La Veuve Joyeuse est l’une des opérettes les plus connues non seulement de son compositeur Franz Lehár mais également du répertoire. Pour la version française à laquelle nous assistions à l’Odéon de Marseille, présentée pour la première fois à l’Apollo de Paris en 1909, certaines modifications (lieux, personnages etc.) ont été apportées par les librettistes français sans que l’on comprenne encore véritablement pourquoi mais qui sont devenues incontournables.
Le public qui se pressait à l’Odéon pendant ce week-end pascal ne boudait pas son plaisir tout au long de la représentation, heureux de retrouver pour la troisième fois depuis sa nouvelle production présentée en 2017 puis reprise en 2019, la mise en scène d’ Olivier Lepelletier qui en assurait également les décors. Comme à l’accoutumée, tout est raffinement et soin du détail chez ce metteur en scène pétri de mille références qui ont jalonné son parcours artistique. Il nous convie dans une période située au début des années 30 qui voit poindre une certaine affirmation du statut de la femme ce qui colle parfaitement à l’intrigue et à la psychologie des personnages.
Le décor unique constitue le réceptacle des symboles de chaque acte : Tour Eiffel (omniprésente) illuminée pour l’ambassade (de la principauté de Marsovie en faillite), salons de la réception chez Missia (la jeune et riche veuve objet de toutes les convoitises) pour se conclure -Paris oblige- chez Maxim’s où tout finira en Happy end ! Trois lieux de fête traités différemment suivant l’action mais où le multiple travail des lumières et de l’éclairage scénographique d’Olivier Lepelletier va enrichir sa direction d’acteurs. Une innovation scénique est particulièrement appropriée pour la scène du pavillon habillement suggéré par un paravent en forme d’éventail qui se déploie et où l’on peut lire « C’est vous que j’aime…je suis une honnête femme », rappel de l’inscription sur l’éventail récurrent dans le fil de l’intrigue. Les costumes à la ligne épurée apportent une touche supplémentaire d’esthétisme à la production.
Apparaît sous les traits de Missia, Charlotte Despeaux sorte de Veronica Lake ou Lauren Bacall sortie tout droit d’un film d’Hollywood. On est séduit par le charme et l’agilité de cette voix sur toute la tessiture d’autant qu’elle se marie à la perfection au timbre élégant et au phrasé impeccable du baryton Anas Seguin, magnifique interprète de Danilo. Le deuxième couple vedette de l’action Samy Camps et Caroline Géa, Camille et Nadia, assurent un parfait pendant au couple Danilo-Missia. Ils sont jeunes, bien assortis, charismatiques et occupent tout l’espace scénique avec brio. Deux fidèles artistes-vedettes de l’Odéon au long de cette saison composent des maîtresses-femmes qui n’ont pas froid aux yeux : Carole Clin en Manon menant tout son monde à la cravache et Simone Burles en une Praskovia désopilante violant – presque – Danilo…Olivier Grand en pittoresque mais néanmoins touchant Popoff, Jean-Christophe Born (Lerida), Florent Leroux Roche (D’Estillac), Jean-Luc Epitallon (Pristich), Jean-Michel Muscat en Kromski (remplaçant de dernière minute d’Antoine Bonelli malade) et Michel Delfaud (Bogdanovitch), complètent la distribution avec assurance et élégance. Sans oublier Sabrina Kilouli et Rosanne Laut respectivement Olga et Sylviane.
Une mention particulière pour Grégory Juppin dans les habits de Figg, qui nous enchante du rare « Je suis un parisien » en véritable meneur de revue et que nous apprécions à chacune de ses prestations.
Toute cette brillante production est encore magnifiée par le ballet d’Esméralda Albert entourée de virevoltantes et exubérantes danseuses de French cancan (Doriane Dufrene, Lola Le Roch, Nathalie Naranjo) estampillées Moulin Rouge (dont Olivier Lepelletier est rappelons-le régisseur général) ainsi que Valentin le désossé de Stanley Riddick dont les danses sont scandées par les applaudissements du public.
Cependant l’un des grands triomphateurs de l’ après-midi est l’orchestre soutenu, rythmé, entraîné, galvanisé par la baguette de Bruno Membrey qui tire de chaque pupitre, chaque instrument tour à tour la suavité, la mélodie, l’ardeur, le dynamisme et qui, au gré de la partition, va entrainer le public jusqu’au « Ah ! les femmes » final repris à multiples reprises et scandé par toute la salle.
Catherine Pellegrin