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Il Turco in Italia de Rossini à l’Opéra d’Avignon

Il Turco in Italia de Rossini à l’Opéra d’Avignon

vendredi 3 mars 2023
©Cédric Delestrade

Un auteur en quête de personnages
  Victime depuis sa création malheureuse à Milan en août 1814 d’une succession de mésaventures et d’une persistante incompréhension, Il Turco in Italia est bien en fait une œuvre majeure de la production rossinienne et marque une étape cruciale dans l’évolution dramatique du compositeur. Certes, l’ouvrage est bel et bien « bouclé » à toute allure comme à l’accoutumée, est assez mal ficelé quant à la forme avec un premier acte trop important et une mauvaise intégration de la fiction dans la réalité de l’action. L’opéra peut aussi passer pour un simple renversement de l’Italienne à Alger. Hier tyrannique, le Turc s’y retrouvait nu, déraciné, floué par une tyrannique « capricieuse ». De fait, ce n’est pas seulement le sujet de l’Italienne qui est pris ici à contre-pied, mais l’ensemble des archétypes du genre, situations et personnages, sous la conduite d’un meneur de jeu, Prosdocimo, le poète auteur et acteur de sa propre intrigue, au travers duquel Rossini et son librettiste se livrent à un jeu de mises en pièce du théâtre bouffe et de ses stéréotypes. Et c’est bien là où avec son Turc Rossini innove car on peut bel et bien mesurer la modernité d’un argument « pirandellien »  avant la lettre, avec cette idée de théâtre dans le théâtre et le problème de l’artiste confronté à sa création. Cet opéra brillant et énigmatique mené par ce curieux « poète » à la recherche de ses personnages dans un continuel jeu comique avec la fiction scénique ne serait-il pas assez proche de l’esprit mozartien de Cosi ? Qu’il nous soit permis de poser la question…
  Importé de l’Opéra de Monte-Carlo, le luxueux et vivifiant spectacle donné en Avignon a rallié tous les suffrages à la première. Il est vrai aussi que les interprètes semblaient en état de grâce, car immergés avec bonheur dans le climat féerique de la production. La mécanique scénique huilée voulue par Jean-Louis Grinda suit le livret à la lettre, avec une justesse de ton et de style infaillible. La mécanique de la scène, l’action rondement menée qui évite le thrill-trap, les couleurs éblouissantes des costumes de Jorge Jara, les astucieux décors de Rudy Sabounghi, quelques projections vidéo comme gage de modernité, un tapis roulant comme dispositif principal, sont d’une efficacité comique imparable. La musique y trouve alors son vrai rythme et la galerie de personnages devient tout à fait crédible grâce à une scénographie génialement endiablée qui se souvient des recettes de la Commedia dell’Arte.
  La distribution, elle, n’appelle aucun reproche sérieux. Fiorella, trouve en Florina Ilie une interprète de qualité car totalement maîtresse des secrets du chant rossinien. La jeune cantatrice sait donner son juste poids à chaque note, à chaque trait d’agilité, à chaque nuance. Gabriele Ribis, son mari Don Geronio, aux dons comiques exceptionnels forme un duo irrésistible avec le rival Don Narciso, un Patrick Kabongo, tout droit sorti du cirque Pinder, pas du tout perturbé dans ses registres de ténor, et au timbre plus que flatteur.   Joli travail de Giovanni Romeo, un poète/scénariste constamment en scène, véritable deus ex-machina. Son Prosdocimo crève l’écran tout comme la Zaida de Josè Maria Lo Monaco, Zaida spirituelle comme pas deux, leste et fine comme la mouche du coche. Voici un mezzo sicilien capiteux, au timbre jeune, velouté, aux aiguës à la fausse fragilité et aux graves doucement exhalés. Une belle révélation. L’apparition du Turc a fait frissonner d’aise ma voisine de gauche et mon voisin de droite. Beau comme il n’est pas permis, macho à souhait, érotisé à l’extrême, Guido Loconsolo a dessiné avec mesure et ironie un Pacha Selim impétueux qui occupe la scène avec une aisance confondante, une fougue presque trop débridée mais qui enthousiasme littéralement. Il chante comme d’autres respirent, c’est réellement superbe et l’on ne sait qu’admirer le plus : la ligne très pure, le timbre superlatif. Un must ! D’autant qu’avec Miguel Campos Neto, au pupitre de l’Orchestre National Avignon-Provence et du Chœur de l’Opéra Grand Avignon (qui sonne comme la phalange des Arènes de Vérone au grand complet), la partition crépite d’allégresse, irrésistible, « spumante » comme un grand verre d’Asti.

Christian Colombeau
3 Mars 2023

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