Après ses deux premières œuvres Oberto Conte di San Bonifacio représenté avec succès à la Scala de Milan en 1839 puis Un giorno di regno dans le même théâtre un an plus tard (1840) qui fut un échec à la création (ces deux opéras étant, peu ou prou, tombés dans l’oubli), Verdi se mit à la composition de Nabucco sur un livret de Temistocle Solera (lequel avait contribué au succès d’Oberto). Ce fut un triomphe retentissant ayant pour point culminant le célébrissime chœur “Va piensiero” devenu par la suite l’emblème du Risorgimento, le public italien de l’époque s’identifiant à l’incarnation théâtrale et musicale du peuple juif opprimé. A la création en 1842 (toujours à Milan) se produisait une jeune soprano de 27 ans Giuseppina Strepponi qui devint plus tard la femme de Verdi et dont on sait que le rôle d’Abigaïlle, eu égard aux difficultés dont il est parsemé, contribua à sa fin de carrière précoce.
L’Opéra de Marseille a, donc en ce mois d’avril, mis à la l’affiche ce Nabucco qui n’avait plus été repris dans la cité phocéenne depuis octobre 1989. Voici un titre qui a provoqué, comme il fallait s’y attendre, l’engouement du public puisque les quatre représentations ont fait salle comble à l’instar de la précédente production à savoir celle de Carmen. Il est vrai que le célèbre chœur du troisième acte où les hébreux pleurent sur leur terre natale occupée est entré comme peu, tel un hymne, dans la mémoire collective de telle sorte qu’il s’est popularisé même auprès des profanes.
La production est celle de l’Opéra de Saint Étienne (2016) que l’on a pu voir à l’Opéra de Nice en 2018. La scénographie épurée de Jérome Bourdin convient parfaitement à pareille œuvre loin des péplums surchargés ou de certaines hasardeuses transpositions. De grands panneaux et d’énormes structures de forme cubique de couleur sombre se meuvent et s’entrecroisent pour créer divers espaces de jeu. Une plateforme centrale à laquelle on accède par un escalier permet, selon les scènes, de constituer un tremplin où le pouvoir guerrier ou religieux domine le peuple. Jérôme Bourdin est également le concepteur des costumes somptueux (blancs pour les hébreux, noirs pour les babyloniens) mais stylisés donnant à la fois à ce spectacle une allure dépouillée et néanmoins grandiose avec des maquillages sophistiqués. Il est aussi parfaitement mis en lumière par Pascal Noël en totale osmose avec la scénographie. Le metteur en scène Jean-Christophe Mast, qui maîtrise parfaitement les mouvements de foule, traite avec un soin acéré les scènes plus intimistes.
Le baryton sud-américain Juan Jesús Rodriguez est devenu en quelque sorte l’idole du public marseillais qui l’a notamment acclamé dans un remarquable Macbeth en 2016 puis en novembre dernier dans le rôle de Giacomo de Giovanna D’Arco, une œuvre peu représentée de Verdi (en l’occurrence sous forme de version concert). Il faut dire que ce chanteur possède un timbre particulièrement séduisant, d’une couleur claire parfaitement homogène sur toute la tessiture et opulente dans le registre grave comme dans le registre aigu. Le type même du “baryton-verdi” comme on l’appréciait par exemple, chez ses illustres prédécesseurs que furent Piero Cappuccilli et Renato Bruson. Les longues acclamations qui l’accueillirent aux saluts en disent long sur la ferveur du public marseillais à son égard.
Comme on l’indiquait plus haut, le rôle d’Abigaïlle demeure une épreuve redoutable pour une chanteuse. Cet emploi de grande soprano lyrico-dramatique hérissé d’écueils exige un volume vocal important mais aussi la maîtrise de notes extrêmes dans le grave comme dans l’aigu. La cantatrice hongroise Csilla Boross s’en est fait une spécialité sur nombre de scènes. On se souvient par ailleurs que l’été dernier, elle a chanté le rôle de Gioconda (en remplacement de Saioa Hernandez) aux Chorégies d’Orange. Elle a paru ici plus à l’aise mais il est vrai que l’Opéra de Marseille et le Théâtre Antique d’Orange ne sont pas de mêmes dimensions. La voix est parfaitement soutenue et le grave beaucoup plus affirmé que ce que nous avions entendu dans l’œuvre de Ponchielli.
Une fort belle prestation aussi que celle de Simon Lim qui domine tout au long de l’ouvrage la tessiture de Zaccaria. On sera beaucoup plus réservé sur l’Ismaël de Jean-Pierre Furlan dont on connaît les qualités déployées au cours de sa carrière de ténor mais qui ne possède pas exactement la couleur et l’insolence vocale solaire de ce rôle verdien encore inscrit dans l’univers belcantiste. Soulignons les prestations des deux autres héroïnes féminines, l’élégante Fenena de Marie Gautrot et la percutante Anna de Laurence Janot. Complètent fort bien la distribution Jérémy Duffau ( Abdallo) et Thomas Dear (Le Grand Prêtre).
Nabucco suppose une direction fulgurante et enlevée et ce fut le cas avec Paolo Arrivabeni, l’un des chefs attitrés du pupitre de l’Opéra de Marseille, et pour lequel Verdi n’a plus de secrets. Dans Nabucco, la partie chorale a une importance primordiale et on ne peut qu’admirer le travail d’Emmanuel Trenque qui a porté la phalange marseillaise à des hauteurs qui suscitent l’admiration. Bien entendu le fameux “Va Pensiero” fut l’un des points culminants de la représentation.
Christian Jarniat
4 avril 2023