et parfois engorgé, le ténor perd en effet de ses capacités au fur et à mesure de la représentation. Vaillant, voire athlétique en début d’opéra, le style se fait de plus en plus heurté et rencontre une inquiétante baisse de régime en fin de deuxième acte, le chanteur ayant toutefois l’intelligence de ne pas tenter le suraigu sur « No, no, Principessa altera ! Ti voglio ardente d’amore ». Il conserve quelques réserves après l’entracte pour « Nessun dorma », mais avec la dernière syllabe de « Vincerò ! » particulièrement écourtée, puis a bien du mal à tenir ensuite le duo avec Turandot, d’une forte tension dramatique et d’une longueur inhabituelle, donné dans la version intégrale du finale de Franco Alfano.

MIR6228 Turandot © Mirco Magliocca
© Mirco Magliocca

Déjà entendue en Liù à l’Opéra de Toulon en janvier 2019, on y apprécie une nouvelle fois Adriana Gonzalez, aérienne soprano tour à tour puissante et douce, maîtrisant à la perfection l’émission d’aigus filés qui renforcent l’émotion dégagée au cours de ses splendides airs « Signore, ascolta ! » et « Tu, che di gel sei cinta ». La basse Mischa Schelomianski complète sans problème en Timur, avec certains accents slaves dans la prononciation, tandis que le baryton Andrei Maksimov nous produit une très belle impression dans le rôle plus épisodique du Mandarin, beau timbre projeté sainement et vaillamment. Le groupe formé par Ping, Pang et Pong ne nous convainc en revanche pas vraiment, manquant d’italianità dans son ensemble, en particulier Pierre Doyen, agréable timbre de baryton au demeurant, mais en déficit de graves par ailleurs pour le rôle de Ping. Le ténor vétéran Raúl Giménez remplit également son office pour le rôle de l’empereur Altoum.

MIR5377Turandot © Mirco Magliocca
© Mirco Magliocca

C’est le même chef qu’à Strasbourg et Mulhouse qui est placé au pupitre, soit Domingo Hindoyan pour y diriger la version originale et intégrale du complément apporté par Franco Alfano. Un petit mot à propos de cette mouture : c’est en effet ce compositeur qui avait achevé la partition, laissée par Puccini à l’état d’esquisse pour la fin du troisième acte. Mais en vue de la création de 1926 à la Scala de Milan, le chef Arturo Toscanini faisait alors opérer de larges coupures, pour une version réduite qu’on a régulièrement entendue à la scène depuis. Ceci jusqu’à un passé récent, puisqu’Antonio Pappano enregistrait en 2022 à Rome (avec Sondra Radvanovsky en Turandot et Jonas Kaufmann en Calaf) cette version originale du finale de Franco Alfano. On entend donc ce soir plusieurs mesures « nouvelles » pour nos oreilles, d’ailleurs davantage à l’orchestre qu’aux voix. Tout au long de la représentation, le chef s’efforce à maintenir une solide architecture musicale, tout en restant au service des interprètes sur scène et de garder la musique à un niveau raisonnable de décibels. Un bravo enfin aux chœurs des Opéras de Dijon et du Rhin réunis pour l’occasion, appliqués et bien coordonnés tout du long.

Irma FOLETTI

2 février 2024

Auditorium de Dijon

Direction musicale : Domingo Hindoyan

Mise en scène : Emmanuelle Bastet

Scénographie : Tim Northam

Lumières : François Thouret

Costumes : Véronique Seymat

Videoscénographie : Éric Duranteau

Collaboration à la mise en scène : Louise Brun

Turandot : Catherine Foster

Liù : Adriana González

Calaf : Kristian Benedikt

Timur : Mischa Schelomianski

Altoum : Raul Gimenez

Ping : Pierre Doyen

Pang : Saverio Fiore

Pong : Éric Huchet

Le Mandarin : Andrei Maksimov

Le Prince de Perse : Nicolas Kuhn

Servante : Clémence Baï

Servante : Nathalie Gaudefroy

Orchestre Dijon Bourgogne

Chœur de l’Opéra de Dijon

Chœur de l’Opéra national du Rhin

Maîtrise de Dijon

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