Après la création de La Belle de Cadix en décembre 1945 (reprise au Théâtre de L’Empire en 1950) et celle d’Andalousie en octobre 1947, le binôme Francis Lopez et Luis Mariano se retrouvèrent pour la première fois réunis au Théâtre du Châtelet en décembre 1951 à l’occasion de ce Chanteur de Mexico qui constitua sans doute, avec quelques 900 représentations, le plus grand succès de ce célèbre théâtre. L’opérette fut transposée en 1956 à l’écran par Richard Pottier. Outre Luis Mariano figurait au générique Bourvil et Annie Cordy. Ce film resta numéro un au box-office pendant plus d’un an après six mois consécutifs d’exclusivité au Gaumont Palace le cinéma géant de la Place Clichy qui comprenait à l’époque 5000 places !
Par la suite, il n’y eut sans doute plus autant de faste et de splendeurs sur cette scène emblématique du Châtelet tant au point de vue des costumes, que des décors. Parmi les clous du spectacle on se souvient, entre autres, de la fête indienne et du ballet aztèque au deuxième acte, sans compter bien entendu, le brillant final qui se déroule sur le marché de Mexico.
Aujourd’hui sauf à disposer d’un budget colossal, il ne parait plus possible de réaliser un pareil spectacle avec de tels moyens et les théâtres doivent évidemment revoir leur voilure pour pareille production. La scène de l’Odéon faute d’un espace suffisant, ne saurait contenir l’ensemble de ces impressionnants décors avec leurs lourds châssis et leurs immenses toiles qui impliqueraient en outre, de disposer d’une machinerie comparable à celle du Châtelet laquelle était hors du commun.
Carole Clin qui assume la mise en scène a su adroitement opter pour un processus beaucoup plus simple : celui de la projection. C’est ainsi que pour illustrer le premier tableau, on voit une carte postale de Saint Jean de Luz et postérieurement pour Paris une autre carte multi-vues. Le procédé fonctionne assez bien et tient compte de l’exiguïté du plateau. Pour les costumes il a été fait des emprunts au stock de l’Opéra de Marseille et le choix est pertinent dans la mesure où un certain nombre d’entre eux sont particulièrement seyants.
Les temps ont changé car ces opérettes à grand spectacle créées après la seconde guerre mondiale, permettaient alors aux spectateurs de s’évader au travers de contrées exotiques (les voyages n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui, quasiment à la portée de tous). Et c’est ainsi que le Chanteur de Mexico débute à Saint Jean de Luz, nous transporte ensuite à Paris dans les quartiers du Faubourg Montmartre et au Moulin de la Galette et nous propose enfin un périple au travers de tout le Mexique (Acapulco et Mexico compris). Autre critère, celui de la durée, ce type d’opérette était habituellement d’un timing qui tournait autour de trois heures (voire plus) alors que le théâtre moderne est attaché à des pièces courtes. Il faut donc revenir à un schéma beaucoup plus bref et de ce fait, pratiquer des coupures. C’est bien le cas ici, avec notamment un premier tableau significativement écourté et la suppression pure et simple de la scène dans la tente de Tornada avec Bilou et le grand sorcier. Ceci permet aussi de conférer au spectacle un rythme plus rapide en évitant notamment les taps intermédiaires que nécessiteraient les multiples changements de décors très « construits ».
L’Orchestre de l’Odéon toujours de grande qualité est ici placé sous la baguette dynamique autant que précise de Bruno Membrey qui connait et maîtrise ce genre d’œuvre comme personne. Lors de la représentation du dimanche, Juan Carlos Echeverry, qui possède à son répertoire nombre de rôles « lopéziens », était malheureusement souffrant mais il a néanmoins tenu à assumer le rôle de Vincent. On apprécie chez cet interprète au physique adéquat, son engagement, son style inhérent à ce type d’opérette et ses qualités de danseur. Comme de coutume, Julie Morgane est une Cri-Cri qui brûle les planches, dans un emploi qu’elle a joué maintes et maintes fois. Fabrice Todaro (en Bilou) manie avec dextérité un humour qui porte à tous les coups. La metteuse en scène a transformé Laurence Janot en une sorte de star capricieuse d’Hollywood à l’image d’une Rita Hayworth dans Gilda. Celle-ci prête à Eva son abattage et une voix forgée dans le répertoire d’opéra tout comme Gilen Goicoechea qui délivre un Zapata au timbre de bronze lequel sera mis à profit dans la prochaine production des Huguenots à l’Opéra de Marseille. Claude Deschamps incarne avec la faconde qu’on lui connait un trépidant et amusant Cartoni. Dans la distribution on retrouve également les habitués de cette scène, Simone Burles (Tornada/Madame Bornin), Jean-Luc Epitalon (Miguelito), Antoine Bonelli (Bidache), Michel Delfaud (Le marchand de journaux/Atchi), Jean Goltier (Pablo/Aguiro).
A constater que ce Chanteur de Mexico attire toujours un large auditoire parce qu’il fait intimement partie de ces opérettes ancrées dans la mémoire collective du public. Le Théâtre de l’Odéon était plein pour les deux représentations et les spectateurs ont marqué leur enthousiasme aux saluts. Lors de la générale du vendredi soir – et sur le fondement d’une idée excellente qu’il faudrait appliquer dans tous les théâtres -, les jeunes élèves des écoles étaient invités et ont réservé un véritable triomphe aux artistes en se déchainant à la fin, applaudissant frénétiquement, trépignant des pieds et esquissant de la main des gestes de cœur à destination des interprètes, preuve en est, que les spectacles lyriques peuvent intéresser tous les âges à condition, bien entendu, de le vouloir. Saluons comme il convient cette initiative et félicitons de celle-ci le directeur de l’Opéra de Marseille et de l’Odéon, Maurice Xiberras.
Gérard Thouvenet
14 mai 2023