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Werther de Massenet au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich 

Werther de Massenet au Theater-am-Gärtnerplatz de Munich 

mercredi 1 mars 2023
Lucian Krasznec (Werther) et Sophie Rennert (Charlotte) /Anna-Katharina Tonauer (Charlotte) /Anna-Katharina Tonauer (Charlotte) – Andreja Zidaric (Sophie) – Ludwig Mittelhammer (Albert) © Jean-Marc Turmes

 Dans Werther, Massenet adopte complètement la méthode de Wagner, c’est-à-dire « la mélodie infinie que l’orchestre confirme et que la parole accompagne. […] Wagner, lui, a érigé en principe ce mode d’accompagnement et il s’y est strictement tenu. Or, pour le style parlé, tel qu’il prédomine dans Werther, cette méthode nous paraît préférable au pathos héroïque des grands opéras.
” Dans l’oeuvre de Massenet, le travail fondamental de l’orchestre n’est peut-être pas aussi artistique que chez Wagner, mais, par contre il est plus souple, plus naturel et plus intelligible. Il n’impose point à l’oreille ce dur labeur de débrouiller continuellement les fils d’un épais tissu de mélodies dont les zigzags inextricables se croisent et s’enchevêtrent sans cesse. Massenet traite ces sortes de passages avec infiniment d’habileté. “ C’est ainsi que s’exprimait Eduard Hanslick, sans doute le critique autrichien le plus influent du 19ème siècle, dans l’article qu’il publia dans la Nouvelle presse libre suite à la création mondiale de Werther qui eut lieu à Vienne le 16 février 1892. La nouvelle production de l’opéra Werther de Jules Massenet au Staatstheater am Gärtnerplatz est assurée par Herbert Föttinger, un Autrichien qui dirige le Theater in der Josefstadt de Vienne et qui a déjà mis en scène avec succès Don Giovanni et Rigoletto au Gärtnerplatztheater de Munich, où l’oeuvre, placée sous la direction musicale du chef d’orchestre Anthony Bramall, est interprétée par deux distributions alternées issues de la troupe du théâtre.  Le contenu en est bien connu. La vie de Charlotte suit un chemin tout tracé. Sa mère lui a fait jurer juste avant de mourir qu’elle épouserait le très ambitieux Albert. Depuis son décès, Charlotte s’occupe avec sa soeur Sophie de sa nombreuse famille. C’est alors qu’apparaît soudain l’impulsif Werther, et avec lui la possibilité d’un tout nouveau projet de vie. Déchirée entre son amour pour Werther et les attentes qu’on place en elle, Charlotte prend une décision lourde de conséquences : elle renonce à son amour et respectera son serment. La passion exacerbée de Werther, à la limite de la violence, n’est sans doute pas étrangère à ce choix que fait Charlotte d’une vie rangée. Le célèbre roman épistolaire Les souffrances du jeune Werther, dans lequel Goethe s’était inspiré de ses propres expériences, avait déclenché une vague de suicides dans toute l’Europe après sa parution en 1774. L’émotion caractéristique du texte est exacerbée par la musique de Jules Massenet pour y atteindre une intensité encore plus grande. Herbert Föttinger met en scène l’opéra comme un jeu de société psychologique sur l’éveil de la joie de vivre et la difficulté de quitter son milieu habituel. Il déplace le moment de l’action vers les années 1900, au temps de la création viennoise puis parisienne de l’opéra, ce que soulignent les costumes d’Alfred Mayerhofer et des détails comme la présence d’un téléphone mural de l’époque vers lequel se précipite Charlotte pour appeler du secours lorsqu’elle découvre le corps mourant de Werther qui vient de se suicider. Au troisième tableau, Charlotte a délaissé ses robes pour porter culotte, un détail symbolique d’une certaine libération de la femme dans un monde encore pétri de conventions rigides. Les décors sobres et classiques de Walter Vogelweider évoquent les grandes pièces lumineuses à hautes fenêtres d’une maison de la haute bourgeoisie. Le premier acte se déroule dans le grand salon du bailli décoré d’une série de tableaux aux paysages romantiques et d’un grand portrait en buste de sa défunte femme. Trois portes en enfilade rapprochée donnent une perspective de fond de scène qui s’ouvre sur l’extérieur. Le milieu rassurant de la demeure se verra bouleversé par l’arrivée du turbulent Werther dont le comportement n’a rien de conventionnel. Ainsi, laissé seul dans le salon, se permet-il de décrocher l’un des tableaux pour le mieux examiner et sera bientôt surpris en flagrant délit. Dans ce monde comme il faut respirant le bonheur de l’aisance et des conventions bourgeoises, observer avec intérêt les tableaux du maître de maison est une marque courtoise d’intérêt, les décrocher est une inconvenance. Un peu plus tard, on le voit jouer comme un gamin avec les enfants lançant un petit ours en peluche tout en courant dans le salon. La symbolique des tableaux réapparaîtra au début du troisième acte : le tableau de la mère a été décroché et déposé de côté sur le sol contre le bas du mur, la mère est ainsi reléguée, Charlotte n’a pas respecté son serment. La mise en scène place la fête du village voisin où Werther accompagne Charlotte dans une salle d’auberge protégée du soleil par de grandes persiennes dont les lamelles sont ici et là désorganisées. Au troisième tableau, retour dans le grand salon dans lequel Charlotte apparaît portant une pile de livres  dans lesquels il semble qu’elle ait dissimulé les lettres que lui a adressées Werther. La littérature est omniprésente, les livres, la tenue de journaux intimes, les échanges de lettres alimentent la sensibilité romantique. Et pour y insister, pendant les introductions de chaque tableau, une toile noire baissée sur l’avant-scène reçoit en projection défilante des extraits du roman épistolaire de Goethe. Le quatrième tableau réutilise les persiennes, séparant cette fois la scène en deux parties : à l’avant, des lettres sont accrochées sur des cordes ; derrière les persiennes, au travers des lamelles ouvertes, on aperçoit le corps affalé de Werther dans une posture qui rappelle la fameuse position du Marat assassiné de Jacques-Louis David. Des lumières d’ambiance habilement créées par Peter Hörtner accompagnent en le soulignant le déroulement de la tragédie. Anthony Bramall et l’orchestre rendent avec énergie les émotions poignantes de ce drame intime et la chaleur des tons colorés de la musique de Massenet et de sa partition empreinte de sombre amertume. Une lecture musicale toute en puissance qui ne laisse pas grande place aux moments de douceur mélancolique, dont on peut regretter que le chef ne se soit pas attardé à les laisser pleinement s’exprimer. Les chanteurs et le choeur d’enfants enchantent les oreilles françaises par la grande qualité de la prononciation, une heureuse surprise car c’est loin d’être toujours le cas sur les scènes allemandes. Le Werther du ténor roumain Lucian Krasznec est confondant d’intensité dramatique, avec une composition du personnage en crescendo, d’abord empreinte de douceur et de délicatesse dans l’expression des émotions, avec ensuite des montées dans des aigus fulminants pour marquer les emportements et les déchirements de la passion amoureuse. La diction française est remarquable et la projection de la voix tellement assurée que son texte est toujours compréhensible, même dans les notes les plus hautes.  Anna-Katharina Tonauer joue Charlotte avec une présence scénique remarquable dans l’interprétation d’une femme déchirée entre le monde du devoir et des apparences et la violence d’une passion intérieure qui la mine et dont elle perd la maîtrise. Un beau mezzo avec des descentes réussies dans les graves et des modulations réussies de la palette émotionnelle, avec le bémol d’une voix moins bien projetée dans l’aigu, ce qui nuit alors à la compréhension du texte. Andreja Zidaric donne une Sophie lumineuse et souriante de son soprano clair et joyeux, qui convient bien à ce personnage plus solaire et insouciant, qui ne semble pas trop affecté par l’indifférence de Werther à ses avances amoureuses. Le baryton Ludwig Mittelhammer assure un Albert à la carrure solide d’une voix dont la fermeté correspond aux convictions de cet homme de principes, qui ne perd sa contenance que lorsqu’il ordonne à sa femme de remettre ses pistolets à son amant de coeur. L’opéra culmine dans le troisième acte avec une tension dramatique à son comble portée par un Lucian Krasznec qui réussit une prise de rôle triomphale, dûment ovationnée par un public aux anges. Un orchestre conduit de main de maître avec des musiciens aussi attentifs qu’enthousiastes, une mise en scène classique au service du livret, brillante et fouillée jusque dans ses moindres détails. Une des meilleures productions de la saison munichoise. Luc-Henri Roger 1er mars 2023 Opéra sur une musique de Jules Massenet Drame lyrique en trois actes et quatre tableaux Livret d’Édouard Blau, Paul Milliet et Georges Hartmann D’après “Les souffrances du jeune Werther” de Johann Wolfgang von Goethe En français avec surtitres en allemand Direction musicale : Anthony Bramall Mise en scène : Herbert Föttinger Décors : Walter Vogelweider Costumes : Alfred Mayerhofer Dramaturgie : Fedora Wesseler Distribution : Werther : Lucian Krasznec/Alexandros Tsilogiannis Albert : Ludwig Mittelhammer/Daniel Gutmann  Bailli : Holger Ohlmann Schmidt : Caspar Krieger Johann : Levente Páll Charlotte : Anna-Katharina Tonauer/Sophie Rennert Sophie : Andreja Zidaric/Ilia Staple Chœur d’enfants du Staatstheater am Gärtnerplatz Orchestre du Staatstheater am Gärtnerplatz Prochaines représentations les 5, 26 et 29 mars 2023

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