Voici l’une des œuvres les plus prisées des amateurs de théâtre lyrique et dont on est certain qu’elle remplira, à coup sûr, les salles. C’était naturellement le cas pour ces quatre représentations à l’Opéra de Monte-Carlo de La Bohème, sans doute la plus populaire des compositions de Giacomo Puccini. Pour cette nouvelle production, (en coproduction avec l’Opéra Royal de Mascate-Oman), Jean-Louis Grinda était entouré de l’équipe avec laquelle il a collaboré à plusieurs reprises, à savoir : Rudy Sabounghi pour les décors, Diane Belugou pour les costumes et Laurent Castaingt pour les lumières.
L’action est transposée entre les années 1940 et 1950 et l’esprit du roman d’Henry Murger ainsi que du livret de Luigi Illica et Giuseppe Giacosa est parfaitement respecté dans une scénographie classique bien qu’originale. On est en effet loin des divagations que Claus Guth a imaginé pour l’Opéra de Paris enfermant les protagonistes dans un vaisseau spatial pour les faire ensuite débarquer sur la lune flanqués de cosmonautes !… D’aucuns ont -malicieusement- noté que la mansarde du premier acte était moins inconfortable et quelque peu soustraite aux affres de l’hiver que celle que la tradition a consacré et considéré qu’elle ressemblait davantage à un loft relativement cossu qu’à un galetas délabré et misérable. Elle a visuellement, en tout cas, le mérite de nous offrir une belle perspective, au travers d’une immense baie vitrée, sur les toits des immeubles haussmanniens de Paris et, d’autre part, sa structure métallique, qui se transforme astucieusement en support de toile de tente du Café Momus, permet ,en un rien de temps, de nous transporter sur la place du Quartier Latin où se situait cet établissement. Un tableau qui, ici, mêle le réalisme et l’onirisme, brillant hommage au Paris festif du milieu du XXème siècle avec les enseignes lumineuses des music-halls, théâtres et cabarets (on y trouve notamment le nom de la chanteuse Lys Gauty qui fit une carrière significative dans la chanson et le cinéma et mourut à Monte-Carlo en janvier 1994). On y voit aussi des ballons multicolores, une danseuse classique exécutant des pas de danse juchée sur une boite vitrée contenant des gâteaux ainsi qu’un superbe défilé de mode dont les costumes rappellent ceux que Christian Dior avait dessiné pour certaines revues de Joséphine Baker en hommage à l’électrisante époque des Années Folles. A l’acte 3 la Barrière d’Enfer reprend la thématique classique d’une journée d’hiver avec chute de neige obligée et on revient enfin, à l’acte 4, à la mansarde dans laquelle Mimi viendra rendre son dernier soupir.
C’est dans ce contexte que Jean-Louis Grinda inscrit une mise en scène vivante avec maintes touches originales tout en préservant l’ambiance exubérante de ces jeunes gens de la bohème qui s’aiment l’espace d’une saison avant que la cruauté du sort n’en décide autrement. D’ailleurs, les mois qui s’écoulent entre le coup de foudre à Noël et l’agonie de l’héroïne en juin, au retour de la « saison des fleurs », sont illustrés par une séquence vidéo où l’on voit une allée bordée d’arbres lesquels passent du dénuement de l’hiver à la floraison du printemps. Jean-Louis Grinda a voulu une Bohème où le roman de Murger soit traité de manière cinématographique ce qui nous vaut, à la fin du premier acte, une fort émouvante rencontre au cours de laquelle l’attirance réciproque privilégie la confidence plutôt que l’exaltation comme si la focale d’une caméra avait respecté la pudeur des émois amoureux. On peut prendre ce parti – convaincant – les deux protagonistes ayant « le physique du rôle ». Toutefois en dépit de cette intéressante convention, on peut sans doute regretter que la voix du ténor espagnol Andeka Gorrotxategi (Rodolfo) manque de ce rayonnement solaire auquel on est habitué dans pareil emploi avec une émission souvent en arrière alors que le timbre n’est certes pas inintéressant et que les notes aiguës sont bien présentes encore que les nuances et mezza voce que l’on attend demeurent rares ou imparfaitement négociés. Du coup, sa partenaire, la soprano russe Irina Lungu (Mimi), semble le suivre sur la voie d’une certaine réserve (probablement dans un souci de ne point déséquilibrer leur duo) avec néanmoins une technique de chant plus orthodoxe, des sons filés bien maîtrisés et un aigu qui sait s’épanouir lorsqu’il le faut, notamment dans la pathétique scène de la séparation de l’acte 3. Plus sonore apparaît le Marcello de Davide Luciano ainsi que le Schaunard du baryton russe Boris Pinkhassovitch dont la voix, dans sa texture comme dans sa couleur, se révèle comme la plus intéressante de toute la distribution et dont l’instinct scénique est tout à fait remarquable. (Notons à son propos l’excellente idée de mise en scène, au dernier acte, de laisser Schaunard dans le couloir veillant – certes dissimulé -à quelques pas sur l’inéluctable et rapide progression du mal de Mimi et justifiant ainsi son irruption immédiate dans la pièce lors de son malaise). Nicolas Courjal en Colline complète efficacement le quatuor des garçons bohèmes, tandis que la soprano Mariam Battistelli dessine une piquante Musetta. Pour elle, Jean-Louis Grinda a imaginé de transformer son air du deuxième acte en une séquence de cabaret (dont elle serait la vedette) dansée avec deux « boys », grand clin d’œil à la comédie musicale qu’il a toujours affectionné. De la distribution on détachera encore Fabrice Alibert, amusant Benoît, et Guy Bonfiglio qui incarne, avec son abattage habituel, un Alcindoro parfaitement caractérisé et plaisante caricature du « vieux beau ».
Parmi les atouts de cette Bohème : le magnifique Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo sous la baguette experte de Daniele Callegari, le Chœur de l’Opéra toujours fort bien préparé par Stefano Visconti ainsi que l’opulent Chœur d’enfants de l’Académie de Musique Rainier lll.
Christian Jarniat
29 janvier 2020