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Le Ballet d’État de Bavière remonte le temps — La Sylphide de Filippo Taglioni comme en 1832

Le Ballet d’État de Bavière remonte le temps — La Sylphide de Filippo Taglioni comme en 1832

dimanche 24 novembre 2024

Crédit photographique © Katja Lotter

Créée au début des années 1830 par Filippo Taglioni, La Sylphide est, avec Giselle, l’un des jalons du ballet romantique. Les créateurs de La Sylphide, le chorégraphe Taglioni et sa fille Marie, la première interprète du rôle-titre, ont réussi à transposer sur scène l’atmosphère fondamentale du romantisme de manière idéale. C’est à l’engagement passionné de Pierre Lacotte pour le ballet romantique que l’on doit la renaissance de l’original parisien de cette œuvre. Des chaussons spéciaux permettant aux danseuses de s’élever sur la pointe des pieds soulignaient la nature elfique des sylphides et ont contribué à la percée du chausson de pointe dans le monde du ballet jusqu’à aujourd’hui, les chaussons de pointe symbolisent la danse classique aux côtés des robes de tulle blanc. C’est la danseuse Marie Taglioni, la fille de Filippo, qui est la créatrice du tutu : pour incarner en 1832 le ballet la Sylphide, elle décida de porter une superposition de jupes faites de tissus légers, de tulle ou de gaze, qui devaient souligner la grâce angélique de la créature aérienne dansée par la ballerine.

Sylphide ensemble
Crédit photographique © Katja Lotter

La compagnie du Bayerisches Staatsballett a choisi de monter la version du Français Pierre Lacotte, créée en 1972 à Paris. Le danseur et chorégraphe s’était largement inspiré des archives historiques de l’œuvre de Filippo Taglioni pour élaborer ce ballet. Il a ainsi créé une version de La Sylphide qui se rapproche le plus possible des idéaux et du style romantiques de Taglioni. La version de Lacotte se distingue de celle, plus connue aujourd’hui, du danois Auguste Bournonville, notamment par une technique de danse et un langage de mouvement marqués par l’école française, qui se caractérise notamment par un travail de pied délicat. De plus, sa chorégraphie est basée musicalement sur la partition originale de Jean-Madeleine Schneitzhoeffer, à laquelle Lacotte a ajouté la musique de Ludwig Wilhelm Maurer.

Le chorégraphe français Pierre Lacotte (1932-2023)  est considéré comme la principale autorité en matière de renaissance des classiques du ballet, en particulier ceux qui datent de l’époque du ballet romantique. Formé à l’école de ballet de l’Opéra de Paris, Lacotte a dansé à l’Opéra de Paris de 1946 à 1954, puis a été directeur artistique et chorégraphe des Ballets de la Tour Eiffel, des Ballets nationaux des Jeunesses de France, des Ballets de Monte-Carlo, du Ballet de l’Opéra de Vérone et du Ballet national de Nancy et de Lorraine. Sa spécialisation dans les reconstitutions a commencé en 1972 avec La Sylphide de Filippo Taglioni. Parmi les autres œuvres de Lacotte dans ce domaine figurent La Fille du Danube, Nathalie ou la laitière suisse, Marco Spada, Le Papillon, La Gitana, L’Ombre, Le Lac des fées, La Fille du Pharaon, Paquita et Ondine.

Lors de la première, le vendredi 22 novembre 2024, Ksenia Shevtsova  a dansé la sylphide et Jakob Feyferlik le rôle de James. Les deux représentations suivantes, le samedi 23 et le dimanche 24 novembre 2024, ont été respectivement interprétées par  Madison Young et Jinhao Zhang et par Laurretta Summerscales et Julian Mackay. Le directeur du ballet Laurent Hilaire, qui a lui-même dansé la version de Lacotte de La Sylphide, ainsi que la maîtresse de ballet invitée Anne Salmon, venu de Paris, ont aidé les danseurs à peaufiner leurs pas. 

Sylphide Lepaulle

Les ateliers du Ballet d’État de Bavière ont fidèlement reproduit les décors d’origine de Ciceri et les costumes qu’Eugène Lami avait conçus pour les représentations de 1832. Un tableau peint en 1834 par François Gabriel Lepaulle, conservé au Musée des Arts décoratifs de Paris, représente Marie Taglioni et son frère Paul dans la première scène du ballet La Sylphide. Le mobilier de la grande salle avec son âtre et son escalier en arrière-plan se trouvent reproduits sur la scène du Théâtre national et les danseurs ont également très exactement pris la pose que l’on voit sur le tableau. Tous les danseurs portent le costume traditionnel écossais, avec divers tartans, ces étoffes à carreaux de couleurs dont les lignes s’entrecroisent, des kilts et des sporrans, les couvre-chefs typiques, les chaussettes à carreaux. Le peuple des génies aériens porte ces jupes blanches aux étoffes si légères qu’elles sont quasi transparentes et de petites ailes transparentes et ocellées. Le second acte se déroule dans la forêt enchantée où volètent les Sylphides, transportées dans les airs ex machina entre les pans du décor qui représente les arborescences. Divers dispositifs ingénieux permettent de simuler le vol de la Sylphide et des jeux d’éclairage la font apparaître dans un pan de mur ou dans un pilier.

La musique de Schneitzhoeffer devait nécessairement rendre compte de la couleur locale du lieu de l’action, l’Écosse. Et on retrouve effectivement des moments musicaux qui évoquent des danses paysannes comme la gigue et l’anglaise, appelée écossaise dans une de ses variantes plus rapides. Le monde rural est évoqué par des sons de cloches, notamment de bourdon. Deux harpes rappellent l’importance de cet instrument dans le monde celtique. Comme il était courant à cette époque, Schneitzhoeffer a procédé à des emprunts : ainsi évoque-t-il la musique de Paganini dans l’épisode des de l’entrée des sorcières au sabbat au second acte, avec un solo de hautbois. Le motif avait déjà été utilisé lors de l’arrivée de Magde au premier acte. Parmi d’autres emprunts, on reconnaîtra Glück au moment de la mort de la Sylphide (“Che farò senza Euridice”). Pierre Lacotte s’est permis un seul écart par rapport à l’œuvre originale en introduisant un intermède musical pour le pas de trois entre James, Effie et la sylphide. Ce pas de trois est dansé sur une musique que composa Ludwig Wilhelm Maurer pour le ballet L’Ombre de Taglioni, créé quelques années seulement après La Sylphide, un numéro qui attire l’attention par son solo de violoncelle très expressif. Le chef Myron Romanul, régulièrement invité dans la Maison depuis 1987, est volontiers sollicité pour diriger de la musique de ballet, car il relève avec brio le défi difficile de marier la fosse à la scène : “ Diriger un ballet, c’est comme diriger un film muet. Sauf que l’action ne se déroule pas sur l’écran, mais sur la scène. “, disait-il dans une interview.  

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Crédit photographique © Katja Lotter

Le corps de ballet bavarois atteint un degré de perfection proche de l’impeccable. Le travail sur les pointes, si important dans ce ballet qui l’a en quelque sorte lancé, est particulièrement réussi. La première partie avec ses ballets d’ensemble des danseurs transformés en Écossais des Highlands connaît un déroulement très classique. Pourtant, quelque chose d’inhabituel se passe. On ne peut s’empêcher de remarquer les jambes des danseurs masculins. Les genoux et les cuisses sont dénudés. Les innombrables kilts virevoltent sur des cuisses sculpturales. On assiste à une inversion de l’habituelle fixation érotique sur les jambes des ballerines. La sorcière Magde, un rôle autre fois dévolu à une femme, est incarnée par un homme en travesti, une remarquable composition dansée par Sergio Navarro. Le pas de deux du couple écossais est magnifiquement exécuté par Lizi Avsajanishvili et Ariel Merkuri. L’Effie de Margarita Fernandes, qui vient d’être promue soliste, est une des plus belles réussites de la soirée. Severin Brunhuber, nouveau demi-soliste, danse Gurn, l’amoureux d’abord éconduit par Effie. Le second acte voit le triomphe des tutus dans leur légèreté blanche et mousseuse. La sylphide de Laurretta Summerscales et le James Julian MacKay viennent couronner la splendide reconstitution du premier grand ballet romantique. Les sauts battus du danseur étoile américain forcent l’admiration. 

Un voyage dans le temps brillamment mené par le Ballet d”État de Bavière.

Luc-Henri ROGER

Retrouvez la très détaillée analyse du Ballet sur notre site :  (Pour lire la première partie, cliquer ici. / Pour lire la deuxième partie, cliquer ici / Pour lire la troisième partie, cliquer ici).Pour lire la quatrième partie, cliquer ici)

Distribution du 24 novembre 2024

Direction musicale Myron Romanul
Chorégraphie de Pierre Lacotte d’après Filippo Taglion
Livret Adolphe Nourrit
Musique Jean-Madeleine Schneitzhoeffer et Ludwig Wilhelm Maurer
Décors d’après  Pierre Ciceri
Costumes d’après Eugène Lami
Lumières Christian Kass
Étude Laurent Hilaire et Anne Salmon


Sylphide Laurretta Summerscales
James Julian MacKay
Effie Margarita Fernandes
Madge Sergio Navarro
Gurn Severin Brunhuber
La mère d’Effie Séverine Ferrolier
Pas de deux du couple écossais Lizi Avsajanishvili et Ariel Merkuri
Trois sylphides Carollina Bastos, Maria Chiara Bono, Zhanna Gubanova

Ensemble du Ballet de l’État de Bavière
Orchestre de l’État de Bavière

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