Brillante représentation d’Ernani de Verdi au Théâtre du Prince Régent de Munich où l’Orchestre de la Radio de Munich donnait hier soir son deuxième concert dominical de la saison, sous la direction d’Ivan Repušić qui poursuit son cycle de plusieurs années consacré aux œuvres du jeune Verdi, avec à la clé des enregistrements CD.
Ernani est le premier travail d’équipe de Verdi avec Francesco Maria Piave, le futur librettiste de la Traviata. L’action de cet opéra, souvent présenté comme un classique du Risorgimento qui a encouragé les efforts d’unification de l’Italie, est aussi une œuvre complexe chargée de testostérone dans laquelle l’ escalade de désirs érotiques rencontre les codes de l’honneur et de la loyauté de l’Espagne du début du 16ème siècle. Trois hommes convoitent la même femme ! Elvira n’aime que l’un d’entre eux, le séduisant rebelle Ernani, mais elle est également courtisée par le jeune roi Charles-Quint ; elle est fiancée depuis longtemps à un parent peu commode, son oncle Silva ! Tout cela est source de conflits, d’autant plus que les personnages ont été dotés par leur créateur Victor Hugo de caractéristiques contradictoires.
Pour cette version de concert, le Münchner Rundfunkorchester et son chef Ivan Repušić ont convié un plateau exceptionnel de grands chanteurs verdiens : le rôle-titre est interprété par Charles Castronovo, artiste en résidence, entouré du Carlo de George Petean et du Silva d’Ildebrando D’Arcangelo, en lutte pour Elvira, chantée par Selene Zanetti, avec en écrin l’orchestre et l’excellent chœur de la radio bavaroise entraîné par Stellario Fagone. À l’exception d’Ildobrando D’Arcangelo qui avait déjà chanté Silva à Rome il y a dix ans, tous les autres chanteurs effectuent leur prise de rôle.
C’est à Berlin que le ténor américain Charles Castronovo avait fait la connaissance d’Ivan Repušić alors qu’il chantait Don José sous sa direction. Les deux hommes sont devenus amis et c’est Ivan Repušić qui a proposé à Castronovo de venir à Munich en tant qu’artiste en résidence. Castronovo dit avoir une véritable vénération pour Verdi dont les oeuvres ont accompagné toute sa carrière. Il s’est illustré dans le rôle d’Alfredo qu’il a chanté plus de deux cents fois. Ces dernières années il s’est dirigé vers les rôles pour grand ténor lyrique, des rôles qui comportent des éléments dramatiques mais toujours dans le domaine du lyrique et du bel canto. Il considère le rôle d’Ernani comme une étape obligée sur la route qui conduit à l’interprétation de Manrico dans le Trouvère. Le ténor chante sa partie avec une énergie rayonnante et une noblesse élégante. Le timbre est d’une grande beauté, l’articulation parfaite et la ligne musicale très pure et d’une grande précision dans les différentes expressions de la palette émotionnelle complexe de son personnage.
Selene Zanetti, qui fut membre de l’opéra studio de la Bayerische Staatsoper jusqu’en 2020, fait ces dernières années une ascension stellaire vers le panthéon des grandes sopranos verdiennes. Elle remporta en 2016 à Barcelone le prix de la meilleure interprète de Verdi au concours de chant Francisco Viñas. Elle a donné une Duchesse Hélène remarquée lors de la première italienne de la version originale française des Vêpres siciliennes au Teatro Massimo Palermo. Plus récemment elle a fait ses débuts en mars dernier au Staatsoper de Hambourg dans le rôle d’Amelia Grimaldi dans Simon Boccanegra. Hier soir, son Elvira a conquis le public munichois avec des aigus assurés d’une grande beauté de vocalise, un medium bien installé et de brèves descentes réussies dans les graves. Une voix puissante qui lui permet de se distinguer face à l’orchestre et au chœur et dans les ensembles, alors même qu’elle est entourée d’un trio de très grandes voix masculines. Dès sa cavatine, on est séduit par le charme irrésistible d’une voix dotée d’un timbre admirable. Elle enlève les traits de vocalise fort étendus et fort difficiles de cet aria avec une véritable maestria.
En composant son opéra, Verdi avait accordé une attention toute particulière aux voix graves, et particulièrement au registre de baryton du roi, partagé entre la violence et la tendresse. George Petean, un des plus célèbres barytons verdiens qu’on a pu entendre sur cette même scène dans Luisa Miller et Attila, se montre magistral dans les récitatifs avec un phrasé aux enchaînements particulièrement soignés. Son Don Carlo a fait l’unanimité du public, conquis par la beauté de son timbre, la clarté de l’émission et l’éclatante facilité dans l’aigu. Ildebrando D’Arcangelo prête les profondeurs et les harmonies ténébreuses de sa voix et la richesse de son timbre au personnage de Don Ruy Gómez de Silva auquel il confère toute la noblesse altière, rigide et orgueilleuse que l’on en peut attendre. Les rôles secondaires sont fort bien distribués : Matteo Ivan Rašić en Don Riccardo, l’écuyer de Don Carlo, Svetlina Stoyanova en Giovanna et Gabriel Rollinson en Iago font tous trois honneur aux protagonistes.
Le chef Ivan Repušić fait lui aussi une carrière étoilée : nommé pour la saison prochaine chef d’orchestre principal de la Staatskapelle de Weimar, il dirigera la musique de l’Opéra de Leipzig à partir de la saison 2025/26. La modestie de ce chef est admirable, et n’a d’égale que son souci de rendre au mieux la rencontre de la ligne vocale avec le rythme pressant et soutenu des parties orchestrales. Il s’attache à contrôler la dynamique de l’orchestre de manière à mettre l’expressivité du chant en valeur. Il se soustrait quasiment aux applaudissements nourris pour mieux mettre en valeur les instrumentistes de l’orchestre, les interprètes et le fameux chœur de la radio bavaroise.
Si habilement dirigé et si magnifiquement interprété, cet opéra, qui recèle des morceaux de premier ordre, fut un ravissement et sans doute pour bon nombre de spectateurs une découverte. La délicieuse mélodie de l’air d’entrée du ténor, la cavatine d’Elvira, le premier final avec ses amples développements, le duettino des amants du deuxième acte, avec la douceur de sa cantilène et l’accompagnement de clarinette, l’élégance passionnée de l’adresse de Carlo à Elvira ” Vieni meco “, le grand final “O sommo Carlo “, le trio du troisième acte, tout cela concourt à donner des lettres de noblesse au cinquième opéra de Verdi.
Luc-Henri ROGER
26/11/2023
L’enregistrement audio du concert est disponible en ligne sur le site de la Radio bavaroise jusqu’au 26 décembre 2023.
https://www.rundfunkorchester.de/audio-video/audio-on-demand/giuseppe-verdi-ernani/
Distribution
Direction d’orchestre Ivan Repušić
Elvira – Selene Zanetti
Ernani – Charles Castronovo
Don Carlo – George Petean
Don Ruy Gómez de Silva – Ildebrando D’Arcangelo
Giovanna – Svetlina Stoyanova
Don Riccardo – Matteo Ivan Rašić
Jago – Gabriel Rollinson
Choeur de la radio bavaroise
Münchner Rundfunkorchester