Voilà la sulfureuse gitane de retour au bercail : l’opéra de Bizet, Carmen, le plus représenté dans le monde, n’a plus quitté les scènes internationales depuis 1875, année de sa création.
Après plus de 2600 représentations jouées à la salle Favart, l’ouvrage entre au répertoire de l’opéra de Paris en 1959, dans une fastueuse mise en scène de Raymond Rouleau avec Jane Rhodes dans le rôle-titre. Deux autres interprètes de renom restent en mémoire en ce qui concerne l’opéra-comique : Teresa Berganza en 1980 puis Anna Caterina Antonacci en 2009.
Après une attente de 3 ans (crise sanitaire oblige) elle nous revient enfin, sous les traits de la somptueuse Gaëlle Arquez, dans une production signée Louis Langrée (direction d’orchestre) et Andreas Homoki (mise en scène).
Cette dernière bouscule un peu le spectateur dès le lever de rideau : une lecture nouvelle nous est proposée, point d’espagnolades ni de costumes flamboyants à admirer ici.
Nous découvrons, durant l’ouverture, un jeune homme d’aujourd’hui rencontrant sur son passage les personnages principaux de l’intrigue, Carmen, Escamillo ainsi que Micaëla vêtus de costumes de l’époque second empire.
Un rideau de scène rouge (typique du 19ème siècle) nous dévoilera le chœur en habits du dimanche – comme l’étaient les bourgeois de l’époque.
Nous serons transportés à l’acte trois dans les années 40, puis dans les années 60 à l’acte quatre ; nul défilé de toreros sur scène ni de picadors, seul le chœur aura le privilège de les voir sur une vieille télévision…
Mise en scène épurée, dialogues raccourcis, la production nous propose un plateau vocal irréprochable : Elbenita Kajtazi jeune soprano kosovare campe une Micaëla fragile et candide comme le veut le rôle, Jean-Fernand Setti un Escamillo un peu falot et gauche mais qui amène les airs tant attendus avec maestria, tandis que le Don José de Frédéric Antoun (un peu souffrant) révèle une sensibilité très touchante face à son intraitable bien-aimée.
Tout le petit monde de nos protagonistes mérite d’être cité et congratulé : Aliénor Feix, Norma Nahoun, Jean-Christophe Lanièce, François Lis, Matthieu Walendzik ainsi que Paco Garcia. L’homogénéité de la distribution gomme aisément les légères invraisemblances de cette lecture étonnante mais novatrice de l’œuvre de Bizet.
Et enfin, Gaëlle Arquez (magnifique Hélène d’Offenbach en 2015 et en 2020) au timbre large et chaud nous offre une Carmen de rêve : elle resplendit et sa prestation – acclamée avec raison – vaut de l’or !
Cette déroutante production continue, tant d’années après sa création originale, à faire couler de l’encre !
Nous signalons enfin la prestation du Chœur Accentus qui jamais ne déçoit, ainsi que l’excellent Orchestre des Champs-Élysées dirigé de main de maître par Louis Langrée.
Carmen se plaît véritablement, et pour longtemps encore, dans l’écrin doré de la salle Favart !
Philippe Pocidalo
Le 22 avril 2023
https://www.opera-comique.com/fr/spectacles/carmen-2023