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88 fois l’infini, Théâtre Anthéa à Antibes

88 fois l’infini, Théâtre Anthéa à Antibes

jeudi 2 février 2023
De gauche à droite: François Berléand et Niels Arestrup © Celine Nieszawer

Retrouvailles de deux demi-frères, fâchés depuis treize ans, suite à la trahison de l’un qui a épousé la compagne de l’autre… Ainsi se plante le décor de la pièce, dans l’espace blanc d’une magnifique maison de campagne (décor de Jacques Gabel). Il faut une couleur neutre pour arbitrer les dires des deux joueurs. Il faut une feuille blanche pour laisser s’écrire l’histoire telle qu’elle a été tracée dans le temps, dans la chair, telle qu’elle aurait dû s’incarner. Il faut une zone blanche, à l’écart de toute connexion avec le monde actuel, pour que les langues se délient sans risque d’être interrompues à tout jamais.
Nous sommes dans les meubles d’une famille aisée et cultivée, dans l’intérieur cossu du meilleur compositeur européen et d’une galeriste d’art contemporain :  collection de poteries et porcelaines de la dynastie Yuan, console Louis XV (vendue), jeu d’échecs, strapontin design «c’est pas un strapotin, c’est une œuvre d’art ! ». Tout à envier, à priori…
Dans ce mobilier, deux objets ont la parole. Le premier, une valise en cuir au centre de la scène, au cœur de l’histoire, s’exprime d’abord par son silence, son lourd silence de non-dits et de secrets de famille. Elle parlera notre langue à la fin de la pièce, par le biais de l’enregistreur qu’elle contient en plus de diverses lettres et photos. Elle avouera tout, mais si tard… Le second objet, un piano à queue, « grande bouche avec des dents blanches » s’exprimant d’ordinaire par le son de quatre-vingt-huit touches qui déclinent la musique à l’infini, interprète depuis toujours les ressentis du pianiste: « la musique tente de parler pour moi », avoue Andrew. Mais il se tait depuis un an, à la suite d’un événement précis : la remise des trophées. « Cérémonie obscène » argue le pianiste. « C’est pas moi qui ai fermé mon piano, c’est lui qui ne veut plus s’ouvrir ».
 
Les langues se délient lentement entre les deux hommes, entre les deux passés. Tout est juste, au millimètre près, dans le jeu des deux illustres acteurs, Niels Arestrup dans le rôle d’Andrew, le pianiste et François Berléand dans le rôle de Philippe, son demi-frère. Le verbe, le silence, le geste, le regard sont autant de clés de la partition du texte d’Isabelle Le Nouvel, où l’unique action réside dans l’évolution émotionnelle des personnages, en quête de vérité et de paix intérieure. Une véritable prouesse d’acteurs !
 
Tant de questions essentielles et existentielles, directes ou indirectes, abordées dans ce scénario, comme l’importance des racines et du lien. Peut-on vivre heureux sans la reconnaissance ni l’amour d’un père ? Le talent ultime dépend-il d’une souffrance extrême : « qu’est-ce que j’ai fait pour en être là ? » Peut-on survivre dans le mensonge de l’origine de l’être ? Vaut-il mieux l’absence totale d’un père ou la présence d’un père incapable d’aimer ?
 
Une pièce qui creuse son sens dans l’essence de l’existence.
 
Nathalie AUDIN
Jeudi 2 février 2023

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