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La Favorite Opéra National de Bordeaux

La Favorite Opéra National de Bordeaux

samedi 4 mars 2023
Annalisa Stroppa-Pene Pati/ Annalisa Stroppa-Florian Sempey entourés par le Ballet/ Pene Pati-Vincent Le Texier  ©EricBouloumié

Quand Donizetti déclarait : « Je veux Paris »
On ne programme plus souvent en France le grand opéra historique façon Meyerbeer ou Halévy. La Favorite peut donner une idée de ce qu’était ce genre qui a connu son heure de gloire au XIXe siècle jusque dans les années 1860. Donizetti ne rêvait que de Paris, de son Académie nationale de musique et de théâtres qui, à l’inverse de ceux d’Italie, ne dénaturaient pas les œuvres. C’est ainsi qu’il parvint en 1840 à faire représenter dans la capitale La Fille du régiment à l’Opéra-Comique et La Favorite à l’Opéra.
Cette dernière résultait de la mise aux normes parisiennes de plusieurs ouvrages antérieurs qui, délaissés, servaient de fondations au nouvel opéra réclamé par Léon Pillet, le directeur de l’Académie de Musique. Aux deux librettistes habituels du compositeur, Alphonse Royer et Gustave Vaëz, s’était joint Eugène Scribe, familier des règles opératiques exigées. Sans entrer dans le détail des diverses trames et partitions, on peut avancer qu’à la structure dramaturgique d’Adélaïde, perceptible dans L’Ange de Nisida, ouvrage non représenté au théâtre de la Renaissance pour cause de faillite, s’ajoutent entre autres des numéros issus du Duc d’Albe et l’intrigue simili-historique dE Léonor de Guzmán et d’Alphonse XI. L’Ange de Nisida, principale source, provenait d’un roman et de son adaptation au théâtre (Les Amants malheureux ou le Comte de Commines de Baculard d’Arnaud).
C’est en français qu’était donné l’ouvrage. Ce n’est pas la langue dans laquelle il sera par la suite le plus couramment monté, non seulement en Italie mais aussi en France. L’histoire des enregistrements témoigne de la prégnance de la traduction, la création postérieure en Italie datant de 1842. Le cas de Bordeaux est révélateur de l’hésitation qui va prévaloir entre les deux versions. Dans les années 1960 on donne la version italienne en 1957 avec la grande Fedora Barbieri, la version française en 1960 avec une distribution de rêve (Rita Gorr, Guy Fouché, Ernest Blanc) et enfin dix ans plus tard une version franco-italienne, chaque interprète adoptant la langue de son pays d’origine.

Dans le royaume d’Espagne au XIVe siècle, le jeune novice Fernand au moment de prononcer ses vœux s’éprend de Léonor qu’il ne sait pas être la favorite du roi Alphonse XI. Pour la conquérir il souhaite s’illustrer par les armes. Alphonse XI apprend de façon concomitante de Léonor qu’elle a bien un amant et du pape qu’il mène une vie quasi sacrilège. Quand Fernand qui a remporté une victoire décisive sur les Maures lui demande la main de Léonor, il accepte immédiatement le mariage. La favorite entend alors révéler son état à Fernand qui place haut la notion d’honneur pour que ce dernier l’épouse en connaissance de cause. Suite à un malentendu Fernand découvrant la vérité au dernier moment repousse Léonor et repart au monastère. Alors qu’il a prononcé ses vœux Léonor reparaît. Les deux amants se reprennent d’amour, mais Léonor expire, d’une « mort d’amour » 

L’esthétique du grand opéra
La mise en scène de Valentina Carrasco avertie de ce qu’est le grand opéra historique (elle a déjà mis en en scène La Muette de Portici et Les Vêpres siciliennes) et le théâtre moderne a pleinement convaincu.
La scénographie de Peter Van Praet et Carles Berga fonctionne à partir d’éléments modulaires représentant un étagement de lits où viendront s’installer la suite de Léonor (acte I), puis des femmes âgées durant le ballet (on y reviendra) ; ce sera ensuite un lit pré-nuptial (acte III), puis sans doute des tombes (acte IV). Ce dispositif apparaît dès l’ouverture et, dans une forme d’uchronie, montre ce que serait devenue Léonor si elle avait vécu, condamnée à rejoindre les favorites rejetées. Ce décor va progressivement au cours des actes se resserrer et s’assombrir. Aux jardins de l’Alcazar lumineux de l’acte II succède la noirceur du palais au III, les costumes passant eux aussi presque uniformément au noir. Cette scénographie, encadrée au début et à la fin de l’ouvrage par les scènes de monastère non dépourvues de baroquisme, est au service des enjeux du grand opéra historique. C’est aux actes II et III que se dérouleront les séquences parfaitement maîtrisées, d’abord de l’irruption de Balthazar venant apporter la bulle du pape condamnant la conduite d’Alphonse XI, puis à l’acte suivant la révolte de Fernand refusant d’épouser celle qui lui a caché son statut de favorite du monarque. Comme dans le grand opéra historique c’est l’imbrication – réussie au plan dramaturgique – des éléments décoratifs de la fresque et de la visée romantique de la politique et de la morale.
L’autre enjeu de cette esthétique est la place que prend le ballet, souvent simple divertissement à une heure avancée de la soirée. Ce moment chorégraphique a fait à Bordeaux les gros titres de la presse régionale. Un casting de 22 bordelaises âgées de plus de 60 ans a été recruté pour figurer les favorites rejetées et par-delà les générations avancées en âge discriminées dans notre société.
Chacun pourra s’interroger sur le lien avec l’intrigue assumé par la metteure en scène, l’idée de chorégraphie étant convertie en thèse sociétale. Il y a quelques semaines dans sa mise en scène de La Princesse jaune Alexandra Lacroix avait greffé sur la violence amoureuse de Cornélis une scène réunissant des femmes proclamant l’impérieuse nécessité du consentement dans le couple. Dans les deux cas l’ajout peut paraître exogène. Dans La Princesse jaune une musique avait été composée pour sous-tendre la proclamation ; dans La Favorite c’est sur la musique intégralement conservée du ballet que la nouvelle dramaturgie fonctionne. On ne peut dénier une forme de réussite et de pertinence de l’épisode une fois le principe admis. Les 22 femmes racontent une histoire : préparatifs, puis mise en place d’un ballet. Cette histoire dans l’histoire du ballet lui-même, dans une mise en abyme, permet une réminiscence du passé avec le retour du monarque réel et fantasmé.
Ce « ballet » élégant et réglé au millimètre par Massimiliano Volpini a manifestement plu.

Une distribution exceptionnelle
La distribution s’inscrit dans cette mise en scène censée aller vers le public d’aujourd’hui.
Le ténor samoan Pene Pati était d’autant plus attendu à Bordeaux qu’après ses débuts dans le duc de Mantoue en 2017 à San Francisco, c’est à l’Opéra de la capitale girondine qu’a été couronnée sa notoriété qui en font un des meilleurs ténors internationaux actuels, successivement avec Anna Bolena puis Roméo et Juliette. La voix marie la puissance à une incroyable souplesse. Ce défi est obtenu par le maniement hors-pair des registres, le recours à une voix mixte donnant un vrai volume aux demi-teintes, colorant chaque inflexion, permettant même l’ajout d’ornements, notamment dans son premier air « Un ange, une femme » ; la romance « Ange si pur » à l’acte IV chantée tout en nuances n’est pas moins portée par une ligne de chant à laquelle le souffle donne une réelle plénitude. Les scènes de vaillance impressionnent tout autant par la puissance (où les superbes contre-ut ne sont pas absents) qui semble habiter le héros de type cornélien, épris des des valeurs d’honneur.
Léonor était interprétée par Annalisa Stroppa. Cette jeune interprète qui a débuté en 2011 affiche déjà un nombre très significatif de rôles de mezzo, Norma, Carmen, Anna Bolena, mais aussi des personnages moins exposés, Nicklausse ou Suzuki. Sa technique belcantiste irréprochable, sa voix claire et articulée font regretter qu’elle ne puisse pas donner plus d’assurance au bas médium. Mais la personnalité vocale est bien là distillant l’énergie dans son duo avec Alphonse XI et l’expressivité dans le sentiment amoureux et le sacrifice qu’il exige, notamment dans l’air « Ô mon Fernand ». Sa scène finale est éblouissante, laissant apparaître cette « mort d’amour » (le Liebestod allemand) et cette bénédiction donnée à celui qu’elle soustrait au sacrilège, sans renoncer à donner l’idée scénique qu’elle meurt aussi d’épuisement, un peu comme Manon sur la route du Havre. Elle est alors entourée des ex-favorites bordelaises. La vision d’ensemble d’un parcours est aussi un des atouts de l’interprète.
Dans la lignée des plus grands, Charles Cambon, Ernest Blanc ou Ludovic Tézier, Florian Sempey est actuellement un de nos plus grands barytons. Souvent distribué dans le répertoire italien (Dandini, Belcore, Malatesta…) dans le prolongement de son déjà légendaire Figaro, il interprète tous les rôles de grand baryton du répertoire (Hamlet, Escamillo, Mercutio…) On admire une nouvelle fois dans La Favorite sa voix égale, son timbre plein, l’homogénéité des registres qui permet aussi bien l’éloquence et le legato que la puissance. L’incarnation séduit, le monarque gardant son mystère, à la fois brutal et humain, calculateur et victime de ses propres affects.
Vincent Le Texier poursuit incontestablement une très belle carrière riche de rôles dans l’opéra classique mais aussi dans les ouvrages contemporains. Son Balthazar humain et imprécateur bénéficie d’une tessiture idéale lui permettant de marquer d’une voix percutante les scènes où il apparaît. Ténor mozartien mais ouvert à de nombreux répertoires (on n’oublie pas ses Fées du Rhin mémorables à l’Opéra de Tours), Sébastien Droy interprète de nombreux rôles d’opérette, un chanteur comme lui contribuant à donner ses lettres de noblesse à un genre trop souvent malmené. Le rôle de Gaspar initialement prévu plus comique colle parfaitement à sa voix, au timbre plein, au style châtié et à la projection bienvenue. Marie Lombard est une découverte pour le public dans le rôle d’Inès ; la voix est identifiable, lumineuse, la technique impeccable. Une artiste à suivre !
Les chœurs de l’ONB sont splendides. Paolo Olmi dirige l’Orchestre National Bordeaux Aquitaine sans rien omettre de ce que présuppose une partition comme celle de La Favorite : le sens du théâtre, l’italianisme et le bel canto, mais aussi le contenu plus beethovénien d’un ouvrage écrit spécialement pour Paris.
Le public a ovationné le spectacle, même si les saluts finals ont manqué quelque peu d’organisation.

Didier Roumilhac
4 mars 2023

Prochaines dates : 
Mercredi 08 Mars 2023 à 20H00
Vendredi 10 Mars 2023 à 20H00
Dimanche 12 Mars 2023 à 15H00
Mardi 14 Mars 2023 à 20H00

https://www.opera-bordeaux.com/opera-la-favorite-donizetti-26512

Diffusion le 25 mars à 20 heures sur France Musique

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