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Entretien avec Jérémie Rhorer, chef et fondateur du Cercle de l’Harmonie

Entretien avec Jérémie Rhorer, chef et fondateur du Cercle de l’Harmonie

mercredi 23 août 2023
Jeremie Rhorer © Caroline Doutre 
Planning très chargé pour Jérémie Rhorer, fondateur en 2005 de l’orchestre sur instruments d'époque Le Cercle de l’Harmonie. Le chef français dirige sa formation dans Il Trovatore le 26 août en concert à Brême, avant Les Martyrs de Donizetti au Theater an der Wien à partir du 18 septembre, placé à la tête de l’ORF Radio-Symphonieorchester Wien.

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Nous vous avions entendu la première fois dans L’infedeltà delusa de Haydn en 2008 au Festival d’Aix-en-Provence, ville où Le Cercle de l’Harmonie est en résidence… 

Oui, notre résidence se poursuit au Grand Théâtre de Provence, avec plusieurs concerts à nouveau cette saison. Dont un concert qui nous tient beaucoup à cœur, celui de la Missa solemnis qui avait été annulé en raison de la crise Covid. C’était un projet de l’année 2020 et nous avons d’ailleurs eu peur qu’il ne soit jamais repris, mais il est programmé au prochain Festival de Pâques à Aix. 

Puis nous vous avons retrouvé plusieurs fois à Aix, dans Mozart principalement… 

L’infedeltà delusa était la première proposition du directeur du Festival Bernard Foccroule, qui préludait aux engagements futurs à l’Archevêché, avec Le nozze di Figaro, Cosi fan tutte, Don Giovanni et L’enlèvement au sérail. Mozart est en fait le répertoire classique conçu dans notre projet du Cercle comme la matrice de tout ce que nous avons développé ensuite. A l’inverse de nombreux musicologues, nous pensions qu’il n’y a pas de rupture réelle entre classicisme et romantisme, d’abord dans le domaine symphonique où on voit se dérouler une ligne naturelle entre Mozart et Haydn jusqu’à Brahms, même Bruckner qu’on aborde à présent. Et dans le domaine lyrique surtout avec les réflexions initiées par Gluck, une ligne qui passe par Berlioz jusqu’à Wagner et Verdi, avec des compositeurs moins connus mais tout à fait estimables et cités par Berlioz, comme Spontini, Cherubini, mais aussi d’une certaine manière Donizetti. On voit très bien comment les compositeurs italiens se nourrissent de cette musique française à travers Berlioz et le grand opéra. Voilà comme tout cela a été pensé, comme une grande ligne cohérente qui prenait sa source dans le répertoire classique et Mozart en particulier.

De Spontini, vous avez fait La Vestale au Théâtre des Champs-Elysées en 2013, mais enregistré plus tard un autre titre Olimpie, pour le label du Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française…

C’est vrai, mais cela me fait penser que les choses ont beaucoup évolué en 10 ans. Parce qu’au moment où nous avions proposé La Vestale, c’était vraiment un risque que presque personne ne voulait prendre, personne n’était vraiment intéressé par ce titre. Ce n’était d’ailleurs pas le Palazzetto qui avait lancé le projet (ndlr : le label a enregistré le disque bien plus tard, pour une parution en mai 2023). Les discussions à propos de ce qui avait constitué la culture de Berlioz et, du coup, sur ce qui s’était projeté dans la culture proprement germanique, moi j’en étais très conscient parce que j’avais lu son Traité d'instrumentation et d'orchestration. Et je me demandais justement pourquoi il citait Spontini et Cherubini, mais visiblement ces interrogations intéressaient beaucoup moins il y a 10 ans. 

Concernant le répertoire italien, vous avez fait un peu de Rossini et beaucoup plus de Verdi…

De Rossini, nous avons joué Il Barbiere di Siviglia et Tancredi, mais nous travaillons énormément Verdi car il est au cœur de nos préoccupations, comme lien entre musiques italienne et française, justement au travers de Berlioz. On a vraiment essayé d’initier cela l’année dernière à La Côte-Saint-André avec Rigoletto, la filiation est pour moi une évidence, qui va jusqu’à Puccini que nous n’avons pas encore abordé. De la même manière que Verdi revendique sa culture française littéraire, mais aussi musicale, on voit que concernant Puccini, malgré l’admiration pour Wagner, son objet idéal est Bizet. C’est Carmen qui nourrit sa matrice et c’est ce que j’essaie de développer dans les programmes. 

Et à propos des Martyrs prochainement, avez-vous fait d’autres Donizetti ?

Non, c’est notre premier Donizetti, donc Les Martyrs qui sont une initiative du Theater an der Wien dans le cadre d’un grand cycle sur les martyrs chrétiens. L’idée était de coupler avec Theodora de Händel que le théâtre monte en octobre, mais aussi avec Dialogues des Carmélites que le Staatsoper a proposés juste avant. Cela m’a intéressé, même si j’avoue que le bel canto ne me passionne pas, je l’apprécie mais j’ai vraiment et avant tout besoin du drame, du moteur théâtral. Et c’est le cas dans Les Martyrs, il y a quelque chose de pré-verdien qui fonctionne magnifiquement. D’autre part, le livret est inspiré du Polyeucte de Corneille qui est un texte fantastique, peu connu aujourd’hui mais qui relève d’une grande force. Il fait référence à ce qu’est la croyance, ce que c’est que de croire en quelque chose, avec de grands défis théâtraux à relever. 

A propos du répertoire français, vous avez dirigé plusieurs opéras rares, comme Fra Diavolo d’Auber ou L’amant jaloux de Grétry… c’est un répertoire que vous défendez ?

Oui, je le défends mais paradoxalement pas vraiment à cette époque-là. En fait, ces œuvres-là m’intéressaient parce que je les considérais comme œuvres de petits maîtres extrêmement talentueux, qui expliquaient certains rouages dans la démonstration que je viens d’évoquer, concernant la construction du répertoire. Par exemple, Grétry m’intéressait surtout pour l’inspiration pour Mozart, et ses Nozze di Figaro en particulier. Par ailleurs, l’âge d’or de la musique française se situe plus tard d’après moi, avec Debussy, Ravel, Massenet, Saint-Saëns, Bizet, Gounod, des compositeurs intrinsèquement très importants en tant que tels. 

… Berlioz aussi ?

Oui, je n’ai pas dirigé de nombreux Berlioz jusqu’ici, Béatrice et Bénédict à La Monnaie, la Symphonie fantastique, et je vais conduire prochainement La damnation de Faust, mais pas avec le Cercle de l’Harmonie. On dépend beaucoup des chanteurs pour La Damnation, car dans l’économie actuelle du spectacle lyrique il est important d’avoir des distributions qui attirent. 

… et Poulenc également ?

Ah oui, Poulenc est déterminant ! Et là, je revendique la spécificité française, en sachant que les orchestres germaniques ont beaucoup de mal aujourd’hui à aborder la musique française, que ce soit Debussy, Ravel… et il y a pour le coup quelque chose à défendre. 

A propos de la musique contemporaine, on vous a vu diriger les créations Claude et Point d’orgue de Thierry Escaich, y a-t-il d’autres compositeurs ?

Alors il pourrait y en avoir d’autres, mais il se trouve que Thierry Escaich est mon maître, c’est avec lui que j’ai appris la musique, que ce soit au conservatoire ou par ailleurs. Je suis claveciniste et aussi flûtiste, mais j’ai fait toutes les classes d’écriture, je suis compositeur aussi.

Et vos projets ou préférences aujourd’hui ?

En fait, nous nous dirigeons vers davantage de Wagner et Verdi, nous n’avons jamais fait de Wagner et pourrions commencer avec Tannhäuser.
Mais moi mon dieu, c’est Puccini… que je n’ai pourtant jamais fait jusqu’à présent ! On propose des projets à de nombreux chefs italiens, mais malheureusement pas à nous ! J’ai un projet pour démarrer, c’est la version française de Madama Butterfly que j’ai essayé de vendre plusieurs fois, mais pour l’instant ça ne fonctionne pas. Alors il faut accepter qu’on ne puisse pas tout choisir dans une carrière. Mais j’adorerais, à un point que vous ne pouvez pas imaginer, c’est vraiment ma musique ! Et même si elle est très peu connue, c’est la version française de Butterfly qui a assuré le succès de Puccini ! 

Propos recueillis par Irma Foletti et François Jestin

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