Trente-sept ans avant Gounod, dont le « Roméo et Juliette » date de 1867, Vincenzo Bellini livre à la scène lyrique sa propre version de la tragédie des amants de Vérone. Si Jules Barbier et Michel Carré, librettistes du musicien français, suivent assez fidèlement la pièce de Shakespeare, tant dans le découpage que dans les rapports entre les personnages, en revanche Felice Romani, auquel Vincenzo Bellini a confié le texte, s’inspire des sources italiennes du dramaturge anglais et en particulier de la nouvelle de Matteo Bandello. Le titre en dit long : « Les Capulets et les Montaigus » placent en exergue la rivalité politique opposant les Guelfes et les Gibelins. De ce fait plus de coup de foudre au cours du bal des Capulets, plus de scène du balcon, et plus de Comte Paris en rival de Roméo etc.
Présenté le 11 mars 1830 au Théâtre de la Fenice de Venise et composé en seulement sept semaines l’opéra, qui précède d’un an « La Sonnambula » et de 19 mois « Norma », reprend un certain nombre de numéros musicaux composés pour « Zaira » créée l’année précédente au théâtre de Parme.
L’Opéra de Paris avait proposé en 1996 l’œuvre de Bellini confiée à Robert Carsen pour la mise en scène. La reprise de 2008 réunissait deux des plus prestigieuses stars du chant : Anna Netrebko en Juliette et Joyce DiDonato en Roméo (dans cette partition le rôle est en effet dévolu à une mezzo-soprano).
Un an plus tard l’opéra d’Avignon relevait à son tour le défi en engageant deux cantatrices que leur carrière a propulsé, depuis lors, dans le gotha de l’art lyrique : Ermonela Jaho et Karine Deshayes. L’Opéra de Marseille a donc repris cette production dans la mise en scène de Nadine Duffaut, une scénographie d’Emmanuelle Favre et des costumes de Katia Duflot.
C’est à nouveau Karine Deshayes qui endosse le costume de Roméo dont elle fait un héros déterminé au panache vocal époustouflant. L’ampleur du volume impressionne comme les grands soirs. En quasiment vingt années d’un éblouissant parcours la soprano italienne ne peut que susciter l’admiration pour avoir porté haut le flambeau de la grande tradition des célèbres divas du bel canto romantique. La remarquable technicienne n’a d’égale que la sensibilité de l’artiste qui, dans son apparente fragilité, semble se consumer pour le bonheur du spectateur-auditeur dans chacun de ses rôles auxquels elle apporte autant de véracité que d’émotion. Les duos des deux héroïnes furent ce soir-là des moments de grâce à l’état pur.
Autre sujet de satisfaction le Tebaldo de Julien Dran qui, au fil des emplois qui lui sont confiés en France comme à l’étranger, s’affirme comme un ténor sur lequel il faut compter : le timbre a la fraicheur requise, l’émission et l’articulation sont remarquables tout comme son implication scénique et l’on se réjouit de le retrouver sous peu, sur cette même scène, dans Gérald de « Lakmé » dont il partagera l’affiche avec la merveilleuse spécialiste actuelle du rôle : Sabine Devielhe.
Nicolas Courjal est une de nos meilleures basses ce qu’il confirme à nouveau en Capellio tandis que Lorenzo est incarné avec sobriété par Antoine Garcin.
La mise en scène De Nadine Duffaut sert avec efficacité et clarté les interprètes dans la suggestive scénographie d’Emmanuelle Favre et les forts beaux costumes de Katia Duflot.
Excellente prestation du chœur. L’orchestre s’est montré à la hauteur de ce riche plateau qu’il a accompagné avec ferveur sous la direction inspirée et attentive De Fabrizio Maria Carminati. Une grande soirée ovationnée par le public marseillais qui se passionne à juste titre pour ce répertoire.
Christian Jarniat
1er avril 2017