Comme beaucoup de réalisateurs suivant l’exemple de Patrice Chéreau, Cédric Klapisch s’essaie à la mise en scène d’opéra. Il s’associe avec François-Xavier Roth et son orchestre Les Siècles pour une Flûte enchantée au Théâtre des Champs Élysées en novembre. Non content de régler la mise en scène, il adapte aussi la partie parlée en français contemporain, comme si Mozart était mieux assorti de nos jours en « Denin » qu’en bas de soie.
Dans le tableau du premier acte les arbres de couleur bleue-violette à lianes rouge-orangé se dressent pareils à des mâts devant un fond de jungle vert fluo. Le serpent terrorisant Tamino y surgit alors grâce à une projection vidéo. Le second prend des allures de serre et d’allée d’unités centrales. Le temple, derrière lequel sont enfermées la faune et la flore servira de lieu de rencontre aux personnages. Si l’opposition entre la nature sauvage du premier acte et la nature dominée du second illustre visuellement la transition civilisatrice du prince, l’utilisation des couleurs pour les costumes est plus aléatoire. Le rouge, lié au premier acte, qui ceint les fronts des envoyées de la Reine de la nuit et de Pamina empourpre entièrement Tamino, lui dont le singspiel narre la sortie de l’état de nature. Et le noir, lié au deuxième acte, est à la fois celui de Papageno, qui ne sort pas de ses pulsions égocentrées, de Monostatos qui leur succombe, et des envoyées de la Reine de la nuit qui les expriment.
Monostatos en cuir serré jusqu’aux mamelons, maquillage frontal et tatouages noirs ressemble à un méchant du film Kick-Ass 2 et à un sadomasochiste du dimanche et Papageno, dans son ensemble de cuir noir avec sa plume crânienne bleue et son plumage à la manche gauche, à un motard de série Z. Sarastro dans son kimono blanc à pardessus argenté et la Reine de la nuit dans sa robe dorée et son chapeau en filaments étincelants achèvent l’univers science-fictionneux de la mise en scène.
Ce manque d’élégance ne marque pas seulement la scénographie et les costumes mais en outre hélas les conceptions des personnages. Cyrille Dubois en Tamino, comme un Siegfried d’avant Wagner, accentue trop son heldentenor au détriment de l’identification voulue par Mozart, et son accent français gêne la compréhension de ses airs. Et si la voix de Florent Karrer en Papageno n’est pas sans charme, elle ne transmet pas assez les couleurs vives de l’oiseleur, sans compter que son accent français constitue aussi un handicap. Avoir opté pour un Tamino si moralement idéal dans son jeu et si appuyé dans son chant et un Papageno plus ridicule que touchant passe à côté de la portée exacte de l’œuvre affirmant que chacun est susceptible d’être initié, comme Tamino, malgré la sympathie qu’il porte à Papageno. Plus grave encore est le traitement du libretto. Outre la traduction et l’adaptation des dialogues en français truffés d’expressions contemporaines, (Papageno dit à un prêtre lui enjoignant d’être un homme : « C’est tellement genré, j’hallucine » ), qui rompent le flux naturel du récit en allemand des airs, certains ajouts comme Papageno se découvrant gérontophile après avoir embrassé Papagena ou Papagena demandant à Papageno s’il a « kiffé » son baiser, ne semblent pas de très bon goût. Ils changent même lourdement l’histoire (Tamino dit « être venu pour chercher la Reine de la nuit ») et sous-entend, en supprimant la réflexion de Papageno disant « Il y a bien des oiseaux noirs, pourquoi n’y aurait-il pas des hommes noirs ? », que les francs-maçons amis du Chevalier de Saint-George, Mozart et Schikaneder, puissent avoir été racistes. Enfin le cœur du singspiel, le dépassement de ses a priori comme le racisme avec Papageno ou le sexisme, lorsque Pamina refusant de tuer Sarastro entre dans le cercle des élus, est élimé pour ne donner qu’une simple œuvre de distraction.
En revanche Regula Mühlemann, seule cantatrice à ne pas avoir d’accent, réussit une Pamina à la ligne mélodique fluide dans une projection ferme. Et Aleksandra Olczyk, dont l’évidente puissance vocale – néanmoins maîtrisée pour ne pas écraser l’auditeur – confère le feu qui convient à la Reine de la nuit. Toutefois le choix d’une cantatrice du même âge que Pamina, interroge. Quand a-t-elle pu avoir sa fille ?
Mais la plus grande qualité de cette production est dans la fosse. Malgré les bruits de volatiles qui le parasite, l’orchestre Les Siècles reste droit sans raideur et souple sans exagération. Il retransmet les atmosphères des scènes avec une grande distinction, sans rompre son discours. Cette finesse accompagne la gravité de Jean Teitgen en Sarastro, le duo de plus en plus enthousiaste de Papageno et de Papagena, et plus généralement l’œuvre entière en sa joyeuse précision, comme un ruban de soie rouge. Soulignons en outre la prestation réussie du chœur d’une fermeté juste et d’une émission parfaitement articulée.
Fort heureusement, comme chaque fois qu’une mise en scène n’est pas à la hauteur de Mozart, Mozart la dépasse. Merci Monsieur Roth. Merci Madame Mühlemann. Merci les chœurs Chœur Unikanti-Maîtrise des Hauts-de-Seine. Merci le plateau vocal. Il vaut toujours la peine de l’écouter.
Andreas Rey
18 novembre 2023