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Arènes de Vérone 2023 : La Traviata servie par une Violetta de légende : Anna Netrebko

Arènes de Vérone 2023 : La Traviata servie par une Violetta de légende : Anna Netrebko

samedi 9 septembre 2023
Anna Netrebko ©EnneviFoto

Franco Zeffirelli : l’opéra comme un film somptueux

Un décor quelque peu inhabituel pour Vérone puisqu’un grand rideau de théâtre rouge bordé de franges occulte complètement les gradins du fond des arènes. A cour et à jardin deux étages de loges sous lesquelles figurent une porte. Comme dans Madama Butterfly la mise en scène est signée Franco Zeffirelli  (également concepteur des décors). Au-dessus de la scène des anges en simili marbre blanc entourent un blason. Quand le spectacle commence, une cloche sonne et pendant le prélude on assiste aux obsèques de Violetta. Elles sont annoncées par les pas d’un cheval qu’on entend d’abord au lointain puis qui surgit à l’avant scène conduisant un corbillard sur lequel est installé le cercueil de l’héroïne. Alors que le cortège s’éloigne, un homme apparaît suivant de loin des yeux le convoi funéraire puis avançant devant le rideau fermé : c’est Alfredo qui va revivre en un « flash-back » sa rencontre et ses amours avec Violetta puis la déchéance de cette dernière emportée par la phtisie. Tout ceci se déroule pendant le prélude musical avant que le rideau ne s’ouvre sur la fête donnée par la courtisane. 

Qui connaît le film que Franco Zeffirelli a tiré de sa production théâtrale, retrouve une scénographie à peu près semblable, avec au premier acte deux niveaux : à l’étage supérieur la chambre à coucher de l’héroïne puis un salon de couleur bleu et côté jardin, un escalier qui permet de descendre à l’étage inférieur où se trouve la grande salle de bal (1).



Après l’entracte au magnifique salon de fête succède à l’acte 2 la maison de campagne où Alfredo et Violetta abritent désormais leur amour. Il s’agit d’une grande verrière donnant sur des jardins extérieurs. Y figure notamment la cage géante d’oiseaux qui était dans la production cinématographique de Zeffirelli. Le second tableau du deuxième acte se déroule dans une somptueuse salle de jeux chez Flora et l’on passe en quelques minutes d’un lieu à l’autre en faisant tourner l’immense décor. C’est sans doute ici la scène qui ressemble le plus au film avec d’énormes miroirs et le grand escalier central d’où émergent les danseurs et les danseuses pour le ballet espagnol des toréros. Pour le cinéma,  le célèbre couple de danseurs Vladimir Vasiliev et Ekaterina Maximova (des stars à leur époque)  l’interprétait et ce divertissement chorégraphique est ici absolument repris à l’identique (2par Nicoletta Manni et  Timofej Andrijashenko . On reconnaît également la robe noire et la voilette que Teresa Stratas portait à l’écran.



Au dernier acte encore changement de décor par le biais d’un précipité. La galerie du haut revient avec la chambre bleue et le lit à baldaquin ainsi que le salon attenant de même couleur orné d’un grand miroir. Violetta d’abord couchée, se lève et traverse les pièces puis descend par l’escalier tournant pour rejoindre le canapé qui se trouve à l’étage inférieur. Un salon relativement dépouillé qui s’accorde avec l’état de pauvreté dans laquelle se trouve désormais la courtisane déchue. Le carnaval qui parcourt les rues adjacentes, et que l’on entend seulement dans la plupart des productions, envahit ici l’appartement de Violetta comme s’il s’agissait d’un rêve (ou d’un cauchemar) dans l’esprit quelque peu troublée de la pauvre malade atteinte désormais d’une affection incurable.



Le triomphe d’Anna Netrebko en Violetta



Comme l’ont souligné quelques critiques en évoquant les représentations d’Aïda, les quelques premières phrases d’Anna Netrebko paraissaient quelque peu problématique et l’intonation parfois incertaine. En faisant un constat identique on pouvait alors s’interroger sur l’adéquation de la chanteuse avec l’héroïne de Verdi en pensant que les autres Violetta de cette saison d’été à savoir Lisette Oropesa et Nadine Sierra semblaient avoir des voix plus adéquates du moins dans leur couleur que la célèbre soprano qui poursuit depuis 30 ans une exceptionnelle carrière internationale (3). Les rôles infiniment plus larges comme Lady Macbeth, La Gioconda, Aïda n’auraient ils pas eu pour effet de faire obstacle à un emploi comme celui de Violetta réputé plus « léger » ? Faire alterner Aïda (en ouverture) et Violetta (en clôture) en quelques semaines et ce dans la vaste enceinte des arènes était-il constitutif d’un impossible défi ? (Pourtant Maria Callas chantait bien elle aussi les deux emplois). Mais au bout de quelques minutes les doutes étaient dissipés car dès le brindisi  il s’avérait comme une évidence qu’Anna Netrebko allait maîtriser de bout en bout son héroïne. Tout d’abord d’une voix suffisamment ample pour parvenir sans la moindre difficulté jusqu’aux derniers des plus hauts gradins des arènes. Par ailleurs il serait inexact de penser que le rôle doit être nécessairement dévolu à un « lyrique léger » car passé le premier acte, les accents deviennent davantage dramatiques et sollicitent largement le médium ainsi que les notes graves. Et sur toute cette partie de la tessiture, Anna Netrebko est purement et simplement royale (4). Mais ce n’est pas tout, car les aspects coloratures et vocalises ne lui échappent nullement et surtout l’art des phrases pianissimi s’avère tout simplement sublime. Les vocalises de « Sempre libera » sont parfaitement négociées et si elle s’abstient du contre-mi bémol final (à l’instar de certaines cantatrices) c’est tout simplement qu’il n’a jamais été écrit par Verdi. On trouve notamment des sons filés de la plus belle eau, notamment dans « Ah, fors’é lui che l’anima » et  les cadences de « Croce e delizia » sont couronnées d’un aigu facultatif mezza voce, jamais encore entendu dans ce passage et qui lui vaut un véritable triomphe à l’issue de son air conclusif du premier acte. La technicienne vient ici rappeler qu’elle demeure une spécialiste éminente du bel canto (témoin sa Lucia di Lammermoor au Metropolitan Opera de New-York).



Dans l’air si émouvant « Addio del passato » où Violetta fait en quelque sorte ses adieux à l’existence – et malgré des moyens vocaux opulents acquis par la fréquentation des rôles caractéristiques de la vocalité de soprano dramatique qu’elle sert aujourd’hui – Anna Netrebko parvient par le miracle de sa technique du contrôle et des ressources du souffle, ainsi que par l’art accompli de la mezza-voce à décrire musicalement et avec sensibilité la fragilité et les souffrances de la mourante . A noter qu’elle chante les deux parties de l’air, notamment le second couplet « La gioia e i dolore » (quelquefois coupé). Elle s’assure, comme on pouvait s’y attendre, un légitime triomphe qui se reproduira lorsqu’elle apparaîtra au salut final.





Luca Salsi et Marco Armiliato de précieux partenaires pour Anna Netrebko 



Freddie De Tommaso (Alfredo Germont) a certes une voix qui passe assez aisément dans l’arène mais qui manque parfois de stabilité avec par moments un vibrato quelque peu accusé et une stabilité parfois relative. Il est vrai que sa partenaire déploie de tels moyens et une telle science du chant, qu’il est difficile de rivaliser avec elle. 



En revanche Luca Salsi en Giorgio Germont fait valoir un beau timbre de baryton avec une couleur claire et un style châtié qui s’accorde parfaitement avec Anna Netrebko dans le long duo du premier acte. A la fin de ce duo, la soprano apporte encore un poids émotionnel dans le « Ah dite a la giovane » chanté à fleur de lèvres avec l’émotion que l’on retrouvera lors de la scène finale. Rajoutons pour le baryton le sens des nuances et l’art de la prosodie musicale propres aux opéras de Verdi, sans compter une diction parfaite.

 

Pendant toute cette scène où le père Germont demande à Violetta de faire le sacrifice de son amour afin de préserver le mariage de sa fille, on admire, même si elle est extrêmement classique, la direction d’acteurs (qui est naturellement la reprise de celle de Zeffirelli) avec toute la palette d’expressions théâtrales qui vont de la compassion à la souffrance, ce qui n’était pas tout à fait le cas pour les interprètes d’Aïda la veille, dans une production où l'emploi d’une technologie certes extrêmement brillante mais parfois envahissante finissait par submerger par moments ce qui aurait pu être l’expression plus adéquate des sentiments des protagonistes. 



Un élément précieux : la direction de Marco Armiliato aujourd’hui et de manière incontestable l’un des meilleurs chefs lyriques de sa génération, qui dirige pour la circonstance sans partition se consacrant à suivre des yeux avec amour (on le sent bien !) les interprètes et à les porter à bout de sa baguette attentive au mieux de leur exaltation vocale. 



Christian Jarniat

9 septembre 2023





(1) Franco Zeffirelli avait tourné La Traviata qui parut sur les écrans en 1982 et qui était interprétée pour les rôles principaux par Teresa Stratas (Violetta) Placido Domingo (Alfredo) et Cornell Mac Neil (Giorgio Germont).

(2) On notera qu’au fil du temps et particulièrement ces dernières années, la place des ballets dans l’opéra s’est réduite comme peau de chagrin, de telle sorte qu’on ne voit plus quasiment désormais de ballets exécutés par des danseurs. Les metteurs en scène ayant décidés de les remplacer par des « mouvements » de figurants ou de choristes.

(3) Anna Netrebko était déjà notoirement connue dès 1995 et célèbre internationalement dès le début des années 2000.

(4) N'oublions pas que Violetta marqua sa notoriété internationale au Festival de Salzbourg en juillet 2005 avec le ténor Rolando Villazon dans la mise en scène de Willy Decker.









Direction musicale : Marco Armiliato

Mise en scène et décors : Franco Zeffirelli

Costumes : Maurizio Millenotti

Lumières : Paolo Mazzon

Chorégraphie : Giuseppe Picone



Violetta Valery : Anna Netrebko

Alfredo Germont : Freddie de Tommaso

Giorgio Germont : Luca Salsi

Flora Bervoux : Sofia Koberidze

Annina : Yao Bohui

Gaston Vicomte de Letorières : Matteo Mezzaro

Baron Douphol : Nicolò Ceriani

Docteur Grenvil : Giorgi Manoshvili

Marquis d'Obigny : Roberto Accurso

Danseurs : Nicoletta Manni et Timofej Andrijashenko









 

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