On avait évoqué dans l’un de nos précédents articles, le « voyage » du Théâtre National de Nice à destination d’autres lieux de la ville (Opéra, Forum Nice Nord, Théâtre Lino Ventura, Théâtre Francis Gag etc.) avant l’ouverture, fin avril, de la salle des Franciscains et fin mai de celle de La Cuisine située dans les alentours du Palais Nikaïa.
Portée par son amour de la musique et du chant, Muriel Mayette-Holtz a souhaité naturellement maintenir le rendez vous de « Ça chante au balcon » qui se déroulait précédemment au premier étage du théâtre où était aménagé un bar avec salle de restaurant. Ceci permettait au public de pouvoir apprécier un répertoire consacré à la chanson française tout en consommant boissons ou repas. Pour pallier l’absence d’un espace parfaitement adapté à ce genre de spectacle, le TNN a pu trouver une solution de repli grâce à l’appui chaleureux de Jean-Pierre Barbero, Directeur de la Villa Masséna à Nice, où se déroulent fréquemment les cérémonies officielles. L’un des somptueux salons de ce musée d’art et d’histoire avait donc été aménagé pour la circonstance en salle de concert, mais il était évidemment impossible de la transformer en un cabaret avec service de repas et boissons. L’espace scénique est de plain pied avec micros au centre et avec côté cour un piano qui, comme le fait remarquer en préambule et non sans malice, Jonathan Gensburger n’est nullement un Steinway mais un simple clavier portable (nécessité fait loi !).
Le ton est donné : la soirée sera placée sous le signe d’un humour décapant et néanmoins bon enfant auxquels s’ajoutent la complicité et l’interactivité avec un public ravi de jouer le jeu dans une ambiance particulièrement réjouissante et détendue. Les rires fusent de toutes parts et les interprètes s’en donnent à cœur joie entre plaisanteries et blagues. Jonathan Gensburger a repris son rôle d’animateur qu’il remplit à merveille, présentant ses collègues avec esprit et trouvant à chaque occasion le mot juste pour amuser l’auditoire. Il précise, entre autres, que dans son errance, le Théâtre National de Nice explore depuis sa fermeture tous les lieux « populaires » de la cité et que la Villa Masséna est en quelque sorte « Le temple des Junkies (!!!) ». Ce concert en chansons est accompagné par l’excellent pianiste François Barucco qui suit la troupe depuis la première heure et qui, en musicien hors pair, accompagne les comédiens avec autant de précision que de talent.
Tout commence avec un inénarrable numéro de théâtre chanté : « Tout va très bien Madame la Marquise ». Jonathan Gensburger et Augustin Bouchacourt font assaut dans le comique : une véritable « mini comédie » à deux et en musique. Suivent « Les Don Juan » de Claude Nougaro, bien fait pour mettre en valeur la voix chaude d’Augustin Bouchacourt. Entre en lice Sophie de Montgolfier (ravissante avec des mines qui font par moments penser à Isabelle Huppert) pour un délicieux moment de nostalgie : « Mistral Gagnant » de Renaud en duo avec Jonathan Gensburger. Petite plaisanterie sur les chanteurs disparus à propos notamment de Renaud, dont on annonce périodiquement la mort…et qui est toujours bien vivant, manière d’évoquer au passage Christophe et quelques bribes du célèbre refrain « Aline ».
Le TNN accueille depuis quelques mois dans sa troupe un nouveau venu Ahmed Fattat qui sait, lui aussi, finement trousser le couplet avec « Comme ils disent » de Charles Aznavour avec en miroir « Madame » de Serge Reggiani phrasée avec sensibilité par Sophie de Montgolfier. Manière de redire, toujours avec humour (noir), en évoquant le thème de la soirée, qu’au-delà de « l’amour » le sous-titre pourrait en être : « Le Cabaret des chanteurs morts » (!), surtout que la chanson suivante « Résiste » évoque France Gall disparue voici trois ans. Une manière pour l’animateur de la soirée de montrer ici son sens du rythme en duo complice et syncopé avec François Barucco. Nougaro à nouveau avec « Une petite fille » par la voix (et l’aisance interprétative) d’Augustin Bouchacourt suivi d’un duo où Jonathan Gensburger fait étalage de ses dons d’imitateur dans « Je te promets » de Johnny Hallyday et dans lequel Sophie de Montgolfier lui donne une réplique pleine de charme.
Dans ce panorama Michel Legrand ne pouvait être absent : « Les Moulins de mon cœur » conviennent parfaitement à l’élégance d’ Augustin Bouchacourt et les paroles sont ensuite reprises en langue arabe par Ahmed Fattat. Le concert ne peut mieux se terminer qu’en compagnie de Jacques Brel et de sa fabuleuse chanson des « Vieux amants » interprétée avec émotion par notre quatuor qui recueille de longs applaudissements du public dans lesquels sont contenus la gratitude qu’il éprouve à l’égard de Muriel Mayette-Holtz, non seulement pour avoir donné au TNN une troupe qu’il affectionne particulièrement, et dont chacun des membres est devenu désormais un visage familier, mais également pour avoir démontré qu’il n’y a pas de frontière entre théâtre et chanson…
Christian Jarniat
8 février 2022