Logo-Resonances-Lyriques
Menu
MADAME BUTTERFLY chorégies d’ORANGE

MADAME BUTTERFLY chorégies d’ORANGE

samedi 9 juillet 2016
Ermonela Jaho, Marc Barrard et Bryan Hymel – Photo Philippe Gromelle
Fichier PDF

Faut-il donc considérer que les lieux de plein air ou les arènes sont désormais voués à ne présenter qu’une dizaine d’ouvrages – sempiternellement les mêmes – pour afficher complet ? Depuis un certain nombre d’années les arènes de Vérone s’en tiennent pour l’essentiel à ce qu’il est convenu d’appeler « les opéras à grand spectacle » comme « Aïda », « Carmen », « Nabucco » ou « Turandot ». On a vu également que les Chorégies d’Orange avaient dû renoncer à l’une des deux représentations du « Vaisseau Fantôme » en 2013 faute de réservations suffisantes. Force est de constater que, malgré sa popularité, « Madama Butterfly » est très loin de remplir tous les gradins du Théâtre Antique. Peut-être le caractère intimiste de l’œuvre explique cette défection d’une partie du public.
Et c’est bien dommage car la production est tout à fait remarquable et c’est sans doute l’un des plus intéressants spectacles qu’il nous ait été donné de voir ces dernières années. Ceci est dû tout d’abord à la sobre scénographie d’Emmanuelle Favre qui insère dans le mur majestueux un magnifique jardin japonais construit de divers plateaux carrés entourés d’eau, un peu à la manière du théâtre Nô. L’effet est à la fois saisissant et dégage une indubitable magie à laquelle contribuent les belles lumières de Philippe Grosperrin. Il convient d’y rajouter les somptueux costumes de Rosalie Varda. On a rarement vu, pour les personnages féminins, une telle magnificence dans l’œuvre de Puccini. Mais, dans ce travail d’équipe parfait, il faut surtout louer la mise en scène de Nadine Duffaut pour son extrême précision, en parfaite symbiose avec la musique du grand maître italien. Tout est réglé comme une sorte de chorégraphie, à l’instar de l’entrée, au début du premier acte, des invités au mariage et le travail d’acteur n’est jamais pris en défaut, chaque moment pouvant être considéré comme une scène de théâtre où chacun des personnages, du premier rôle au moindre choriste, est parfaitement impliqué. Prenons par exemple Goro, habituellement caricatural, voire bouffon. Nadine Duffaut en fait ici un personnage tout à la fois en retenue mais aussi inquiétant dont on sent bien qu’il est en proie à toutes les turpitudes jusqu’à la scène du « viol » pendant l’interlude qui sépare le deuxième et le troisième acte.
La distribution est sans reproche, à l’exception toutefois du ténor Bryan Hymel. Le ténor américain était précédé d’une très flatteuse réputation et présenté comme l’une des « coqueluches » de l’art lyrique actuel. On sait qu’il a abordé, dans d’importants théâtres, des rôles comme Arnold de « Guillaume Tell », Don José de « Carmen » et Enée des « Troyens ». Cet artiste est-il dans une passe de difficultés vocales ? Cela semble être le cas car la critique n’a pas été tendre à l’égard de son récent Alfredo de La Traviata » à l’Opéra de Paris où il partageait l’affiche avec Placido Domingo. Si le phrasé est correct, la voix n’est projetée dans aucun registre, ni dans le médium, ni dans les aigus et ce défaut d’émission semble rédhibitoire avec des circonstances aggravantes dans un si grand vaisseau. En outre, de manière globale, l’interprétation vocale manque de charme et rend, pour le spectateur, le rôle ennuyeux.

Heureusement, l’œuvre de Puccini est, plus que toute autre, centrée sur l’héroïne qui entre sur scène au bout d’un quart d’heure environ pour quasiment n’en plus sortir jusqu’à la dernière note de l’opéra. Depuis que nous l’avions entendue voici déjà un certain nombre d’années à l’Opéra de Marseille dans « Traviata », Ermonela Jaho n’a cessé de progresser, ce que nous avaient confirmé aussi bien sa Thaïs que sa Blanche de la Force dans « Dialogues des Carmélites » à l’Opéra de Toulon. Aujourd’hui fêtée dans les plus grandes capitales lyriques, la cantatrice albanaise est devenue incontournable dans nombre d’héroïnes comme celles de « Traviata » et précisément de « Madama Butterfly ». Dans ce dernier cas, elle en possède exactement le physique fragile et le constant engagement qui transforment la geisha adolescente en mère passionnée puis douloureuse. La tessiture est exactement celle qui convient au rôle avec des aigus faciles, des piani aériens et des médiums et des graves parfaitement consistants. Rien d’étonnant à ce qu’elle ait été la grande triomphatrice de la soirée.

Le reste de la distribution est à la hauteur de ce que l’on voit et entend en ce lieu avec la Suzuki de luxe de Marie-Nicole Lemieux, l’efficace Sharpless de Marc Barrard, le remarquable Goro de Carlo Bosi et l’émouvante Kate Pinkerton de Valentine Lemercier qui, à 25 ans, a déjà construit une carrière fort intéressante. Même si le rôle ne comporte que quelques phrases, celles-ci sont suffisamment éloquentes pour nous convaincre d’un bel avenir de cette jeune mezzo-soprano. Il faut évidemment citer le bonze toujours impeccable de Wojtek Smilek ainsi que Christophe Gay (le prince Yamadori) et Pierre Doyen (le commissaire impérial).

Mille splendeurs et merveilles et une infinie palette de couleurs sont venues de l’Orchestre Philharmonique de Radio France, sous la baguette subtile de Mikko Franck. Par ailleurs les chœurs des Opéras d’Avignon, Nice et Toulon méritent également une palme. Le passage « à bouche fermée » qui conclut le deuxième acte a été exécuté de manière superbe.

Christian Jarniat
9 juillet 2016

Imprimer
Cookies
Nous utilisons des cookies. Vous pouvez configurer ou refuser les cookies dans votre navigateur. Vous pouvez aussi accepter tous les cookies en cliquant sur le bouton « Accepter tous les cookies ». Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre Politique de confidentialité et des cookies.