L’Opéra National du Rhin ouvre sa saison, dans le cadre du Festival Musica qui fête ses 40 ans cette année, avec la création mondiale de Don Giovanni aux Enfers, œuvre commandée il y a trois ans au Danois Simon Steen-Andersen.
L’idée est originale et intéressante : Simon Steen-Andersen met en scène Don Giovanni dans sa descente aux enfers. Il s’est occupé, de tout : de la conception, de la mise en scène, des décors, de la vidéo et des lumières. Cependant, il n’a pas composé une seule note de musique pour cet opéra « patchwork », se servant de presque 400 ans de répertoire lyrique pour convoquer en pagaille des démons ou des personnages démoniaques légendaires allant de Méphisto de Gounod, Berlioz et Boito, Macbeth et Iago de Verdi, Le Hollandais du Vaisseau Fantôme de Wagner et d’autres….
L’opéra s’ouvre par la scène du dîner de Don Giovanni avec le commandeur, dans un décor traditionnel de palais rococo du 18e siècle qui n’est autre qu’une reproduction du Foyer de l’Opéra du Rhin (en l’occurrence la Salle Bastide).
Belle table dressée pour le banquet, musique de Mozart… tout est classique, jusqu’au moment où Don Giovanni tombe dans les profondeurs de l’abîme et est accueilli par une divinité maléfique, Polystophélès (un Méphistophélès multiple), qui l’emmène dans un voyage infernal, dans les entrailles de l’Opéra du Rhin. Les nombreuses projections font découvrir au public des coins, recoins et souterrains du théâtre, façon « night club » où se déroule une orgie de laquelle Don Juan ne sortira pas indemne. Sur scène, au milieu d’une faune de créatures bizarres, deux diablesses en furie se vengent allégrement sur le séducteur, qui finira déculotté et surtout malmené. Ici la performance technique est époustouflante, bluffante et très très… diabolique !!!
Scéniquement et vocalement, les chanteurs sont soumis à rude épreuve, incarnant tous des personnages différents et surtout des univers musicaux disparates, souvent proches de la cacophonie.
Le jeune baryton « mozartien » Christophe Gay campe admirablement à la fois un Don Giovanni avec un accent un peu punk !, un Hollandais volant et un peu plus hasardeux Orphée. Outre ses remarquables qualités d’acteur qui lui permettent facilement d’incarner diablement chaque rôle, il dispose d’un timbre clair, avec de beaux aigus harmoniques et sonores. Son jeu artistique est intense tout au long de l’ouvrage, jusqu’à la scène finale où il est forcé de chanter dos au public, dans son plus simple appareil. Dans les passages où sa voix est la seule à ne pas être amplifiée, il jouit d’une belle projection efficacement adaptée au niveau sonore (parfois très fort) et à l’acoustique de la scène.
Dans les rôles du Commandeur, de Polystophélès et du médecin, le baryton Damien Pass est excellent tant dans le jeu que dans l’expression. Il sait être à la fois, maléfique, luciférien et sarcastique… mais aussi touchant, ce qui le rend fort sympathique. Vocalement aussi, il est excellent par son timbre large et son vibrato très ample.
On peut tirer son chapeau aux six solistes, chacun dans sa tessiture, qui campent une bonne trentaine de rôles et saluer leurs morceaux de bravoure et leurs capacités d’adaptation étonnantes : la soprano Sandrine Buendia, la mezzo Julia Deit-Ferrand, le ténor François Rougier, le baryton Geoffrey Buffière.
Les chœurs (hommes) de l’Opéra National du Rhin, sont eux aussi, comme d’habitude, excellents.
Quel énorme défi que le jeune chef d’orchestre libano-polonais Bassem Akiki relève dans cette production, sans aucune hésitation, à la tête d’un Orchestre Philharmonique de Strasbourg bien présent (dans la fosse) et aux cinq musiciens de l’Ensemble bruxellois Ictus (sur scène).
Des applaudissements très nourris ont salué l’engagement et la formidable coordination de l’ensemble de la distribution : musiciens, solistes, figurants, l’équipe technique mise à forte contribution, pour la réussite de ce spectacle « d’enfer » réglé au millimètre près.
Marie-Thérèse Werling