« UNE FEMME SANS OMBRE » de Richard Strauss, toute en lumières !!!
25 ans d’existence, cette année !!! Pour fêter dignement cet évènement, lors de son Festival de Pâques, le Festspielhaus de Baden-Baden a programmé en ouverture une œuvre magistrale et monumentale de Richard Strauss Die Frau ohne Schatten (La femme sans ombre).
Jouer Die Frau ohne Schatten est un tour de force, à tous les niveaux. Il faut un immense orchestre, des solistes pour les 5 rôles plus qu’exigeants, des chœurs impressionnants, une mise en scène grandiose. Tout cela a pu être réalisé grâce à la direction superbement inspirée de Kirill Petrenko, qui a dirigé, pour l’occasion un Orchestre Philharmonique de Berlin hors pair, éblouissant, avec des moyens opulents, cinq voix d’exception, l’excellent Choeur du Forum National de la Musique de Wroclaw et le très professionnel Cantus Juvenum de Karlsruhe.
La force et la violence de la musique ne sont jamais recherchées, bien au contraire. Kirill Petrenko et les Berliner Philarmoniker, rayonnants d’éclat, nous font apprécier la moindre note de l’immense œuvre de Richard Strauss avec génie et faste. On est totalement submergé par toutes ces notes délicates, magnifiées par tous les instruments et ceux de complément, tel l’harmonica de verre qui sonne avec une grande limpidité.
Réaliser die Frau ohne Schatten est toujours une aventure. La metteur en scène américaine Lydia Steier (qui a réalisé Salomé à Paris et le Chevalier à la Rose à Lucerne) a relevé le défi d’aborder l’histoire avec une approche ambitieuse, vivante et très colorée, réglée au millimètre près, somme toute bien cohérente. Elle présente l’œuvre comme un « rêve » par l’impératrice, petite fille, depuis l’internat chez les bonnes sœurs en cornettes. Sa mise en scène amène ainsi à introduire un personnage supplémentaire (comme s’il y en avait pas assez) et quelques scènes incompréhensibles voire inutiles, dont cet internat devenu maternité au 3e acte où la petite fille, future impératrice, gratte furieusement la terre à la fin du 3e, à la recherche de son bébé perdu (on le suppose). Il faut saluer la performance exceptionnelle de Vivien Hartert, dans le rôle de la jeune fille, présente tout au long de l’opéra.
La description des deux univers est en revanche fort bien réussie. Celui des esprits est une sorte de music-hall, peuplé de danseurs, où le couple impérial esquisse des pas de danse dans un style très hollywoodien à la Fred Astaire et Ginger Rodgers, d’acrobates (le faucon rouge) habillés de paillettes, de plumes, de fracs, bref : un monde de plaisir irréel et fantaisiste. Celui des humains est une fabrique couleur rose-bonbon de poupons emballés, où des clients viennent acheter leur progéniture. Un monde de médiocrité, de frustration, fidèle au texte d’Hofmannsthal. L’univers du teinturier et de son épouse est ancré dans les obsessions de l’intrigue : le manque d’enfants. A part quelques vulgarités (lorsque Barak couche avec l’impératrice pendant le rêve), le reste tient la route, mettant l’accent sur l’aspiration des deux couples vers une plus grande humanité.
Dans la mise de Lydia Steier, on se demande si elle condamne le trafic de bébés, l’emprise voire l’esclavage, l’idée qu’une femme ne peut être entière si elle n’a pas d’enfants… De beaux tableaux religieux apparaissent sur la scène et les multiples changements du dortoir du couvent au grand escalier de la revue sont des images inoubliables. Saluons au passage les décors grandioses de Paul Zoller et les costumes très riches et colorés (surtout ceux de l’impératrice) créés par Katharina Schilip, sublimés et mis en valeur par les lumières judicieuses et bien appropriées d’Elena Siberski.
Le plateau vocal, quant à lui, est de très haut vol. Dans le quintette, d’une souveraineté impressionnante, une voix se détache, absolument impériale, celle de la soprano sud-africaine Elza van den Heever, merveilleuse impératrice, d’une innocence touchante et d’une féminité épanouie. Elle possède une voie pleine de délicatesse, de fraîcheur et d’humanité. Ses aigus sont agiles, fluides et brillants. Le phrasé est sublime, à l’unisson avec le magnifique violon solo Vineta Sareika-Völkner des Berliner Philarmoniker. Le difficile « Sprechgesang » du dernier acte est superbement assumé et impressionnant.
Non moins impressionnante est la mezzo-soprano Miina-Lisa Värelä dans le rôle de la teinturière, épouse frustrée, insatisfaite d’elle-même, de son mari Barak et de la vie. Elle alterne autorité, puissance avec des frémissements amoureux et de la sensualité, lui donnant à la fin, une allure plus humaine.
On trouve dans la mezzo Michaela Schuster, une nourrice maléfique et perfide. Elle s’impose aussi bien scéniquement que vocalement avec une voie sombre et belle où l’aigreur perverse avec les humains alterne d’une douceur infinie avec sa pupille.
Dans le rôle difficile du « Kaiser », le ténor Clay Hilley concilie à la fois souplesse et puissance. Sa voix est teintée de noblesse et de vaillance.
Le baryton-basse Wolfgang Koch campe un Barak débordant d’amour et d’humanité.
Les duos, trios, et quatuors sont de toute beauté !! Les chœurs et voix de l’au-delà subliment l’ensemble. Certaines interventions se font en coulisses, rendant encore plus irréelle la qualité vocale du plateau.
Le public de Baden-Baden a fait un triomphe à chaque artiste. Mais lorsque le chef Kirill Petrenko parut sur scène pour saluer, ce fut une apothéose, une formidable « standing ovation ».
Cette soirée fut un pur enchantement et restera gravée dans nos mémoires !!!
Belle surprise pour le prochain Festival de Pâques 2024 : on reprend les mêmes (presque) pour Elektra de Richard Strauss avec Kirilll Petrenko et les Berliner Philarmoniker, Elza van den Heever, Michaela Schuster, Johan Keuter et Nina Stemme.
Marie-Thérèse Werling
5 avril 2023