– Comment se fait-il que vous parliez si parfaitement le français ? Quel est votre parcours ?
En fait assez tôt j’ai choisi de faire des études en France, dès le lycée, puis à l’université et au conservatoire de Paris. D’habitude les Scandinaves optent plutôt, pour des raisons de proximité, pour les pays germaniques, j’en ai décidé autrement. Il y a là aussi une part de hasard. En fait, tout en ayant regagné ma base à Trondheim, je garde toujours un contact étroit avec la France. Actuellement je travaille à l’université de Trondheim où j’enseigne la littérature comparée. J’avais postulé pour un poste de musicologie et un poste de littérature comparée, ayant cette double compétence. J’ai obtenu celui de littérature comparée. J’ai mené de front études littéraires et musicales. À la base je suis violoncelliste. J’ai été formé par des enseignants venus d’un peu partout en Europe. Je me suis assez vite orienté vers une formation de jeu sur instruments anciens. Je pratique le violoncelle baroque. C’est aussi une question familiale, mon père, mon grand-père, ma tante étaient baroqueux. De retour en Norvège, j’ai fondé l’Orkester Nord avec des musiciens professionnels passionnés de jeu sur instruments anciens. Nous menons ensemble toute une série de projets. Je mène de front recherches musicologiques et activités artistiques. Les unes nourrissent les autres autres.
– Comment travaillez-vous ?
Je m’intéresse plus particulièrement au répertoire français d’opéra-comique du dix-huitième siècle, des compositeurs comme Grétry ou Duni. Tous les projets artistiques de mon équipe partent d’une œuvre autour de laquelle je mène des investigations approfondies. Le choix se porte en priorité sur des œuvres jamais enregistrées. Je m’intéresse particulièrement dans mes recherches aux parties séparées des instruments quand on les a conservées. Cela permet de porter un regard nouveau car il y a parfois des différences significatives entre les partitions d’orchestre qu’on a et ces parties séparées. Elles témoignent de ce qui se faisait réellement. Je suis tout de même circonspect quant aux prétendus urtext1. Ce qui m’intéresse c’est le passage de la recherche musicologique à la mise en œuvre d’un projet précis. Tant qu’on est dans le domaine de la recherche il est possible de ne pas prendre position, d’émettre des réserves ou de laisser une question en suspens. Par contre passer à la réalisation, c’est faire des choix et les défendre. C’est cela qui m’intéresse en premier lieu.
-Sur quoi les fondez-vous ces choix ?
L’art est une question de sensibilité, d’émotion. C’est finalement ce qui détermine les choix. Il s’agit alors de les défendre. D’ailleurs l’expérience montre que quand l’intuition est juste elle est souvent confirmée, parfois a posteriori d’ailleurs, par la recherche. Le problème avec le classique c’est que les traditions d’interprétation sont tenaces et qu’il est difficile de s’en affranchir. Avec la musique ancienne ce qui est surprenant c’est que le public à force d’être confronté à des interprétations classiques toujours marquées par ces traditions a trouvé dans la musique ancienne quelque chose de nouveau. Je dis souvent que si la musique ancienne, le baroque, a réussi c’est précisément grâce à l’adhésion du public.
– Qu’en est-il pour cette Flûte enchantée ?
J’ai tenu d’abord à mettre en avant ce qui me semble son caractère premier : il s’agit d’un Singspiel. On finit souvent par l’oublier. Elle appartient à une tradition de même nature, à peu de choses près, que l’opéra-comique français de la même époque. Il y a d’ailleurs des passerelles entre ces genres. Le sujet de la Flûte enchantée, a été inspiré au librettiste Schikaneder par Wieland mais Wieland lui-même était inspiré par la tradition de contes français. Il y a perméabilité en ce domaine. La première chose pour respecter le caractère Singspiel est de conserver l’intégrité des dialogues. C’est ce que nous faisons. Cela a demandé pas mal de travail à certains interprètes qui ne sont pas germanistes. Il s’agit de les jouer au même titre que les parties chantées. Le surtitrage permet au public de pouvoir suivre. Les interprètes ont été choisis sur concours. L’élément de plus audacieux de la distribution c’est d’avoir porté le choix sur une chanteuse de seize ans pour le rôle de Pamina. Son audition m’a profondément touché. Il n’était d’ailleurs pas rare à l’époque que des carrières de chanteuses débutent très tôt. Là aussi cela a conduit à des choix. Par exemple il est apparu que certains tempi traditionnels qui conviennent à des voix plus mûres et plus puissantes n’étaient pas forcément fidèles à l’esprit Singspiel et à ce qui se faisait alors. L’intuition du tempo juste passe aussi par ce type d’expérience. Reste maintenant pour parfaire le projet à passer à une réalisation scénique, ce à quoi nous espérons pouvoir parvenir.
Gérard Loubinoux
17 octobre 2023
1 Texte original