On peut se poser la question suivante : « les opéras en version de concert sont-ils l’avenir de l’opéra ? » Je répondrai sans hésiter « oui » car dans ces versions concertantes, le public n’est pas confronté à des mises en scènes ne respectant plus le livret du compositeur et où le metteur en scène partage trop souvent ses fantasmes que le public, de plus en plus, n’a plus envie de subir. Et ce soir, le charme opéra et nous avons pu jouir pleinement de la musique et de l’expression vocale des artistes, et de ce fait, on touche à l’essence même de l’œuvre.
Un petit bémol pour l’interprétation de ce soir, on aurait pu projeter quelques images (le portrait de Sainte-Marie Madeleine par exemple), Mario dans la dernière scène avant l’exécution, aurait dû tomber sa veste… mais le jeu de scène de Sonya Yoncheva et Erwin Schrott était très expressif et cela a suffi pour servir la musique de Puccini.
Bien sûr, la Tosca de Giacomo Puccini, opéra-phare du compositeur attire toujours le public, surtout avec la participation de Sonya Yoncheva dans le rôle-titre qu’elle venait de jouer dans les Arènes de Vérone et bien sûr l’avant-veille à Gstaad.
Tosca, contrairement à Mimi (romantique puccinienne) est une femme de « Théâtre » d’après la pièce éponyme de Victorien Sardou et interprétée par Sarah Bernhardt, que l’amour exclusif et le refus de se donner par force pousse au crime.
Ce soir, Sonya Yoncheva nous a offert une TOSCA exceptionnelle, phénoménale, théâtrale, passionnée. Car Tosca ne peut être interprétée que par une artiste « habitée » et Sonya Yoncheva ne se démarquant pas seulement par la brillance et l’élégance de ses splendides robes de gala, (robe violette, épaules dénudées au premier acte, robe noire au décolleté vertigineux et robe scintillante argentée pour le dernier) ne s’est pas ménagée dans son interprétation « très habitée ».
Sa voix ample et sonore, subtile et expressive s’épanouit au long de la soirée, avec l’investissement tellement dramatique et les souffrances du personnage. Son « Vissi d’Arte » était sublime, à tel point, que Scarpia l’a écouté religieusement, immobile, sans doute visiblement ému par son superbe legato. Un tonnerre d’applaudissements, des « bravi » ont retenti dans la salle du Festspielhaus.
A ses côtés, le ténor Riccardo Massi (Mario Cavaradossi) est fidèle à lui-même. Vocalement impeccable, (sauf quelques notes trop soutenues « à l’ancienne ». Il reste malheureusement engoncé dans son théâtre n’ayant rien du personnage conquérant et révolutionnaire mais, il faut le souligner, son « Vittoria, vittoria » a jailli sans une once d’hésitation et fort percutant. Son « Lucevan le stelle » était tendre et subtil et a été fort applaudi.
Quant à Erwin Schrott, il épouse parfaitement le rôle du cynique Scarpia. Certes plus enjôleur, digne d’un Don Juan, dans la séduction de Tosca qu’un homme de pouvoir abusant de son statut, il joue de son sarcasme avec un talent immense et spectaculaire. Sa voix est pleine de noirceur, presque caverneuse, toujours plus sombre dans les graves. Après un « Te Deum ravageur » , où on l’entend pousser un suraigu déchirant et dominant tout l’orchestre et le Chœur du Théâtre de Berne, sa prestation tout au long du deuxième acte est remarquable. Erwin Schrott est un acteur accompli et possède une rare intelligence du texte avec une capacité de changer sa voix, lorsqu’il donne des ordres à ses sbires ou quand il déclame. Le public badois a d’ailleurs eu l’immense bonheur de l’entendre dans Méphisto, Faust dans cette salle du Festspielhaus.
Les autres rôles n’ont pas à rougir et sont portés par la marque de l’engament vocal, à l’image de Matteo Peirone dans le rôle du Sacristain, toujours plus coquin que pieux.
Le baryton-basse David Ostrek campe un Angelotti au timbre incisif et ample, mais il manque un peu de crédibilité sur le plan scénique (trop réservé pour un résistant, et presque toujours au bord de l’épuisement). Le ténor Alvaro Zambrano est un Spoletta avec un timbre vif, tandis que le baryton mexicain Gerardo Garciacano campe un Sciarrone bien soigné, mais avec une voix trop peu sonore. Kim Wettenschwiller est un jeune berger à la voix de soprano, juvénile certes, mais chantant avec assurance.
Autre acteur important, sinon le plus important, dans Tosca de Puccini : c’est l’orchestre, et bien sûr le chef. Aux côtés de sa Tosca à la ville, Domingo Hindoyan conduit les jeunes musiciens du Gstaad Festival Orchestra d’une direction bondissante mais avec beaucoup de lyrisme. Dès les premiers puissants accords, sa direction très inspirée et expressive, sert le puissant lyrisme dans une performance orchestrale impressionnante de sonorité, mais qui sait se faire plus mélancolique et poétique, soulignée par les magnifiques solos de violoncelle et clarinette. Quelle magnifique direction avec tellement de respect pour les chanteurs (les mélomanes strasbourgeois ont eu l’occasion de l’apprécier dans la direction de Turandot en juin à l’Opéra National du Rhin).
Un immense bravo au chœur du Bühnen Bern, conduit par l’excellent chef de chœurs Zsolt Czetner, surtout dans le « Te Deum », absolument monumental du 1er acte .
Une chaleureuse standing ovation a salué, à juste titre, les artistes de cette soirée exceptionnelle, avec une TOSCA d’anthologie et mémorable où la palme revenait à la « TOSCA » passionnée de Sonya Yoncheva et au Scarpia fascinant d’Erwin Schrott.
Marie-Thérèse Werling
27 août 2023