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Sex, drugs and W.A. Mozart. Le Nozze di Figaro à l’Opéra de Munich.

Sex, drugs and W.A. Mozart. Le Nozze di Figaro à l’Opéra de Munich.

mardi 14 novembre 2023

Crédit photographique © Wilfried Hösl

Originaire du Kazakhstan, Evgeny Titov fut d’abord acteur puis metteur en scène de théâtre avant de s’intéresser au monde de l’opéra avec une première production en 2020 (Lady Macbeth de Mzensk de Chostakovitch à Wiesbaden). Il fait cette année ses débuts munichois, où il met en scène Les Noces de Figaro dans un travail basé sur le rythme et le comique de situation qui tente de rendre le déchaînement dynamique de la jalousie et du désir déployé dans le livret de Lorenzo da Ponte et dans la musique de Mozart. 

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K. Krimmel et H. Montague Rendall / Crédit photographique © Wilfried Hösl

La scénographe et costumière irlandaise Annemarie Woods a conçu un décor dont le principal élément est un grand mur de fond peint en gris avec une seule porte placée sur la gauche, à laquelle on accède par quelques marches. Au premier acte, La chambre de Figaro et de Susanna ne comporte aucun luxe : un pauvre évier et trois marches d’un escalier en fer, et un grand fauteuil Voltaire matelassé qui pourrait servir de décor à une scène de la Cage aux folles mais dont on découvrira bientôt qu’il est muni de gadgets pornographiques : un mécanisme permet d’élever et d’ouvrir le fauteuil de telle sorte que la personne qui y est assise ait les jambes écartées, des godemichés de métal de diverses formes apparaissent dont on peut deviner l’usage. Le fauteuil pourrait être inspiré par la ” Tower of power ” de la chanson Bobby Brown de Frank Zappa. Le ton est donné dès la première scène : le chapeau que s’est confectionné Susanna n’est qu’une cagoule de caoutchouc noirâtre que portera la comtesse déguisée en cuirette à robe à fleurs dans la scène du jardin. La chambre de la comtesse présente le même mur  avec sur sa partie droite un petit échafaudage : l’on a commencé à peinturlurer le mur en rose mais les travaux sont à peine entamés ; la porte s’est agrandie et reçoit un pourtour rococo, les marches sont de meilleure facture, une simple ouverture fait office de fenêtre, celle par laquelle s’enfuira Cherubino. Pour le dernier acte, le même mur est recouvert sur sa partie inférieure d’un rideau ayant l’apparence de lambris de bois. On est dans une chambre du comte qui comporte un grand meuble de bureau et un fauteuil de relaxation en cuir. Par la porte ouverte on aperçoit des arbustes. Le rideau s’ouvrira bientôt sur le jardin planté de nombreux arbustes de cannabis, dont on avait déjà pu apercevoir un spécimen lorsque l’intendant était venu présenter au comte un arbuste brisé par la chute de Cherubino en fuite. Les rangées de cannabis sont surmontées d’un nuage de fumée évocateur de l’usage qu’on peut faire de cette plante.

Sex and drugs, et la musique de Mozart en lieu et place du rock and roll. Evgeny Titov a transformé Les Noces en une pièce de théâtre boulevardière, légèrement pornographe, sans doute un peu plus commedia dell’arte que vaudevilliste. C’est assez plaisant et délassant pendant un moment, mais cela tient du procédé et ce procédé est bientôt éventé, et c’est fort réducteur au regard du génie et de la portée incommensurablement plus raffinés  du livret de da Ponte et de la créativité infinie de la partition de Mozart. L’aspect révolutionnaire de la dimension sociale de l’œuvre disparaît au profit d’une pauvre sexualité au sado-masochisme de pacotille, qui fait certes pouffer de rire et glousser mais escamote les étreintes de l’émotion. 

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Elsa Dreisig et Huw Montague Rendall / Crédit photographique © Wilfried Hösl

La direction musicale est assurée par Stefano Montanari, qui s’est déjà produit à plusieurs reprises à l’Opéra d’État de Bavière en tant que spécialiste du répertoire baroque et du début de la période classique. C’est à ce carrefour que se situe aussi la direction musicale de ce premier violon de l’Accademia Bizantina de Ravenne qui a souvent travaillé avec Christophe Rousset. Il cherche avec une délectation minutieuse à mettre en valeur le kaléidoscope des couleurs de la partition et à rendre les liens qui unissent la musique et le texte. Il se dit particulièrement attentif aux récitatifs qu’il accompagne lui-même au piano-forte. Il souligne qu’à ses yeux Mozart est autant un conteur qu’un musicien et qu’il s’agit de rendre tant la magie du conte que celle de la musique. Il faut selon lui mener les récitatifs sur un rythme rapide et énergique, tout en assurant une grande clarté d’énonciation et une grande force d’émotion, avec intelligence et sensibilité, deux caractéristiques essentielles d’une bonne voix. Montanari a dans sa carrière déjà dirigé huit Figaro. La gestuelle de sa direction d’orchestre est fascinante, avec des mouvements de bras et de mains extrêmement caractéristiques, un engagement corporel total. Il est au four et au moulin, passant rapidement au pupitre au piano-forte. 

Toute la distribution était d’une belle tenue, sans grand panache cependant, avec pour les premiers rôles un ensemble de chanteurs plutôt jeunes, qu’on a pour certains déjà pu entendre dans Cosi fan tutte,  le premier volet de la trilogie, ce qui permet de supputer qu’on pourrait les retrouver dans un futur Don Giovanni. Ce sont les chanteurs aînés qui tiennent les meilleurs parties : la Marcellina jouée par l’artiste consommée qu’est Dorothea Röschmann ou l’excellent Basilio de Tansel Akzeybek. Le soprano léger de Louise Alder et le baryton expressif de  Konstantin Krimmel se parent de plus de couleurs et de volume en deuxième partie. Huw Montague Rendall rend son comte avec une fort belle voix mais qui pourrait être plus impactée. Le Cherubino d’Avery Amereau mériterait d’être mieux mis en valeur. On retient surtout l’excellente comtesse d’Elsa Dreisig, chantée cependant comme en récital, sans grand engagement scénique, mais avec des modulations expressives remplies d’émotion et de sensibilité.

On passe une soirée agréable, mais qui ne rentrera pas dans les annales du Bayerische Staatsoper. Si les chanteurs et le chef sont honorablement salués aux applaudissements, c’est surtout l’orchestre qui recueille la meilleure part avec une belle ovation.

Luc-Henri ROGER

Distribution

Direction musicale Stefano Montanari

Mise en scène Evgeny Titov

Scène et costumes Annemarie Woods

Lumières DM Wood
Dramaturgie Katja Leclerc, Janine Ortiz
Chœurs Christophe Heil


Le comte d’Almaviva Huw Montague Rendall
La comtesse d’Almaviva Elsa Dreisig
Suzanne Louise Alder
Figaro Konstantin Krimmel
Chérubin Avery Amereau
Marcellina Dorothea Röschmann
Bartolo Willard White
Basilio Tansel Akzeybek
Don Curzio Kevin Conners
Barbarina Eirin Rognerud
Antonio Martin Snell
Jeunes filles Seonwoo Lee / Xenia Puskarz Thomas
Orchestre d’État de Bavière
Chœur de l’Opéra d’État de Bavière

 

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